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La Bible ? Non pas un livre, mais une bibliothèque.
Le terme de Bible vient du grec Biblia qui signifie « des livres », il s’agit donc d’une collection de livres, la Bible est la première bibliothèque. Le terme même de bibliothèque, postérieur au mot « Bible », a été créé parce que le mot Bible désignait une collection de livres particulière.
La rédaction des écrits bibliques s’étale pratiquement sur un millénaire. Les plus anciens récits peuvent presque remonter aux origines de l’écriture. Avec le temps et par un mécanisme d’acculturation, on peut déceler dans chacun des livres l’influence des savoirs et des cultures des plus grandes civilisations: assyro-babyloniennes, puis grecques et enfin romaines au milieu desquelles le peuple hébreu, que l’on appellera plus tard Israël et enfin Juif, était immergé. La pérennité à travers trois millénaires d’une identité particulière chez un si petit peuple, qui s’est nourri de tant de cultures et de civilisations sans s’y fondre et qui a survécu à plusieurs tentatives d’extermination, est en soi une énigme de l’histoire.
Quel genre de livres dans cette bibliothèque ?
Il n’est pas possible de regrouper tous les livres de la Bible sous un seul genre littéraire. Presque tous les genres y sont représentés, récits mythiques, récits légendaires, contes, récits historiques, oracles, poèmes, prières, recueils de sagesse,…
Comment s’est constituée cette bibliothèque ?
C’est au sein du peuple juif que tous les livres de la Bible ont vu le jour. Cependant un schisme s’est produit dans le judaïsme après la mort de Jésus à Jérusalem au début de notre ère, l’année zéro de notre calendrier étant celle de la naissance théorique de cet homme . Les chrétiens appelleront la bibliothèque des livres hébreux antérieurs à Jésus « Ancien Testament », et celle des disciples de Jésus « Nouveau Testament ». A cette terminologie traditionnelle, les exégètes préfèrent aujourd’hui substituer les termes d’ancienne et de nouvelle alliance ou mieux encore de Première et Deuxième alliance (pour éviter la connotation d’obsolescence du mot ancien). En effet le mot testament vient du latin testamentum qui a été utilisé pour traduire le mot grec diathếkê. Or le mot grec contient l’idée de contrat entre partenaire que l’on ne trouve pas dans le mot testament. Le mot alliance, Berit en hébreu, traduit mieux la relation entre Dieu et son peuple décrite dans la Bible.
L’histoire du choix des livres hébreux à placer dans cette bibliothèque est complexe. Quand vous vous constituez une bibliothèque, sur quel critère sélectionnez-vous tel ou tel livre existant?
Le critère retenu : tous les livres inspirés par Dieu !
Mais alors comment sait-on si tel ou tel livre est inspiré par Dieu ?
La réponse ne va pas de soi. Les débats autour de cette question furent très animés. Ce n’est qu’en l’an 90 de notre ère que la communauté juive a finalisé une liste de livres dits canoniques (le mot canon en hébreu désignant un roseau qui servait d’unité de mesure, de norme). Cette norme, arrêtée par les savants et les autorités religieuses juives, fut reprise intégralement par les chrétiens sous la dénomination « d’Ancien Testament ».
Mais les choses se compliquent un peu lorsque les chrétiens intégreront certains textes judaïques qui n’avaient pas été retenus dans le canon juif. On appelle ces textes « deutérocanoniques », c’est-à-dire deuxième canon, deuxième norme. A l’époque de la réforme, les protestants reviendront au premier canon juif en considérant que les textes deutérocanoniques avaient moins de valeur. Aujourd’hui la plupart des bibles intègrent l’ensemble de ces textes en signalant ceux qui sont justement deutérocanoniques. Leur nombre est relativement marginal par rapport à l’ensemble commun et la question n’est plus aujourd’hui objet de polémique.
En ce qui concerne la constitution des livres du « Nouveau Testament », les débats au sein du christianisme naissant ne furent pas moindres. Dans les siècles qui suivirent la mort de Jésus, une floraison de livres souvent écrits sous le patronyme d’un disciple historique de Jésus (pseudépigraphes) a vu le jour. Il a fallu trier et ne retenir que les textes authentifiés et reconnus de fait comme faisant autorité par l’ensemble des communautés chrétiennes. Ce n’est qu’à la fin du IVème siècle que la liste fût définitivement arrêtée. Les livres non retenus sont alors qualifiés d’apocryphes.
La Bible, un livre sacré ?
Nous avons vu plus haut que le terme de « sacré » a subi de grandes transformations tout au long de l’histoire biblique. La méconnaissance de ces mutations, de la nécessaire démythisation du mot, peut être la cause de graves malentendus dans la compréhension de ces textes. Il est nécessaire, avant d’en aborder la lecture, de lever ces malentendus.
La Bible n’est pas un livre de science.
Cela peut paraître évident puisque l’idée même de science n’est apparue que postérieurement à l’époque de la rédaction de ces écrits. Pourtant certains courants « hyper-religieux » encore présents aujourd’hui comme les créationnistes pensent que le monde fut créé en six jours ! C’est écrit dans la Bible, donc c’est vrai ! Oui, sauf que l’auteur ou plus probablement les auteurs n’avaient pas nos connaissances scientifiques et leur intention n’était certainement pas de transmettre un savoir de ce type. Il s’agissait pour eux de transmettre à travers un récit imagé, à l’instar des autres mythes qui circulaient alors dans les civilisations environnantes, un enseignement précis sur le sens de la création, sur les rapports de l’homme avec son créateur. Vouloir faire dire au texte ce qu’il ne veut pas dire, c’est le trahir.
La Bible n’est pas un livre d’Histoire au sens moderne et scientifique du terme.
Certains livres de la Bible transmettent certes un grand nombre d’informations sur l’histoire du peuple hébreu, mais les auteurs s’attachent beaucoup moins à l’exactitude factuelle des événements qu’à leur sens profond. Ils n’hésitent pas à grossir tel ou tel événement pour en faire mieux comprendre la signification. Pour signifier, ils utilisent des signes. Prenons par exemple l’usage des chiffres qui dans la culture juive diffère beaucoup du nôtre. Pour nous les chiffres sont un moyen de classer, de quantifier, de positionner dans le temps et dans l’espace tel ou tel événement et notre ambition est d’être le plus précis possible. La préoccupation des hébreux est autre, ils cherchent à transmettre le sens de l’histoire et pour eux les chiffres (d’ailleurs associés étroitement à leur alphabet) ont aussi une valeur symbolique. La Bible donne beaucoup de chiffres mais en faire des informations objectives sur des quantités ou des dates exactes, c’est passer à côté de l’intention de l’auteur pour qui ces chiffres sont souvent destinés à apporter un complément de sens aux événements qu’il décrit.
Mais alors qu’en est-il de l’historicité de la Bible ?
Depuis une centaine d’année, de grandes avancées sur ce sujet ont été accomplies par les historiens et les archéologues. Le nombre de scientifiques qui ont travaillé sur la Bible ce dernier siècle est considérable. Leur première recherche a porté sur les documents eux-mêmes.
De quelle époque datent-ils ? Par qui ont-ils été écrits ?
Bien sûr, il n’existe pas d’originaux de ces textes. Ce qui est accessible aux chercheurs, ce sont des copies de copies de copies de manuscrits. Mais les manuscrits sont tellement nombreux et dispersés dans des lieux si éloignés les uns des autres que leur authenticité ne fait plus débat globalement chez les scientifiques.
Pour aucun texte au monde nous n’avons autant de manuscrits. Pour le seul Nouveau Testament, les chercheurs disposent de plus de 20.000 manuscrits écrits en grec, latin, copte, syriaque… Le fragment le plus ancien, un passage de l’évangile de Jean, a été daté autour de 130, soit à peine plus de 30 ans après sa rédaction. Pour l’Ancien Testament, les découvertes de Qumran en 1947 furent un événement considérable. Imaginez que les manuscrits les plus anciens dont nous disposions jusque-là dataient du IXe siècle de notre ère. Avec cette découverte dans des grottes situées dans le désert de Judée à quelques dizaines de kilomètres de Jérusalem, on a retrouvé des manuscrits datant du IIIe siècle avant notre ère, soit un bond en arrière de 1.200 ans. On comprend l’excitation des chercheurs ! Ils ont réussi après des années de travail à remettre au jour, entre autres, une version presque complète d’un des livres les plus longs de la Bible, le livre d’Esaïe. Et bien chose incroyable, c’est la copie conforme de nos textes actuels, à quelques détails mineurs près ! Comment ces textes ont-ils pu se transmettre ainsi sans altérations significatives à travers les siècles ? C’est un grand mystère, … En tout cas, merci à ces scribes, à ces moines qui avant l’imprimerie, ont passé toute leur vie à recopier ces textes pour nous les transmettre. Bien sûr, peu de gens avaient accès directement à ces trésors et il faudra attendre l’invention de Gutenberg et le premier livre imprimé, justement la Bible, pour qu’elle soit théoriquement accessible à tout un chacun.
Si l’authenticité des manuscrits ne pose plus problème, il n’en va pas de même pour celle des faits rapportés dans la Bible. Pour en décider on ne peut pas donner une réponse unique valable pour toute la Bible. Il faut se mettre dans le contexte de chacun de ces livres : l’époque à laquelle il a été écrit, celle des faits qu’il rapporte, le genre littéraire, la problématique à laquelle il répond, etc…Il faut donc aborder cette question, selon nos critères scientifiques, avec une approche spécifique pour chacun des livres.
La Bible n’est pas un livre de doctrine religieuse.
Elle n’est pas un ouvrage de théologie dogmatique, ni un catéchisme. La Bible n’est pas un catalogue exhaustif de vérités religieuses à adopter. L’idée de vérité y est bien présente, mais elle ne prend pas la forme binaire que nous entendons spontanément, elle n’est pas régie par le principe de non-contradiction où ce qui est vrai s’oppose au faux et réciproquement. La vérité dans la Bible prend la forme d’une quête permanente collective et individuelle, où le questionnement sur les événements et les mots tient une place fondamentale. La vérité n’apparaît pas comme un contenu objectif, intemporel et universel que l’on peut figer dans un texte que chacun devrait adopter littéralement. Elle n’est pas un acquis, elle apparaît plutôt comme un cheminement, une direction, un sens que chacun doit explorer. La vérité se révèle chez un sujet. Elle ne tombe pas (ou pas seulement) du ciel, mais elle émerge, vivante, du cœur de l’homme non seulement à travers l’Histoire collective mais aussi dans ses expériences de vie personnelle.
Quelle unité, quelle cohérence entre ces livres ?
Après avoir levé les idées préconçues souvent rencontrées au sujet de la Bible, comment peut-on caractériser cette bibliothèque ? Quels sont les liens qui unissent ces livres ? Quelle cohérence entre eux ? Une réponse simple parait a priori impossible du fait de la diversité des genres littéraires et de la grande richesse de ces livres sur différents plans, historique, poétique, religieux, anthropologique et même philosophique.
On peut néanmoins identifier deux points fondamentaux qui découlent de ce nouveau rapport au temps et à l’espace que nous avons vu plus haut :
- Il s’agit de l’histoire d’un peuple, le peuple hébreu dont l’origine plonge dans un passé si lointain (environ deux millénaires avant notre ère) qu’il échappe à nos moyens d’investigation scientifiques. On ne pourra jamais démontrer scientifiquement qu’Abraham ou même Moïse ont réellement existé. Les plus anciennes découvertes archéologiques qui nous donnent des indices se recoupant avec l’histoire biblique remontent au IXème avant notre ère, à une époque où les hébreux avaient un territoire délimité, une réelle organisation politique et administrative, bref une nation, même si comme dit la Bible elle-même, elle était « la plus petite des nations de la terre» (Dt 7,7). Alors trouver des traces d’une petite tribu de nomades des centaines d’années auparavant semble définitivement impossible.
Pourtant, phénomène unique dans l’histoire, ce peuple développe pendant des siècles une mémoire créatrice. C’est-à-dire que le long des siècles, son identité s’est construite par l’écriture de son histoire, depuis les récits mythiques des origines aux chroniques contemporaines des auteurs, selon un processus universel que le philosophe Paul Ricœur a décrit et théorisé sous le nom d’ « identité narrative ». - Au cœur de cette histoire il y a une parole. La caractéristique de la Bible est l’expérience d’un Dieu vivant qui parle aux hommes, à la différence des dieux, « ces idoles muettes » (1Co 12,2). La première parole est celle reçue par un homme, Abram dans une région de l’Irak d’aujourd’hui. Un dieu lui parle (à l’époque chaque peuple avait son propre dieu), lui demande de partir de chez lui et lui promet, alors que sa femme est stérile, une descendance plus nombreuse que les étoiles et que le sable de la mer ! Des millénaires plus tard, des milliards de personnes issues des trois religions monothéistes de la planète se réclameront de sa paternité!
Apparue avec Abram, cette parole continuera à se manifester sous des formes multiples tout au long de l’histoire tumultueuse de ses descendants en particulier par l’intermédiaire des prophètes.
«Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous …» (He 1,1)
Cette parole fera de ce peuple un peuple à part, séparé des autres peuples. Du fait de cette séparation, de cette élection, son histoire sera qualifiée d’« Histoire Sainte », autre nom que l’on donne traditionnellement à la Bible. Étymologiquement le mot « saint » en hébreu traduit l’idée d’une séparation. Cela ne veut donc pas du tout dire que les protagonistes de cette histoire soient des saints dans le sens que nous entendons généralement c’est-à-dire des exemples de vertu et de grandeur morale.
En raison de la place centrale d’une parole adressée par Dieu à des hommes au cours de l’histoire millénaire d’un peuple singulier, on dira de la Bible qu’elle est « Parole de Dieu ».