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Qu’entendre par « Parole de Dieu » ?

Cette expression « Parole de Dieu » ne se limite pas à désigner les passages de la Bible où Dieu parle précisément à tel ou tel personnage, elle recouvre l’ensemble des écrits de la Bible qualifiés d’ « inspirés ». Mais chaque phrase de la Bible sortie de son contexte, dissociée de la culture de l’époque, isolée de l’ensemble des textes bibliques, ne peut être considérée comme parole de Dieu et brandie en soi comme une vérité absolue. L’histoire nous a montré combien cet usage idolâtrique de la Bible était porteur de violence.

La Parole de Dieu, qui se déploie pendant un millénaire à travers des événements, des « oracles », portée par la mémoire d’un peuple toujours en sursis, toujours en migration, toujours à recréer, n’est pas succession de slogans simplistes, ni même une liste de préceptes imposés. Elle n’est pas un catalogue de solutions pour atteindre un objectif. Ce n’est pas non plus une parole ésotérique, destinée à des privilégiés ou à des mystiques, mais elle est destinée à tous pour créer un collectif qui ne sera plus déterminé par le passé et le lieu géographique, mais par l’engagement d’individus pour la construction d’un peuple nouveau à vocation universelle.
La Bible n’est pas une parole sur Dieu, elle est Parole de Dieu à l’homme pour l’homme. Elle est d’abord anthropologique avant d’être théologique. Elle tend à faire advenir des sujets libres et responsables; d’hétéronome (hétéro-nomos = loi imposée de l’extérieur), la loi biblique doit devenir autonome (auto-nomos = loi donnée à soi-même, loi intérieure).
Cette parole ne peut être réduite à une simple opération de communication, c’est une parole performative : en ce sens qu’elle réalise sur la personne qui l’écoute, les transformations qu’elle enseigne, elle pénètre et bouleverse la personne qui la reçoit.
« Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit, articulations et moelles. » (He 4,12)
La dimension très active de la Parole se traduit dans la Bible par des images symboliques charnelles. La Parole féconde et transmet la vie : de la fécondité d’Abram à celle de Marie, toute la Bible est rythmée par des récits imagés de naissances extra-ordinaires suite à une parole qui pénètre le cœur de l’homme à travers ses failles, ses blessures et ses manques.
Elle est aussi très souvent associée à la nourriture et à ses délices.
« Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu » (Dt 8,3)

« Dès que je trouvais tes paroles, je les dévorais. Ta parole m’a réjoui, m’a rendu profondément heureux.»(Jr 15,16)
«Tes paroles …. sont plus désirables que l’or et quantité d’or fin ; plus savoureuses que le miel, que le miel nouveau » (Ps 19,10).

L’étude de la Bible ne deviendra véritablement « Parole de Dieu » pour le lecteur que dans la mesure où les questions qui émergent de sa lecture rejoignent son expérience intime. Ainsi la Parole de Dieu suscite notre propre parole. La Parole de Dieu ne peut rester parole vivante sans être relayée par la nôtre. La Bible n’est guère accessible indépendamment de toute médiation; sans le secours de toutes les interprétations de ces textes transmises par nos prédécesseurs, nous n’aurions même pas idée de les lire, ni l’audace de proposer nos propres interprétations nourries à la fois des lectures transmises (ce que l’on appelle la tradition) et de l’apport des cultures de notre temps.

Ce travail de lecture active de la Parole qui s’appuie pour son interprétation sur la réalité de nos vies quotidiennes, génère un désir d’échange. Partager cette lecture au sein d’un groupe stimule notre pensée, éveille nos cœurs et nous protège des interprétations trop subjectives ou hasardeuses. La transmission de cette Parole se fait par l’écho qu’elle rencontre au sein d’un groupe. Les interprétations qui ne résonnent pas, qui ne sont pas relayées, s’éteignent d’elles-mêmes.

Métamorphose des mots et des expressions bibliques.

C’est sur un terreau culturel ancestral qu’est né dans les livres les plus anciens de la Bible, le sens premier des mots comme obéissance, péché, justice, sacré, sainteté, humilité, sacrifice, etc… ou des expressions comme la crainte de Dieu, la colère de Dieu, la volonté de Dieu. Or le sens de tous ces mots ou de ces expressions qui ont souvent une étymologie assez imagée, évolue, s’enrichit progressivement de contenus nouveaux qui se superposent aux précédents. La métamorphose de ces mots est à relier au développement du psychisme de l’homme et aux évolutions du sacré dont nous avons parlé plus haut.

Trop souvent dans la prédication classique ou dans l’enseignement du catéchisme destiné aux enfants, ce sont les sens premiers qui sont retenus et leur donnent des colorations moralisatrices, pauvres et univoques, qui entérinent des formes de domination et valorisent la soumission. Et pourtant, la richesse de la polysémie des mots et des expressions bibliques tend au contraire à arracher l’homme à toute forme d’esclavage pour le faire accéder à la Liberté et à la Vie. Pris dans leur contexte biblique ces mots paradoxalement incitent plus souvent l’homme à la transgression des pouvoirs établis qu’à la soumission. La méconnaissance de ces métamorphoses sur le terreau culturel et religieux de l’Ancien Testament peut induire et a de fait induit au mieux des incompréhensions, au pire de véritables contre-sens aux conséquences dramatiques. On connait sur certains individus les dégâts psychiques des discours « religieux » ultra culpabilisant. Sur un plan politique on voit sous nos yeux la Bible brandie par certains autocrates qui se présentent en défenseurs de la religion pour asseoir en interne leur emprise sur leur population et pour justifier en externe des mesures de défenses identitaires comme le rejet des migrants qui représenterait une menace de disparition de la chrétienté ! L’inverse même du message biblique.

Obstacles à l’écoute de la Parole

Ce double travail de la Parole, développement de la conscience individuelle et renforcement du sentiment d’appartenance à vocation universelle, s’est heurté dans la Bible et se heurte toujours à plusieurs types d’obstacles.

– Le premier est évidemment la non-écoute où, plutôt que d’écouter une parole difficile et exigeante, le peuple préférera retourner vers les pratiques religieuses ancestrales que la Bible condamne et qualifie d’idolâtries. La volonté de se fondre dans les civilisations ambiantes, relève de la peur de l’inconnu. Le refus d’être « séparé », d’être « saint », freine le développement de la conscience individuelle. Il se traduit alors d’une façon ou d’une autre par des retours vers des formes modernisées du sacré tribal.

– Le second obstacle est la fixation sur la Parole (pour utiliser un terme de psychologue) qui est alors simplement rabâchée au sein d’une pratique rituelle de plus en plus formalisée qui frise le magique. Elle est signe d’une identité fragile en quête d’assurance. La Parole, devenue objet d’une fixation, n’est plus une parole vivante, elle est alors réduite à un objet, signe d’appartenance religieuse. Elle perd sa force de transformation de la personne et se sclérose.

– Un autre obstacle beaucoup plus subtil et dangereux est celui de l’appropriation de la Parole. C’est la dérive du « sacré de type clérical » dans laquelle des experts utilisent leurs connaissances, leur maîtrise des textes ou la rigueur de leur pratique religieuse pour exercer un pouvoir sur les laïcs (l’étymologie du mot laïc = inculte). Les interprétations du texte sont alors contenues dans un savoir circonscrit, dans un dogme figé qui répond à toutes les questions, à rebours de l’interprétation symbolique qui reste ouverte au questionnement – la question est plus importante que la réponse – et tend vers un élargissement progressif et infini du sens du texte. Cette appropriation de la Parole transmet un « savoir » sur Dieu. Elle induit une attitude de soumission au détriment de l’exercice de la liberté et de la responsabilité personnelle. Tel n’est pas du tout l’esprit de la « Parole de Dieu ». La Parole est une pédagogie, elle ne s’impose pas, elle répond à un désir qui doit s’enrichir dans un travail collectif et individuel de compréhension

Pédagogie pour l’humanité en gestation.

Toute l’histoire biblique reflète la tension entre d’une part une appartenance religieuse spécifique qui se déploie par une filiation au sein d’une tradition (du mot latin tradere qui signifie « transmettre »), et d’autre part un arrachement des ligatures qui emprisonnent l’individu et entravent sa marche.

Dans la Bible, la libération est synonyme de cheminement, d’exil, d’exode, et de diaspora. Elle traverse des doutes, des déceptions, des rebellions. Ce double mouvement apparemment contradictoire, appartenir et se séparer, relier et délier, douter et faire confiance, se traduit par un long, laborieux et souvent douloureux travail d’ouverture, d’élargissement, de dilatation de l’appartenance. La Bible est cette gestation de l’humanité qui conduit chacun à trouver sa voie par et au-delà des limites des appartenances religieuses.

Comment lire, comprendre et interpréter la Parole ?

Décalage culturel

Nous avons évoqué l’obstacle du décalage culturel qui nécessite que le lecteur prenne en compte le contexte historique et  particulièrement les pratiques religieuses des peuples environnants pour percevoir l’originalité des spécificités de cette Parole. De ce point de vue les travaux des ethnologues, anthropologues et historiens des religions sont des apports nouveaux très précieux.
Mais qui dit parole dit usage de mots. Et là de nouveaux obstacles apparaissent liés à la langue et à l’usage évolutif des mots au cours du temps.

L’hébreu

L’hébreu est une langue très ancienne qui a vu le jour à une époque où l’écrit n’était qu’un support mnémonique de l’oral. Les lettres, uniquement des consonnes, permettaient au lecteur de retrouver le texte oral dont il connaissait déjà parfaitement les sonorités (la lecture était toujours publique, la lecture privée silencieuse ne viendra que beaucoup plus tard). Ce n’est qu’au troisième siècle de notre ère que des rabbins, par crainte de la disparition de cette mémoire orale, éprouvèrent le besoin de fixer la sonorité du texte avec l’écriture massorétique qui  inclut des voyelles par l’insertion de points sur les consonnes.

L’hébreu est une langue de poètes qui joue avec les mots, les fait résonner entre eux. Le sens des mots à travers les âges évolue, s’enrichit et prend de nouvelles couleurs, des harmoniques multiples. Les mots bibliques comme le montre bien Delphine Horvilleur, rabbin, dans son livre « En tenue d’Eve », sont des fils qui suivent une trame, s’entrecroisent à l’infini pour former, une texture, un textile, un texte, qui à la fois révèle et voile pudiquement la Parole divine.

Traductions

Autant dire que la traduction est un travail compliqué, une mission presque impossible. Depuis ces dernières années un grand nombre de traductions ont vu le jour. Elles obéissent chacune à un objectif spécifique : coller au maximum à la littéralité du texte,  le rendre accessible au plus grand nombre par l’usage d’un langage courant, mettre en évidence la beauté littéraire, le rythme des phrases et la puissance des images ou encore cerner au plus près les concepts psychologiques ou théologiques sous-tendus, etc… Aucune traduction ne peut allier dans un seul texte, ces différentes dimensions, c’est toujours un choix difficile.

Herméneutique et exégèse

Mais cette difficulté est une richesse et une chance. La distance, entre ce qui est écrit et ce que chacun peut comprendre, crée un espace infini de questionnement et d’interprétation où chacun doit prendre sa place. Cette place n’est pourtant pas arbitraire et purement subjective, elle nécessite médiation, partage de point de vue, confrontation. Lévinas parle d’une parole, non subjective, mais subjectivante : la parole crée le sujet.
Cette diversité de lecture possible, liée à la structure même de la langue hébraïque et à sa richesse symbolique, a suscité le développement d’une science de l’interprétation que l’on nomme « herméneutique » (ce mot, né de la nécessité d’interpréter les textes bibliques, est maintenant utilisé dans de multiples champs du savoir). L’herméneutique a trouvé son expression dans le judaïsme avec le Talmud qui explore par le jeu des mots, le rapprochement des racines, la juxtaposition d’images, etc… toute la richesse symbolique du texte biblique. Dans le monde chrétien, moins familier de la langue originale du texte, le travail de lecture prendra plutôt la forme d’une exégèse, c’est-à-dire d’une explication de texte. C’est une approche plus rationnelle, plus scientifique du texte, cependant la pratique de la « lectio divina », pratique ancienne et traditionnelle chez les moines, complète cette lecture scientifique par une lecture plus spirituelle.

L’ampleur des recherches sur la Bible, ce dernier siècle, est impressionnante. Elles émanent naturellement d’exégètes, de théologiens, d’historiens, d’archéologues. L’Ecole Biblique de Jérusalem, fondée en 1920 par des dominicains, fait figure de précurseur dans ces domaines de recherche. Depuis, l’étude de la Bible a aussi été investie dans de nombreux pays par des chercheurs dont le champ de compétence parait plus surprenant : des anthropologues, des sociologues, des psychanalystes, des philosophes, juifs, chrétiens ou athées se sont penchés avec passion sur le texte hébreu (ou grec pour le nouveau testament). De leurs travaux sont nées de nouvelles interprétations de ces textes qui enrichissent la lecture traditionnelle. Ils contribuent ainsi dans la mesure où ces interprétations trouvent un écho dans l’expérience intime des lecteurs, à alimenter et à faire vivre la tradition. Il peut paraître d’ailleurs assez surprenant et paradoxal pour certains de constater que ces apports émanent parfois de personnes qui se déclarent non-croyants !

Dans quel ordre lire les livres de la Bible ?

Nous avons vu que la rédaction de ces livres s’étale sur un millénaire. Il est difficile de dater précisément l’édition de tel ou tel écrit et donc de définir un ordre chronologique des éditions de cet ensemble. Les chercheurs ont pu mettre en évidence des probables corrections, ajouts, tout au long de l’histoire, par ceux que l’on appelle les scribes. L’idée même de droit d’auteur, de propriété intellectuelle est étrangère à la culture juive. Ces textes sont vivants, ils appartiennent au peuple. Les chercheurs ont démontré que, par exemple, le livre de la Genèse qui relate les débuts de l’humanité fut rédigé postérieurement aux livres de Josué et des Juges, relatant l’histoire du peuple hébreu entre le douzième et le dixième siècle avant notre ère.
J’ai choisi de commenter les livres de la Bible dans l’ordre du déroulement « historique » des évènements, ordre qui est adopté dans la plupart des traductions même si cet ordre ne correspond pas toujours à l’ordre d’édition de ces livres.

 

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