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Le contexte historique (Ex 1)

A la fin du livre de la Genèse, nous avions laissé les descendants de Jacob et ses douze fils en Egypte dans une situation confortable qui leur a permis de se multiplier, protégés qu’ils étaient par leur frère Joseph, gouverneur du pays.

Le début du livre de l’Exode fait le lien avec le livre précédent en reprenant la liste des fils de Jacob. Cependant c’est une autre histoire qui commence après la disparition de cette génération de Joseph et de ses frères. Combien de temps exactement après: 50 ans? 100 ans ? 200 ans ? On ne peut pas scientifiquement le savoir. Car comme nous l’avons dit, l’histoire des patriarches relève d’une protohistoire, où l’existence effective de ces grands personnages ne pourra jamais être prouvée et datée.

Le livre de l’Exode se situe encore dans ce cadre protohistorique. Cependant des éléments du livre telle la présence d’esclaves sémites en Egypte entre le XVe et XII e avant notre ère, les allusions aux grands travaux des pharaons, les révoltes de ces esclaves et leur tentative de fuites sont confirmées par l’histoire et donnent une certaine crédibilité au contexte dans lequel les récits de ce livre vont se dérouler, même si le caractère épique du genre littéraire de ce livre est indéniable.

Le passé où le clan de Jacob-Israël était royalement accueilli par le pharaon est bien loin. La tribu est devenue maintenant un peuple que l’on nomme « les hébreux » dont l’importance dans le pays commence à irriter le pharaon.

Le récit d’emblée pose un antagonisme entre d’une part un peuple plein de vie qui se multiplie et d’autre part un pouvoir politique très puissant qui pourtant prend peur devant la vitalité d’une partie de ses ressortissants. Des mesures coercitives violentes sont prises par ce pouvoir pour asservir ce peuple et enrayer sa vitalité. Mais ces tentatives aboutissent au résultat inverse, le peuple hébreu asservi continue à se développer ; le pharaon en vient à prendre une mesure drastique : les sages-femmes reçoivent l’ordre de tuer à la naissance tous les bébés mâles de ces hébreux. Mais la mesure ne suffit pas car « Les femmes des Hébreux ne sont pas comme les Egyptiennes ; elles sont pleines de vie ; avant que la sage-femme n’arrive auprès d’elles, elles ont accouché. » (Ex 1,19). Alors le pharaon donne un ordre encore plus radical, il demande à tout le peuple de jeter à l’eau du fleuve tous les nouveaux nés mâles. Nous avons déjà là une première mention de la symbolique des premiers-nés que nous retrouverons d’une façon encore plus dramatique un peu plus loin.

L’enjeu de l’épopée qui va suivre est ainsi clairement posé : c’est la lutte des forces de vie symbolisées par la vitalité des femmes des hébreux contre les forces de mort incarnées par la puissance et l’exercice du pouvoir du pharaon.

C’est dans ce contexte qu’apparaît le personnage central du livre, Moïse.

La légende de la naissance de Moïse  (Ex 2, 1-10))

Dans ce contexte où l’ordre a été donné de faire disparaître tout enfant mâle du peuple hébreu, un couple de la tribu de Levi donne naissance à un garçon. La mère réussit à le cacher pendant trois mois, puis ne pouvant plus le dissimuler, elle fabrique une sorte de caisse flottante (que l’on appelle depuis un moïse), la dépose avec l’enfant dans le Nil. La sœur de l’enfant suit l’embarcation qui dérive le long du Nil jusqu’à ce que la fille du pharaon qui se lavait au bord du fleuve l’aperçoive. Très émue à la vue de l’enfant, la princesse le recueille chez elle. La petite sœur qui a suivi de loin, se manifeste et propose à la princesse d’aller chercher une femme chez les hébreux pour l’allaiter (encore cette force de vie prêtée aux femmes des hébreux). Aussitôt la petite alla chercher sa mère qui fût ainsi embauchée comme nourrice de son propre enfant. La fille du pharaon adopte l’enfant et l’appelle Moïse. C’est un nom Egyptien dont la sonorité se rapproche de celle d’un mot hébreu qui signifie « retirer de ».

Ce court récit qui relève clairement du conte légendaire (on en a trouvé de très semblables dans des écrits contemporains) a pour but de révéler le caractère tout à fait exceptionnel de ce personnage. Le nom donné par la princesse à cet enfant, Moïse, est à la fois signe de son origine mystérieuse « retiré des eaux » et de son destin « retiré de la mort » (les eaux et la mort étant souvent associées chez ce peuple hébraïque qui était terrorisé par la mer). C’est lui qui par cette double identité, hébraïque de naissance et égyptienne d’adoption, va être choisi par Dieu pour arracher le peuple hébreu à la mort.

Premiers affrontements de Moïse avec les forces de la mort (Ex 2,11-25)

Adolescent, Moïse, est partagé entre ces deux identités et lui l’égyptien très privilégié cherche à rentrer en contact avec les esclaves. Sa situation très enviable ne lui fait pas oublier les liens de sang qui le relie à ce peuple exploité. Quand il voit combien ses congénères sont maltraités, il prend la défense de l’un deux et en arrive à tuer l’agresseur égyptien (Ex 2,12). Immédiatement il dissimule le cadavre dans l’espoir que son meurtre ne soit pas révélé. Le lendemain il revient et voit deux hébreux s’empoigner, il cherche à les séparer mais alors l’un deux l’agresse, lui dénie toute autorité et évoque le meurtre de la veille dont il a été témoin.

Là Moïse panique car si ce qui s’est passé la veille arrive aux oreilles du Pharaon, ses jours sont comptés. Il s’enfuit d’Egypte et se retrouve dans le désert en territoire de Madian pour échapper au Pharaon qui a eu effectivement vent de l’affaire et cherche à le faire tuer. Là, assis près d’un puits, il rencontre les filles d’un prêtre et les aide à abreuver leur bétail. Le père l’accueille chez lui et lui donne  sa fille Cippora pour femme. Ils eurent un enfant qu’ils appelèrent Gershom, c’est-à-dire émigré (Ex 2,22). Emigré Moïse l’est doublement, car il est à la fois ignoré de son peuple d’origine et chassé de son peuple d’adoption. Ce nom le rattache aussi à ses ancêtres depuis Abraham, le migrateur, jusqu’à Joseph, l’émigré.

Le temps passa, le pharaon mourut et un nouveau roi arrive au pouvoir. Le sort des hébreux ne s’arrange pas pour autant, au contraire il empire. Alors «  Les fils d’Israël gémirent du fond de la servitude et crièrent. Leur appel monta vers Dieu du fond de la servitude. Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Dieu vit les fils d’Israël ; Dieu se rendit compte…» (Ex 2,23-24)
Dieu ne s’était pas du tout manifesté depuis très longtemps, la dernière fois où il était intervenu c’était pour autoriser Jacob à partir en Egypte.
Ici il est dit que ce sont des cris de détresse qui ont réveillé Dieu si l’on peut s’exprimer ainsi et le texte insiste fortement : Dieu entendit… se souvint…se rendit compte… ».

Alors comment va-t-il réagir, comment va-t-il les délivrer du pharaon, l’arracher des griffes des puissances de la mort ?

L’appel de Dieu à Moïse au buisson ardent (Ex 3, 1-10)

Dieu va se manifester à Moïse dans une théophanie célèbre connue sous le nom du « buisson ardent ». Dans le désert, l’attention de Moïse est attirée par les flammes d’un buisson en feu  qui brûlait en permanence sans se consommer. YHWH vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! »  Il dit : « N’approche pas d’ici ! Retire tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. » Il dit : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. » Moïse se voila la face, car il craignait de regarder Dieu. 

YHWH dit : « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel » (Ex 3, 4-10)

Ce passage de la vocation de Moïse est un appel personnel de la part d’un Dieu qui se manifeste très paradoxalement: d’un côté, sa transcendance, son inaccessibilité sont manifestées par l’impossibilité de le regarder et d’un autre côté en se faisant reconnaitre comme le Dieu des patriarches, de ses ancêtres, il exprime une certaine intimité, il rappelle les promesses faites autrefois ; d’une certaine façon il fait partie de la famille si l’on peut dire.
A cet appel personnel Moïse, répond un « Me voici » que nous avons déjà entendu dans la bouche d’Abraham et que nous retrouverons plus tard à plusieurs reprises à des moments cruciaux où l’intervention personnelle d’un homme (le plus souvent un prophète) ou d’une femme (Marie, la mère de Jésus) va réorienter le cours de l’histoire. L’impératif de ce  « me voici » (vois moi !) est  une forme d’affirmation de soi face au tout Autre. Ce n’est pas une soumission passive mais l’affirmation positive d’un « Je » et d’une disponibilité.
Ce « me voici » est aussi une réponse personnelle à un appel personnel, une réponse de Moïse à Dieu. Mais «  répondre à… » va impliquer beaucoup plus qu’un échange de parole, Moïse va être engagé dans des actions où il va devoir « répondre de… ». Répondre à quelqu’un c’est déjà s’engager dans un répondre de … c’est prendre une responsabilité comme l’indique l’étymologie de ce mot. Moïse devra répondre de Dieu devant le peuple et du peuple devant Dieu. Telle est la position peu confortable du médiateur.

Son « me voici » le place en médiateur entre un Dieu transcendant et un peuple englué dans un esclavage, subi certes, mais dont il va se montrer parfois complice. Son « me voici » porte en germe toute la difficulté de cette conquête de la liberté et de la responsabilité qui va traverser ce livre. Cette problématique qui se révèle du fond de la souffrance, est au cœur de la culture juive. Elle rejoint aussi notre questionnement sur notre monde moderne, où, au-delà des peuples encore meurtris par des pharaons, des situations dramatiques d’asservissement et de malheurs au sein même d’un monde dit « libéral », questionnent le sens même de ce mot de liberté.

La révélation du Nom de YHWH (Ex 3,10-22)

Dans cette mise en disponibilité par son « Me voici », Moïse ne s’attendait pas à la suite, car quand le contenu de cet appel se fait plus précis, c’est la panique. En effet Yhwh qui a entendu les cris de son peuple, lui fait part de sa décision d’intervenir pour sortir son peuple des mains du pharaon, de l’emmener dans le pays promis à ses pères, « un pays ruisselant de lait et de miel » (expression qui deviendra proverbiale). Pour ce faire, Il lui demande d’intercéder auprès du Pharaon pour qu’il fasse sortir son peuple d’Egypte. Rien que çà ! Moïse qui ne se fait aucune illusion sur l’issue d’une telle démarche se rétracte. Franchement quel poids a-t- il auprès du pharaon pour obtenir une concession pareille?

Dieu a alors cette phrase qui résonnera longtemps dans toute l’histoire biblique et dans les évangiles : « JE SUIS avec toi, dit-il.»

Puis pour le conforter il lui donne un signe :
«  Et voici le signe que c’est moi qui t’ai envoyé : quand tu auras fait sortir le peuple d’Egypte, vous servirez Dieu sur cette montagne. » (Ex 3,12).

Dans l’immédiat on ne voit pas très bien comment ce signe peut l’aider dans sa démarche auprès du pharaon. Dieu se projette dans une situation future où la sortie d’Egypte est acquise. Ce signe sera alors significatif, mais pour le moment on peut comprendre que Moïse cherche autre chose comme signe.
« Moïse dit à Dieu : « Voici ! Je vais aller vers les fils d’Israël et je leur dirai : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. S’ils me disent : Quel est son nom ? – que leur dirai-je ? » (Ex 3,13).

On perçoit bien par cette demande que pour le peuple le lien avec le Dieu de leur père est devenu assez flottant. D’ailleurs le dieu de leurs pères est-il encore efficace dans cette terre étrangère où règnent d’autres dieux apparemment beaucoup plus puissants que le leur? Dans les pratiques rituelles de l’époque, plus proches du magique que du symbolique, la prononciation exacte du nom du dieu et des formules utilisées pour s’adresser à lui était fondamentale. D’où l’importance de connaître précisément le Nom de leur Dieu.

Dieu fait alors cette révélation si cruciale pour l’humanité.
Dieu dit à Moïse : « JE SUIS QUI JE SERAI » (Ex 3,14) « Ehie, acher, ehie »

Ce verset est certainement un des plus commentés de la Bible, car sa compréhension est difficile et l’on voit bien que l’enjeu de l’interprétation de cette phrase est considérable.
La diversité des traductions de la phrase hébraïque qui tourne autour des conjugaisons du verbe être: « Je suis celui qui est », « Je suis qui je suis » « Je suis : je suis » « Je suis celui qui a été, qui est et qui sera » traduit la difficulté de cette transcription.

Comment lire cette phrase ?

-Un premier type de lecture de cette phrase a consisté à dire que Dieu renvoie Moïse à son questionnement. A cause de sa transcendance, on ne peut pas donner un nom à Dieu alors la réponse de Dieu serait une façon de rejeter la question : que t’importe, je suis ce que je suis, point final, dirait-il à Moïse.
Cette lecture est maintenant écartée car la conjonction qui relie les deux déclinaisons du verbe « être » est très forte ; elle a valeur d’une affirmation très positive et pas du tout d’une esquive de la question.

-La difficulté de la traduction vient de la différence de conception du temps dans notre monde et dans celui du monde hébraïque. Cette différence de conception se traduit dans le mode de déclinaison des verbes. En effet pour nous, les conjugaisons des verbes permettent de situer une action dans le temps, le passé, le présent ou le futur. Il n’en est pas de même en hébreu. La conjugaison permet d’indiquer si une action est accomplie ou inaccomplie. Ici le verbe être dans la deuxième partie de la phrase « qui je serai » est à l’inaccompli d’où la traduction par le futur. Mais cette traduction par le futur est néanmoins imparfaite car une action inaccomplie peut aussi bien l’être au passé et au présent qu’au futur. La  traduction « celui qui a été, qui est et qui sera » rend mieux cette permanence dans le temps. Elle est néanmoins insatisfaisante aussi car d’une part elle décline trois fois le verbe être, là où en hébreu il n’est qu’une fois, et d’autre part elle reste dans la conception du temps relativement passive qui est la nôtre, le « temps  qui passe »,  et ne rend pas vraiment cette notion très active du temps qui est caractéristique de la forme hébraïque.

– Une autre lecture est de voir dans cette phrase l’affirmation de l’essence même de Dieu et de son éternité. Il est cependant peu probable que cette affirmation, satisfaisante sur un plan philosophique et théologique, ait pu être perçue comme telle, dans cette dimension abstraite et intellectuelle par Moïse et son peuple. Ils sont à ce moment précis affrontés très concrètement à une situation dramatique. Ils ne font pas de la philo, ils veulent s’en sortir !
Le « Je suis », ce verbe « être » au présent à la première personne, auquel succède le verbe « être » à la troisième personne « Il est », sous la forme de l’inaccompli, un ‘Il’ en action, « en train d’être », un ‘Il’ ineffable et imprononçable nous plonge dans un mystère plus existentiel. Quelque chose est en train de se passer. C’est une parole fraîche, du jour, en chantier. Les mystiques disent tous à leur manière « l’éternité c’est le présent ».  Il s’agit, au moment où la phrase est prononcée d’un face à face entre un « Je » qui est l’existence même et Moi ; cette phrase nous constitue à notre tour chacun individuellement dans la diversité de nos visages comme un « Je ». Elle signifie tout l’enjeu de cette libération d’Egypte : rendre l’homme libre, le rendre capable de s’affirmer comme un « Je » face à  YHWH  pour surmonter à son instar et avec son aide toutes les forces de la mort.

Ce « Nom » constitue le fondement même du judaïsme et  marque une rupture radicale dans l’histoire des religions. Les conséquences dans l’histoire de la pensée et de la philosophie sont incommensurables. L’homme enfermé par la pensée magique, était en quelque sorte enchaîné par un arrière-monde occulte où des oracles sibyllins exprimaient le bon vouloir arbitraire des dieux que l’on essaye d’amadouer par des formules rituelles devant des statuettes. Ce « Je suis YHWH » dévoile le caractère illusoire de toutes les représentations de ces dieux qui ne sont pas. Il libère l’homme de cet arrière-monde religieux et en même temps il le responsabilise, car chaque homme devra porter ce « Je » face à son frère. C’est ainsi qu’à cette révélation libératrice devra succéder un enseignement qui posera les conditions élémentaires à l’exercice d’une relation entre les hommes et mettra chaque individu en face de ses responsabilités. Dans la relation à Dieu, les rites à leur tour, constituants de toute appartenance religieuse, verront leur signification subordonnée à cette relation entre les hommes. La pensée religieuse dominée jusque-là par la pensée magique va devenir éthique.

Les reculades de Moïse  (Ex 4, 1-17)

Malgré toutes les paroles de Yhwh pour le conforter dans cette perspective de libération, Moïse avant même de tenter de surmonter tous les blocages du pharaon ne croit pas pouvoir convaincre le peuple, c’est impossible dit-il. Face à ça, Yhwh va lui signifier ce qu’il en est de l’impossible. Il lui donne alors le pouvoir de réaliser trois prodiges :
Derrière les modalités de ces trois actions magiques spectaculaires (Yhwh se met à la portée de son peuple), quel symbole peut-on lire? Dans le premier prodige un bâton se transforme en serpent, puis redevient serpent après avoir été saisi par la queue. Le serpent et son venin provoque la panique car il incarne la mort. Moïse doit donc faire face et maîtriser la mort. Notons que le sigle des pharmaciens est justement un serpent qui entoure un bâton, le pharmacien est celui qui maîtrise le dosage et sait utiliser ce qui est considéré comme un poison mortel pour en faire un médicament et sauver des vies. La symbolique du second prodige avec la main qui devient lépreuse est similaire: c’est la maitrise de la maladie.  Le dernier prodige touche la nature elle-même, l’eau qui coule du fleuve apportant la vie se transformera en flux de sang, signe de mort. A travers ces trois prodiges, Moïse reçoit des pouvoirs pour maîtriser la vie et la mort.

Cela ne suffit pas pour lui donner confiance et, malgré tout ça, il ne se sent pas capable, il est tellement inhibé par son peu de talent pour la parole :
« Je t’en prie, Seigneur, je ne suis pas doué pour la parole, ni d’hier, ni d’avant-hier, ni depuis que tu parles à ton serviteur. J’ai la bouche lourde et la langue lourde. » (Ex 4,10)

La réponse de Yhwh  jaillit :
« Qui a donné une bouche à l’homme ? Qui rend muet ou sourd, voyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, YHWH.  Et maintenant, va, JE SUIS avec ta bouche et je t’enseignerai ce que tu devras dire. » (Ex 4,11-12)

A noter que cette phrase inspirera Jésus (Mt 10,19) pour conforter ses disciples envoyés en mission.
Mais encore une fois rien n’y fait, Moïse ne veut plus entendre parler de cette affaire.
« Je t’en prie, Seigneur, envoie-le dire par qui tu voudras ! »(Ex 4,13)  

Yhwh se fâche et finalement pour qu’il accepte cette mission, Il se résigne à lui adjoindre son frère Aaron, qui, lui, a la parole facile (Ex 4,14).

Première tentative et premier échec (Ex 4-6)

Moïse alors accepte de partir retrouver son frère et remplir sa mission. « Or, en chemin, à la halte, Yhwh l’aborda et chercha à le faire mourir. » (Ex 4,24). Là on ne comprend pas très bien ce que cherche Yhwh !!! Alors qu’enfin il accepte la mission, Yhwh voudrait le faire mourir ? Nous avons déjà vu une situation similaire dans le combat de Jacob avec l’ange. On retrouve là une tournure de pensée très sémitique qui attribue à Dieu tous les sentiments ressentis par l’homme. On pourrait traduire, comme dans le cas de Jacob : en chemin, Moïse a été envahi par la peur et a été traversé par des pensées de mort.

Surmontant sa peur il repart à la rencontre d’Aaron, il lui transmet toutes les directives de Yhwh. Aaron parle alors au peuple et réalise devant eux tous les prodiges. « Et le peuple crut. Ayant compris que Yhwh  était intervenu en faveur des fils d’Israël et qu’il avait vu leur misère, ils s’agenouillèrent et se prosternèrent » (Ex 4,31).

Moïse et Aaron se présentent alors au Pharaon pour lui demander de laisser partir le peuple dans le désert, prétextant un pèlerinage pour faire des sacrifices à leur Dieu. L’entretien se termine mal. Le Pharaon est furieux et au lieu d’accéder à leur demande il les traite de tous les noms et met encore plus de pression sur eux. La situation devient tellement insupportable pour le peuple qu’il se retourne contre Moïse et Aaron et les accuse : loin de les délivrer, l’action auprès du Pharaon est devenue « une épée pour nous tuer ». Moïse se retourne vers Yhwh et devient même agressif à son égard.

« Pourquoi as-tu maltraité ce peuple ? Pourquoi donc m’as-tu envoyé ? …
tu n’as absolument pas délivré ton peuple. » (Ex 5,23)

Mais Yhwh répète assez solennellement sa promesse, celle qu’il a faite à Abraham et qu’il a renouvelé à chaque génération  (Ex 6,1-8). Et cette promesse va prendre effet maintenant concrètement par la libération de leur servitude. Il utilise pour la première fois cette phrase d’où sourde une grande affection : « je vous prendrai comme mon peuple à moi, et pour vous, je serai Dieu » (Ex 6,7) qui sera reprise souvent par les prophètes.

Moïse retransmet cette promesse au peuple, mais le peuple ne le croit plus. Alors Yhwh lui demande de retourner voir le Pharaon. Stupeur de Moïse qui utilise cette fois-ci une autre expression, « l’incirconcision des lèvres », pour dire qu’il reste coi :
« Voici que les fils d’Israël ne m’ont pas écouté. Comment le Pharaon m’écouterait-il, moi qui suis incirconcis des lèvres ? »  (Ex 6,29)

Yhwh le raffermit une nouvelle fois en lui disant qu’il allait faire de lui un dieu pour le pharaon par la puissance des prodiges et des actions d’éclats qu’il va accomplir en son Nom. Aaron sera son prophète, c’est lui qui parlera à pharaon. Yhwh lui dit qu’il va prendre cette affaire en main et face aux résistances de Pharaon, Il n’hésite pas à se positionner comme chef militaire. Cela peut nous surprendre ou nous choquer aujourd’hui, mais dans le contexte religieux de l’époque c’était parfaitement naturel. Le dieu de chaque peuple était aussi le chef de son armée. Les guerres étaient gagnées par celui des dieux qui était le plus fort. En l’occurrence il s’agit d’une armée de libération.
« Je poserai ma main sur l’Egypte et d’autorité je ferai sortir mes armées, mon peuple, les fils d’Israël, hors du pays d’Egypte. » (Ex 7,4)

Les dix plaies d’Egypte (Ex 7-11)

Moïse et Aaron se présentent donc à nouveau devant le Pharaon pour lui en jeter plein la vue par le prodige d’un bâton qui se transforme en dragon. Mais Pharaon fait venir ses magiciens et là, magie…magie…ils arrivent à en faire autant ! Raté, même si, précise en douce l’auteur, en final les bâtons des magiciens sont engloutis par celui de Moïse. On sait bien que rarement le cœur des hommes change sous l’effet de prodiges et de miracles. C’est certes spectaculaire mais tant que l’on n’est pas touché personnellement, ça glisse. Il faut autre chose.

Va alors s’engager entre Moïse et le Pharaon, soutenu par ses magiciens, un terrible combat qui se traduira par une succession de fléaux s’abattant  sur l’Egypte. Ces malheurs iront crescendo pour tenter de rompre les résistances, de faire sauter les blocages des forces de la mort incarnées par le Pharaon.

Ils commencent par toucher la nature, l’eau du fleuve ne devient plus potable, mais pour le pharaon ce n’est pas si grave (nous ne mourrons pas nous aujourd’hui de nos fleuves pollués !), ça les oblige tout de même à creuser des puits. Ils se font plus gênants avec des grenouilles qui rentrent dans les maisons et se glissent dans les lits. Là c’est assez désagréable mais pas très étonnant, d’ailleurs les magiciens en font tout autant. Moïse, sympathique, demande à Pharaon quand il veut que cela s’arrête. « Demain !» lui répond ce dernier. Et le lendemain plus de grenouilles! Mais … «  Voyant qu’il y avait un répit, le Pharaon s’obstina. Il n’écouta pas Moïse et Aaron, comme l’avait dit Yhwh » (Ex8,11).

Alors Moïse enchaîne avec des moustiques et là les magiciens n’arrivant pas à reproduire le phénomène, s’inclinent et reconnaissent que le bâton de Moïse est « le doigt de Dieu » (Ex 8,15). Mais le Pharaon s’endurcit.

Avec l’invasion de vermines, les résistances de Pharaon semblent s’ébrécher et il accorde à Moïse le droit d’aller faire des sacrifices à son dieu. S’amorce alors entre tous les deux, un petit jeu de cache-cache. Pharaon veut bien que ces sacrifices aient lieu mais à condition qu’il reste dans le pays. Moïse lui réplique que c’est impossible car pour les Egyptiens de tels sacrifices sont une abomination. Voyons dit-il, il faut respecter le peuple Egyptien et éviter de les provoquer car cela pourrait mal se terminer ! Moïse maintient son exigence de partir à trois jours de marche (on pressent dans ces trois jours de marche toute une symbolique): « Je vous laisserai partir et vous sacrifierez à Yhwh, votre Dieu, dans le désert. Seulement n’allez pas trop loin ! Priez pour moi. » (Ex 8,24) dit le Pharaon.
La vie semble avoir gagné, mais comme le commentent des talmudistes, cette naissance à la vie est comme un accouchement, il y aura encore une série de contractions. En effet, Moïse a prié pour que la vermine s’éloigne du pharaon et le Pharaon une fois le danger écarté se contracte à nouveau et refuse de les laisser partir.

Alors des maladies apparaissent :
Elles touchent d’abord le bétail avec la peste qui déciment les troupeaux, bien entendu pas ceux d’Israël. Pharaon envoie des gens constater les dégâts mais cela ne le fait pas bouger.

Puis les hommes eux-mêmes sont atteints. Une épidémie de furoncles envahit le pays. Les magiciens convoqués par le pharaon pour remédier à la maladie n’osent pas se présenter … ils sont couverts de furoncles ! Mais rien n’y fait, le pharaon reste toujours bloqué.

Yhwh demande alors à Moïse de tenir tout un discours au Pharaon pour tenter encore de le convaincre de laisser partir Israël :
«… Laisse partir mon peuple pour qu’il me serve. Car cette fois-ci, j’enverrai tous mes fléaux contre toi-même, contre tes serviteurs et ton peuple, afin que tu connaisses que nul n’est comme moi sur la terre. Si j’avais laissé aller ma main, je t’aurais frappé de la peste, toi et ton peuple, et tu aurais disparu de la terre. Mais voici pourquoi je t’ai maintenu : pour te faire voir ma force, afin qu’on publie mon nom par toute la terre. » (Ex 9,14) 

Nous trouvons dans ce dernier verset un embryon de la théologie du mal. Dieu est très patient, le mal est supporté, il n’est pas détruit arbitrairement par la force, mais au contraire il va être utilisé pour qu’émerge avec encore plus d’éclat la puissance du bien. La vie va naître de la mort elle-même.
Après ce nouvel avertissement de Moïse, deux nouvelles plaies, la grêle et les sauterelles vont couvrir le pays. Les serviteurs du Pharaon commencent à s’inquiéter sérieusement et le supplient de laisser partir les hébreux. Après chacune de ces catastrophes ce dernier semble vouloir lâcher prise et même reconnaître ses fautes, mais toujours au dernier moment il se rétracte.

Alors les ténèbres tombent sur le pays,  les contacts entre Moïse et le Pharaon sont définitivement rompus.
Moïse en colère fait l’annonce d’une très grande tragédie : tous les enfants premiers-nés vont mourir. Les forces de mort incarnées par les résistances du Pharaon iront jusqu’à leur terme : la vie va s’arrêter. Mais dans la nuit, du fond de l’abîme …   le dénouement approche.

La Pâque et la fête des azymes (Ex 12-13)

L’heure est grave et Yhwh veut que l’on marque la solennité de l’évènement :
« Ce mois sera pour vous le premier des mois, c’est lui que vous mettrez au commencement de l’année. » (Ex 12,1)

Puis Yhwh donne ses instructions pour célébrer la nuit qui vient, une nuit qui va être sacralisée par la mise en place de tout un cérémonial. Ce sera la nuit de la libération qui verra le passage de la mort à la vie, la Pâque. Le rite consistera à tuer un agneau ou un chevreau par famille, à badigeonner le linteau de la maison avec le sang de l’animal puis à manger la viande dans des conditions bien précises :
« Mangez-la ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous la mangerez à la hâte » (Ex 12,11)

Les experts pensent que ce rite sacrificiel portant ce nom de « pâque » ou un nom approchant préexistait chez ces peuples nomades avant même la naissance du peuple hébreu. Il consistait à offrir à leur dieu, en sacrifice, l’agneau premier-né de leur troupeau à la première lune du printemps. Les premiers-nés sont signe de vie et comme tels ils appartiennent à Dieu. Leur sacrifice manifeste ce lien. On couvrait les linteaux des portes des maisons avec le sang des animaux sacrifiés pour protéger leurs occupants. Les hébreux auraient donc repris cette fête « païenne » en l’associant à l’évènement fondateur que sera la sortie d’Egypte, obtenue par un dernier fléau,  la mort de tous les premiers-nés d’Egypte liée au refus de Pharaon.

Cette fête de la Pâque s’enrichit d’une portée symbolique nouvelle considérable par cette association avec cet évènement de l’histoire : elle devient signe pour le peuple de libération, le passage à travers la mer rouge donne naissance à un peuple qui se définira par son appartenance au Dieu Yhwh. Le christianisme beaucoup plus tard reprendra toute la symbolique de la Pâque juive. Elle deviendra alors signe précurseur de la mort et de la résurrection de Jésus, le nouveau Moïse. Il y a là un continuum dans une pratique rituelle qui plonge ses racines dans des temps très reculés, archaïques, et dont la portée symbolique et la profondeur spirituelle ne cesseront de s’enrichir dans le temps et de se révéler dans l’histoire par le canal du judaïsme puis du christianisme.

A noter que le mode de calcul de la date de cette fête de Pâque, le premier dimanche après la première lune du printemps selon le calendrier lunaire remonte à cette fête du printemps célébrée à la pleine lune après l’équinoxe du printemps.
A minuit, tous les enfants premiers-nés y compris celui de Pharaon sont morts. Un grand cri s’élève de toute l’Egypte et l’ordre de libérer le peuple arrive :
« Levez-vous ! Sortez du milieu de mon peuple, vous et les fils d’Israël. Allez et servez YHWH comme vous l’avez dit.  Et votre bétail, le petit comme le gros, prenez-le comme vous l’avez dit et allez. Et puis, faites-moi vos adieux ! » (Ex 12,21)

Le peuple égyptien lui-même semble prendre le parti de Moïse, le parti de la vie, tant et si bien qu’il couvre d’or et d’argent le peuple sur le départ.
« YHWH avait accordé au peuple la faveur des Egyptiens qui avaient cédé à leur demande. Ainsi dépouillèrent-ils les Egyptiens » (Ex 12,36) 

La vie va à la vie et la mort va à la mort. Pour exprimer cette même idée, Jésus ira jusqu’à dire cette phrase apparemment scandaleuse « … à celui qui a, il sera donné, et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré » (Mt 13,12)

Etrangement aussi, ce passage du livre de l’exode, par une petite incise spécifie que « tout un ramassis de gens » (Ex 12,38) sont associés au départ. Ainsi donc le rassemblement pour sortir d’Egypte déborde de la stricte appartenance ethnique aux fils d’Israël.

 

La précipitation de ce départ justifie l’association à ce rite pascal d’un autre rite, celui du pain azyme, un pain non fermenté.  Là aussi certains historiens associent à ce rite une pratique très ancienne lors de l’arrivée du printemps. En effet le vieux levain après l’hiver devenait peu comestible et en attendant la venue de la nouvelle récolte, pendant quelques temps on consommait du pain sans levain. Cette pratique d’hygiène alimentaire, ritualisée, était devenue un évènement festif. Ici les hébreux reprennent cette pratique et le pain sans levain deviendra symbole de pureté qui protège du vieux levain (Jésus mettra en garde ses disciples contre le levain des pharisiens). Par ailleurs ce pain qui ne nécessitait pas d’attendre que la pâte monte symbolisera l’urgence de la mise en route pour échapper aux forces de la mort. C’est ainsi que le menu de la fête de Pâque (dans le judaïsme à chaque fête est associé un menu spécifique à forte valeur symbolique) est constitué par de la viande d’agneau et du pain azyme. A noter que dans le christianisme, l’hostie dans la célébration eucharistique, mémorial de la pâque, est toujours du pain azyme.

La sortie d’Egypte (Ex 14) et chant de victoire (Ex 15)

Le caractère épique du récit de la sortie d’Egypte contribue encore à souligner l’importance de l’évènement. Certes l’épisode de la mer qui se fend en deux sous l’action du bâton de Moïse est très invraisemblable. Cependant les historiens imaginent de façon plus vraisemblable qu’un groupe d’esclaves sémites a tenté de fuir le pays. On sait d’après les archéologues qu’à la frontière toute une série de postes de garde avait été construit pour endiguer ces évasions. Ne trouvant pas de passage, le groupe aurait fait route vers la mer comme l’indique le texte, mais une fois tout à fait au nord, face à la mer ils se seraient trouvés coincés avec des troupes égyptiennes à leur trousse. Restait comme seule issue des bancs de sable qui longent les côtes. Ces bancs de sable très dangereux avec les vents et la marée ne sont guère praticables. Le peuple terrorisé par la mer d’un côté et les troupes du pharaon de l’autre s’en prend à Moïse et à son idée de sortir du pays d’Egypte. Alors Moïse prendra le risque de s’aventurer sur ces bancs, l’opération bénéficiant d’une météo favorable réussira tandis que l’armée égyptienne à leur trousse ne pourra pas passer (changement météorologique, chargements trop lourds ?).

Le peuple sorti des eaux, en quelque sorte mis au monde, est guidé par une nuée, signe de la présence divine. La présence de Yhwh est certes voilée mais cette présence néanmoins éclaire, guide et instruit, comme nous le verrons dans les prochains chapitres de ce livre de l’Exode.

Le sens fondamental de cet épisode est donné dans la conclusion du chapitre 14 :
« YHWH, en ce jour-là, sauva Israël de la main de l’Egypte, et Israël vit l’Egypte morte sur le rivage de la mer.  Israël vit avec quelle main puissante YHWH avait agi contre l’Egypte. Le peuple craignit YHWH, il mit sa foi dans YHWH et en Moïse son serviteur. » (Ex 14, 30-31)

Avec cette image de l’Egypte (symbole de mort) qui meurt sur le rivage de la mer (symbole aussi de la mort), c’est la mort de la mort. La mort meurt là où la terre, le rivage a pris le dessus sur les forces terrifiantes de la mer. YHWH est vainqueur de la mort. Le peuple est libre.

Un hymne triomphal, d’un grand souffle épique (Ex 15), vient ponctuer solennellement ce moment historique. Myriam, la sœur de Moïse en reprend le refrain au son du tambourin dans une sorte de cris de victoire :

« Chantez le SEIGNEUR, il a fait un coup d’éclat.
Cheval et cavalier, en mer il les jeta ! » (Ex 15,21) 

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