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Voyants et devins

De tout temps, les hommes, parce qu’ils étaient en situation difficile, qu’ils devaient prendre une décision importante, ou tout simplement par curiosité sur leur avenir, se sont tournés vers des personnages censés être en relation particulière avec le divin.
Nous en avons perçu des échos dans les livres historiques qui précèdent.  Dans le premier livre de Samuel, un certain Saül qui a perdu son troupeau d’ânesse cherche un voyant, car autrefois, en Israël, on avait coutume de dire quand on allait consulter Dieu : « Venez, allons trouver le voyant. » Car, le « prophète » d’aujourd’hui, on l’appelait autrefois le « voyant » (1S 9,9).
Ces voyants chargés de prédire l’avenir pouvaient devenir des fonctionnaires rattachés aux temples, ou à la cour impériale. En effet, tous les rois ou les empereurs étaient des demi-dieux qui asseyaient leur autorité sur leurs liens avec les dieux et pour établir ce lien, ils s’entouraient  de devins professionnels dotés de techniques divinatoires.

Le prophète Samuel joue ce rôle de voyant auprès du roi Saül. Le prophète Nathan tient une grande place auprès du roi David, il intervient à plusieurs reprises, à des moments cruciaux de son histoire.
On prêtait souvent à ces personnages des dons de thérapeute ; c’est ainsi que dans le livre des rois, Elie et Elisée sont reconnus comme prophètes après des guérisons miraculeuses.

Bandes de prophètes

On trouve aussi dans ces régions de l’est méditerranéen, d’autres types de devins spécialistes de l’extase qui se mettaient dans des états seconds  pour entrer en communication avec la divinité. Possédés par elle, leur bouche devient la bouche même de dieu et saisis de convulsions ce qu’ils prononcent devient oracle.

Ces sociétés primitives sont très friandes de ces transes divinatoires. Pour atteindre ces états de délire, toutes sortes de techniques étaient utilisées telles que la musique, des danses très rythmées, des battements de mains, des cris, des mutilations.

Saül envoya des émissaires pour s’emparer de David. Ils aperçurent la communauté des prophètes en train de prophétiser, et Samuel debout à leur tête. L’esprit de Dieu s’empara des émissaires de Saül, et ils entrèrent en transe eux aussi. On le rapporta à Saül qui envoya d’autres émissaires ; ils entrèrent en transe eux aussi. Saül envoya un troisième groupe d’émissaires ; ils entrèrent en transe eux aussi (1S 19,20).

Ce dernier passage montre bien qu’il y eut en Israël, à une certaine époque (entre 1200 et 700 av. J.C.) à l’instar des peuples environnants, des bandes de prophètes, de l’hébreu « bene-nebiim » que l’on traduit dans nos bibles par « fils de prophètes » ou « frères prophètes ».
Nous en avons trouvé la trace dans différents lieux : à Guivéa (1S 10,10), à Rama (1S 19,19), à Béthel (2R 2,3), à Jéricho (2R 2,5), à Samarie (1R 22,10).
Nous avons vu la reine Jézabel massacrer cinq-cents prophètes de Yhwh (1R 18).
On pense qu’il existait des communautés, vivant pauvrement un peu à part de la société, spécialisées dans l’animation de la liturgie et dans les exercices d’extase.
Ainsi Samuel avertit Saül : Là quand tu entreras dans la ville, tu tomberas sur une bande de prophètes, descendant du haut lieu, précédés de harpes, de tambourins, de flûtes et de cithares. Ils seront en proie à une transe prophétique. Alors fondera sur toi l’esprit de Yhwh, tu entreras en transe avec eux et tu seras changé en un autre homme (1S 10, 5).

La société pouvait se méfier de ces groupes marginaux. Le peuple ironise sur les délires paranoïaques de Saül  « Saül est-il aussi parmi les prophètes ? » (1S 10,11). Des gamins se moquent d’Elisée « vas- y, tondu ! vas-y ! » (2R 2,23).
Elie en affrontant seul les cinq cents prophètes de Baal, se moque de  leurs gesticulations : « Criez plus fort, c’est un dieu : il a des préoccupations, il a dû s’absenter, il a du chemin à faire ; peut-être qu’il dort et il faut qu’il se réveille » (1R 18,27).
(…) Et ils dansèrent auprès de l’autel (…) Ils crièrent plus fort et, selon leur coutume se tailladèrent à coups d’épées et de lances, jusqu’à être tout ruisselants de sang (1R 18,28).

Plus tard, Esaïe fera une description sévère du comportement de certains prophètes d’Israël : De même, prêtres et prophètes sont égarés par le vin, ils titubent sous l’effet de boissons fortes, la boisson les égare, le vin les engloutit, (…), ils s’égarent dans les visions, ils trébuchent en rendant leurs sentences. Toutes les tables sont couvertes de vomissements infects : pas une place nette ! (Es, 28,7-8).

Il y a donc une ambivalence fondamentale, originelle, dans la perception du prophétisme. Tantôt les prophètes sont perçus positivement comme des groupes contestataires, qui par leur vie austère et nomade, rappellent à l’ordre une société inégalitaire qui s’embourgeoise, tantôt leurs extases paraissent suspectes, sinon ridicules.

Cette ambivalence persiste de nos jours dans notre perception des chamans d’Amérique latine ou des Marabouts en Afrique par exemple, qui sont à la fois des sages, des thérapeutes mais aussi des devins qui frisent le charlatanisme, pour ne pas dire des sorciers avec l’usage de pratiques magiques.

Emergence d’un nouveau type de prophètes.

Le prophétisme biblique émergent bien sur le terreau prophétique  commun à toutes les civilisations, mais progressivement il s’en démarque en dénonçant clairement les actes de divinations : Ne pratiquez pas la divination ; n’y recourez pas, car cela vous rendrait impurs. C’est moi, Yhwh, votre Dieu (Lv 19,31).

Or Samuel était mort, tout Israël avait célébré son deuil et l’avait enseveli à Rama, sa ville. Et Saül avait aboli la pratique de la divination dans le pays (1S 28,3).

Dans le livre du Deutéronome, avant de rentrer en terre promise et après avoir affecté les prêtres de la tribu de Levi au culte, Moïse met en garde le peuple contre les pratiques cultuelles et divinatoires des populations de ce pays : Quand tu seras arrivé dans le pays que Yhwh ton Dieu te donne, tu n’apprendras pas à agir à la manière abominable de ces nations-là : il ne se trouvera chez toi personne pour faire passer par le feu son fils ou sa fille, interroger les oracles, pratiquer l’incantation, la magie, les enchantements et les charmes, recourir à la divination ou consulter les morts. Car  tout homme qui fait cela  est une abomination pour Yhwh, et c’est à cause de telles abominations que Yhwh ton Dieu dépossède les nations devant toi (Dt 18, 10-12).

La Loi de Moïse exige une rupture avec les formes traditionnelles du sacré et ses incantations divinatoires. Le peuple que Yhwh veut créer doit sortir de la pensée magique et vivre selon l’éthique enseignée dans la Loi.

Néanmoins, malgré l’enseignement de Yhwh censé guider le peuple en toutes circonstances, concrètement, dans un contexte politique et social particulier, un intermédiaire entre Dieu et les hommes paraît nécessaire. Yhwh n’a-t-il pas promis lui-même à Moïse qu’il susciterait du milieu du peuple des prophètes qui porteront la parole de Yhwh ?
Ces nations que tu déposséderas écoutent ceux qui pratiquent l’incantation et consultent les oracles. Mais pour toi, il n’en sera pas de même, ainsi que l’a établi Yhwh ton Dieu : c’est un prophète comme moi que Yhwh ton Dieu te suscitera du milieu de toi, d’entre tes frères ; c’est lui que vous écouterez. (…)  je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai (Dt 18,14-18).

De fait pendant la période des juges, des interventions divines via certains personnages sauvèrent le peuple, ensuite l’intervention de Samuel fût nécessaire pour établir la royauté, puis celle de Nathan pour la conforter. Une fois la monarchie établie, à l’instar des pays voisins, c’est le roi assisté de prophètes professionnels qui est censé être le relais entre Yhwh et son peuple.
Avec Elie et Elisée, en conflits avec la royauté, émerge un type inédit de prophète qui se sépare de tout cadre institutionnel. C’est ainsi qu’à partir du huitième siècle, qui correspond à la période axiale définie par Karl Jasper, une nouvelle forme du prophétisme apparait*.*Cf. Tome 1 p.20-26

Des individus hors institution, reçoivent un appel personnel de Yhwh pour intervenir auprès du peuple et des autorités. Leurs grilles de lecture des événements politiques, la puissance de leurs diatribes contre la vie sociale et religieuse – doublée pour beaucoup d’un grand talent d’écrivain – conduira le peuple, à travers toutes les épreuves qu’il traverse, dans un long travail de recherche de compréhension de leur histoire et d’affermissement de leur confiance en Yhwh.

Vrais et faux prophètes

Mais il y a tout de même un problème, car déconnecté de toute institution, tout le monde peut se proclamer prophète et parler au nom de Yhwh.

Mais si le prophète, lui, a la présomption de dire en mon nom une parole que je ne lui aurai pas ordonné de dire, ou s’il parle au nom d’autres dieux, alors c’est le prophète qui mourra (Dt 18,20). 

Oui, mais alors comment distinguer un vrai prophète d’un charlatan ?
Peut-être te demanderas-tu : « Comment reconnaîtrons-nous que ce n’est pas une parole dite par Yhwh ? Si ce que le prophète a dit au nom de Yhwh ne se produit pas, si cela n’arrive pas, alors ce n’est pas une parole dite par Yhwh, c’est par présomption que le prophète l’a dite. Tu ne dois pas en avoir peur ! (Dt 18,21-22)

Le critère est clair, mais peu rassurant, il faudra attendre longtemps, parfois très longtemps au regard d’une vie humaine pour pouvoir faire la distinction entre le vrai et le faux prophète. Dans l’immédiat de l’action du prophète, on reste sur la question.

Le prophète Esaïe se trouvera affronté à ce problème. Et si l’on vous dit : « Consultez ceux qui pratiquent la divination, ceux qui sifflotent et murmurent ; un peuple ne doit-il pas consulter ses dieux, les morts en faveur des vivants ? » (Es 8,19).
Il répond : A l’instruction et à l’attestation ! S’ils ne s’expriment pas selon cette parole, pour eux point d’aurore… (Es 8,20).

Autrement dit, tout un chacun par l’étude, de l’histoire passée, des enseignements de la Tora,  des prophètes précédents, est amené à faire preuve de discernement. S’il n’y a pas de cohérence avec l’enseignement, le devin est alors un charlatan.

Dans le livre des Nombres, alors que l’autorité de Moïse est contestée,  « est-ce donc à Moïse seul que Yhwh a parlé ? Ne nous a-t-il pas parlé à nous aussi ? », un autre critère de discernement nous est donné, l’humilité du prophète. Et Yhwh l’entendit. Moïse était un homme très humble, plus qu’aucun homme sur terre (Nb 12,2).

De fait coexisteront en Israël des prophètes institutionnels qui caressent le pouvoir dans le sens du poil, et des prophètes épris de fidélité religieuse qui contestent énergiquement le despotisme des rois et leur infidélité à Yhwh.

Le prophète au cœur de la Révélation

La parole prophétique est au cœur de la Révélation. Elle crée un écart avec les pratiques cultuelles et une obéissance purement formelle à la Loi.

L’obéissance* des prophètes à la parole entendue (*obedirer= écouter), loin de s’exprimer par une soumission à l’ordre établi, subvertit cet ordre, passe au-dessus des instances politiques et religieuses considérées comme sacrées.

Ainsi parle Yhwh : « alors j’ai déshonoré les sacro-saintes autorités » (Es  43,28).

Il apparaît paradoxalement que l’obéissance à la parole est moins un appel à une soumission qu’une exigence de transgression. Cette contestation des autorités et de l’ordre établi, les prophètes la paieront cher, parfois de leur vie.
Leur message, tout en s’attaquant à l’actualité et à ses dérives, est résolument tourné vers l’avenir. Cet avenir, ils le voient qui approche avec son double visage, de catastrophe politique et d’une perspective de salut avec la promesse d’un nouveau type de roi, un Messie.

Cependant l’indéniable rupture avec l’ordre établi ne doit pas voiler une profonde continuité : loin de repartir à zéro, les prophètes portent tous les points de la révélation biblique : la Loi, le culte, la royauté, la terre,… en les renouvelant tous. Il n’y a pas rejet ou perte, mais métamorphose. Avec eux, apparait progressivement -pour reprendre la terminologie de Lacan- la dimension symbolique de la promesse faite à Abraham et à Moïse, qui donnera ainsi à cette promesse une ampleur que personne ne pouvait imaginer.

La voie ouverte par le prophétisme stimule l’intelligence, ouvre les cœurs et donnera naissance, après le retour d’exil de Babylone, au grand essor spirituel du judaïsme.

Quels sont les prophètes écrivains de la Bible ?

On classe traditionnellement dans la bible les écrits des prophètes en deux catégories, les grands et les petits prophètes. Le qualificatif de « petit » n’est pas à prendre dans un sens péjoratif, il est tout simplement lié à la taille de leurs écrits. Les petits prophètes sont au nombre de douze que nous citons dans l’ordre de leur apparition dans l’histoire:
Amos, Osée, Michée, Nahum, Sophonie, Habaquq, Agée, Abdias, Jonas, Joël, Zacharie et Malachie.

Les grands prophètes sont au nombre de trois : Esaïe, Jérémie et Ezéchiel. Ce sont les livres les plus longs de la Bible.

Dans le cadre de ce deuxième volume sur la Bible, nous ne pouvons pas commenter la totalité  de ces auteurs, nous nous limiterons aux grands prophètes et aux trois premiers « petits » prophètes, pour souligner l’importance de leurs messages, aujourd’hui.

Ces prophètes ont-ils écrit eux-mêmes ces textes ?

Les experts s’accordent pour dire que si certains ont pu transcrire eux-mêmes, par écrit, une partie de leurs oracles, les livres tels que nous les connaissons sont l’œuvre de disciples ou de témoins. On imagine que s’est constitué au fil du temps un milieu prophétique, indépendant des pouvoirs établis, doté de moyens importants qui ont rendu possible l’édition d’une telle quantité d’écrits.

Le courant prophétique d’Israël constitue un phénomène unique aux conséquences universelles et irréversibles dans l’histoire religieuse de l’humanité, en particulier par l’écho qui lui en sera donné au-delà du judaïsme, par le christianisme.
La spécificité des prophètes d’Israël, par rapport aux grands maîtres spirituels d’Orient, réside d’une part dans leur implication sociale et politique, et d’autre part dans leur référence permanente à l’Histoire: mémoire du passé, analyse du présent et annonces d’événements futurs.

Enfin, ils sont à l’origine d’un genre littéraire qui se développera après le courant prophétique, le genre apocalyptique, qui par l’usage de symboles multiples tente de décrire la fin des temps et le sens de l’histoire.

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