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  • Introduction

Ce prophète commence sa mission très jeune, probablement autour de 615 sous le règne du roi de Juda, Josias, 100 ans après la disparition du royaume du Nord.  Quelques années auparavant (autour de 620) un événement avait marqué le règne de Josias: la découverte dans le temple d’un livre, « le livre de la Loi » dont il fit une lecture publique (2R 22). Cette découverte engagea le roi dans une réforme politique et religieuse. Hélas cette tentative ne fera pas long feu. C’est dans ce contexte que Jérémie est appelé par Yhwh.
Sa mission d’emblée s’annonce difficile, elle sera en fait encore beaucoup plus douloureuse qu’il ne pouvait l’imaginer alors.

Ce livre est un recueil très important (52 chapitres) de prophéties, d’invectives contre l’assurance des riches, les déviations religieuses des prêtres, les décisions politiques des rois, l’âpreté aux gains de tous, grands et petits.
En cela il est dans la ligne des prophètes que nous avons vus, Amos, Osée, Michée et le premier Esaïe (Es 1-39) ; mais sans doute plus qu’eux, il sera impliqué très personnellement et physiquement dans la situation du pays.

Après le règne de Josias et ses réformes religieuses, le pays a connu un certain répit et s’est même enrichi ; mais ses successeurs n’ont pas persévéré dans cette voie.

Après des appels désespérés à la conversion, le dialogue entre Yhwh et le peuple semble définitivement rompu, alors Jérémie se doit d’annoncer un désastre d’une ampleur inconnue jusqu’ici. Jérémie va ressentir dans sa chair les répercussions de cette impasse.

Ce livre contient des passages bouleversants sur le drame intérieur vécu par Jérémie. Sa grande solitude, l’abandon de toute sa famille, les menaces émanant de tous les corps constitués l’amènent à se plaindre auprès de Yhwh, à l’interpeller sur sa justice et finalement à réclamer vengeance. Pourtant la puissance de la parole de Yhwh qu’il ne peut s’empêcher de dévorer est telle que ses « coups de gueule » enclencheront un tournant dans l’histoire biblique.

Après la catastrophe (déportation à Babylone), Jérémie, en fin de carrière, rappellera la fidélité de Dieu et annoncera une nouvelle ère.

Le souvenir de la souffrance et des lamentations de ce prophète laisseront des traces dans notre vocabulaire avec le mot « jérémiade » qui rend bien mal compte de la portée de cette expérience spirituelle sur l’évolution religieuse de l’humanité.

La lecture continue du livre est rendue difficile par l’entrelacement permanent de différents thèmes : dossier d’accusation, exhortations, dénonciations des illusions du culte, plaintes personnelles, promesse de renaissance.

Ces différents thèmes sont ici regroupés par paragraphes.

Les derniers chapitres du livre (Jr 36-52) sont des documents annexes sur les événements.

Vocation et vision

Le livre commence par le récit de sa vocation (Jr 1):
«La parole du seigneur Yhwh s’adressa à moi :
« Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ;
avant que tu ne sortes de son ventre, je t’ai consacré ;
je fais de toi un prophète pour les nations. »
Je dis : « Ah ! Seigneur DIEU, je ne saurais parler, je suis trop jeune. »
Le seigneur Yhwh me dit : « Ne dis pas : Je suis trop jeune. Partout où je t’envoie, tu y vas ; tout ce que je te commande, tu le dis ; n’aie peur de personne : je suis avec toi pour te libérer– oracle du seigneur Yhwh. »
Le seigneur Yhwh, avançant la main, toucha ma bouche, et le seigneur Yhwh me dit : « Ainsi je mets mes paroles dans ta bouche. Sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les nations et sur les royaumes, pour déraciner et renverser, pour ruiner et démolir, pour bâtir et planter. »

Cet appel est vécu par lui comme une contrainte, il cherche à y échapper en prétextant sa grande jeunesse. A plusieurs reprises il s’en plaindra très vigoureusement, mais par ailleurs il revendiquera cet aspect direct et personnel de cet appel pour contester les prophètes institutionnels qui caressent les autorités dans le sens du poil.

Sa première vision, celle d’un amandier, s’éclaire par un jeu de mot entre ’amandier’ et ‘vigilance’ (shaqéd et shoqéd) pour signifier que la parole qu’il doit transmettre s’accomplira bien.

La seconde vision annonce une menace terrible venant du nord :
«C’est du nord qu’est attisé le malheur, pour tous les habitants du pays » (Jr 1,14).

Dossier d’accusation

Yhwh ouvre le dossier d’accusation contre son peuple. A la manière d’Osée, il rappelle son amour pour son peuple comparé à une jeune mariée choyée au temps du désert :
« Je te rappelle ton attachement, du temps de ta jeunesse, ton amour de jeune mariée ;
tu me suivais au désert dans une terre inculte … » (Jr 2,2)

et maintenant le peuple s’est éloigné en vénérant des idoles:
« Ils ont couru après des riens et les voilà réduits à rien » (Jr 2,5)
 «… ils m’abandonnent, moi, la source d’eau vive, pour se creuser des citernes,
des citernes fissurées qui ne tiennent pas l’eau » (Jr 2,13)

Les mots du prophète se font très crus. Israël est comparé à une prostituée qui loin de s’appuyer sur Yhwh, son époux, ne fait que s’égarer.
Il supplie le peuple d’analyser sa conduite, de reconnaître ses égarements.
« Vois ta conduite… reconnais ce que tu fais.
Une chamelle légère qui entrecroise ses traces ! Une ânesse sauvage habituée à la steppe !
En chaleur, elle renifle le vent ; son rut, qui peut le refouler ?
Tous ceux qui la cherchent n’ont pas à se fatiguer, ils la trouvent en son mois. » (Jr 2,23)
Lui Yhwh voudrait guider son peuple, mais ses rois, ses prêtres s’appuient sur des dieux en bois ou en pierre puis  « dès qu’ils sont malheureux, ils me disent :
« Lève-toi ! Sauve-nous ! » Où sont-ils les dieux de ta fabrication ? Qu’ils se lèvent s’ils peuvent te sauver quand tu es malheureuse, puisque tes dieux sont devenus aussi nombreux que tes villes, ô Juda ! » (Jr 2,28)

Yhwh ne peut plus tolérer une telle inconscience :
« Le sang des pauvres, des innocents, se trouve jusque sur les pans de tes vêtements » (Jr 2,34)
Les autorités qui n’écoutent plus la Parole de Yhwh perdent le sens de la réalité :
« Les bergers sont abrutis : ils ne cherchent pas Yhwh. C’est pourquoi ils sont sans compétence et tout le troupeau est à l’abandon… » (Jr 10,21)

Les conséquences de cette inconsistance se font très menaçantes :
« On perçoit une rumeur qui approche, un grand ébranlement venant du pays du nord pour transformer les villes de Juda en désolation, en repaires de chacals. » (Jr 10,22)

Les dirigeants se fourvoient et se bercent d’illusion en cherchant des alliances politiques, que ce soit du côté de l’Egypte ou du côté de l’Assyrie.
« Comme tu t’avilis en variant tes intrigues ! Tu récolteras autant de honte de l’Egypte que de l’Assyrie. De là aussi tu sortiras les mains sur la tête. Oui, Yhwh méprise ton système de sécurité ; ce n’est pas ainsi que tu réussiras. » (Jr 2,36)

La responsabilité du peuple est considérable car non seulement, l’enrichissement indu de certains, les crimes contre les pauvres vont précipiter le peuple dans la catastrophe et l’exil (5,10-19), mais l’ordre cosmique lui-même, créé par Yhwh sera perturbé.

Ce n’est pas Yhwh qu’ils offensent par leurs actes, par leurs infidélités en allant sacrifier à des idoles, mais plutôt l’homme lui-même et c’est la nature tout entière dont Yhwh lui avait donné la responsabilité (Cf  Gen, 2), qui va en payer le prix, par un retour au chaos (Jr 4,23) conséquence du désordre introduit par l’homme :
« Ayez du respect pour Yhwh notre Dieu, lui qui donne la pluie au bon moment, celle d’automne et du printemps, et qui nous garde les semaines fixées pour la moisson. Ce sont vos crimes qui perturbent cet ordre, vos fautes qui font obstacle à ses bienfaits » (Jr 5,25)
«  Est-ce bien moi qu’ils offensent ? Oracle de Yhwh, n’est-ce pas plutôt eux-mêmes ? »
.. .sur les hommes et les bêtes, sur les arbres de la campagne et les fruits de la terre,
c’est un feu qui ne s’éteint pas » (
Jr 7,20)
«…La terre devient un champ de ruines» (Jr 7,34).

Yhwh peut-il laisser faire ?

Face à tant d’infidélités et d’injustices, Yhwh apparait désorienté et interrogatif :
«  Dans ces conditions, comment te pardonner ?
Tes fils m’abandonnent, ils prêtent serment par les non-dieux.
Je les ai comblés, et pourtant ils commettent l’adultère, ils se bousculent chez la prostituée. Des étalons en rut, bien membrés ! Chacun hennit après la femme de l’autre.
Ne dois-je pas sévir contre eux ?
Oracle de Yhwh.
Ne dois-je pas me venger d’une nation de cette espèce ? » (
Jr 5,7-9)

Peut-il laisser ainsi réussir ceux qui s’en mettent plein les poches ?
« Tel un panier plein d’oiseaux, leurs maisons sont pleines de rapines :
c’est ainsi qu’ils deviennent grands et riches, gras et reluisants.
Ils battent le record du mal, ils ne respectent plus le droit, le droit de l’orphelin;
et ils réussissent. Ils ne prennent pas en main la cause des pauvres.
Ne dois-je pas sévir contre eux ? »(
Jr 5,29)

… et laisser tranquille ceux qui mentent, ceux qui utilisent un double langage pour piéger leurs frères ?
« Flèche meurtrière que sa langue ! Il profère la tromperie.
Des lèvres, on offre la paix à son compagnon,
mais dans le cœur, on lui prépare un guet-apens.
Ne dois-je pas sévir contre eux ? – oracle de Yhwh.
Ne dois-je pas me venger d’une nation de cette espèce ?
(
Jr 9,7)

Yhwh semble osciller entre punir immédiatement ou  faire preuve encore de patience. Jérémie lui ne veut pas faire les frais de ce questionnement et penche pour la vengeance :
« Toi, tu sais ! Yhwh, fais mention de moi, prends soin de moi, venge-moi de mes persécuteurs. Que je ne sois pas victime de ta patience !
C’est à cause de toi, sache-le, que je supporte l’insulte. »( Jr 15,15)

Exhortations et Appel à un renouveau

L’image de la femme infidèle qui va se prostituer avec d’autres dieux, pour qualifier le comportement d’Israël est reprise une nouvelle fois. Il supplie le peuple de tendre l’oreille et de revenir.
« Reviens donc, Israël-l’Apostasie … ,ma présence ne vous sera plus accablante.
Oui, je suis un ami fidèle – oracle de Yhwh »
(Jr 3,12)
Yhwh rêve de « te donner un pays de cocagne, un patrimoine qui soit, parmi les nations, d’une beauté féerique.» Et je disais : « Vous m’appellerez “Mon Père”, vous ne vous détournerez plus de moi. » (Jr 3,19).
«Alors Si tu reviens, Israël … c’est à moi que tu dois revenir. Si tu ôtes tes saletés de devant ma face, alors tu ne vagabonderas plus. Si tu prêtes serment :
« Par la vie de Yhwh ! », dans la vérité, dans le droit et la justice, alors les nations se béniront en son nom » (Jr 4,1)

La sagesse est de comprendre ce qui se passe :
« Si quelqu’un est sage, qu’il comprenne et qu’il proclame :
Pourquoi le pays est-il ruiné ? Brûlé comme le désert où personne ne passe ? » (
Jr 9,11)

Le vrai remède, la vraie sagesse, c’est la connaissance de Yhwh, l’application du droit et de la justice sur la terre et faire preuve d’une certaine forme d’humilité futée.
« Ainsi parle YHWH : Que le sage ne se vante pas de sa sagesse Que l’homme fort ne se vante pas de sa force ! Que le riche ne se vante pas de sa richesse !
Si quelqu’un veut se vanter, qu’il se vante de ceci : d’être assez malin pour me connaître, moi, YHWH qui met en œuvre la bonté fidèle, le droit et la justice sur la terre. Oui, c’est cela qui me plaît– oracle de YHWH » (Jr 9,22)

Dénonciations des illusions du culte

Au lieu d’écouter la parole de Yhwh, ils croient pouvoir conjurer le malheur par des sacrifices. Yhwh n’en veut plus et annonce la dévastation qui va venir du nord. Dans ces conditions le culte et les sacrifices à Yhwh n’ont aucun sens :
« Qu’ai-je à faire de l’encens importé de Saba ?…Vos holocaustes je n’en veux pas, vos sacrifices ne me sont pas agréables » (Jr 6,20)

En l’an 608, Jérémie est amené à faire un long discours devant le temple (Jr 7,1-34), discours retranscrit aussi au chapitre 26.  A la porte du temple, Jérémie désillusionne le peuple qui croit pouvoir se réfugier dans ce lieu sacré. Ce que demande Yhwh n’est pas de se raccrocher au culte, le culte n’est plus que paroles illusoires, le temple n’est plus la maison de Yhwh, car Yhwh n’y voit plus qu’une caverne de bandit (7,11). Il leur demande d’arrêter de l’invoquer et de cesser plutôt d’exploiter les pauvres, les immigrés et de respecter le droit social :
« Changez votre manière d’agir pour que je puisse habiter en ce lieu.
Ne vous bercez pas de paroles illusoires en répétant :
« Palais de Yhwh, palais de Yhwh, palais de Yhwh, il est ici » ! …
Mais plutôt amendez votre conduite en défendant activement le droit dans la vie sociale ; n’exploitez pas l’immigré, la veuve et l’orphelin… » (
Jr 7,3-6)
« Les Judéens font le mal que je réprouve – oracle de YHWH ; ils déposent leurs saletés dans la Maison sur laquelle mon nom a été proclamé ; ainsi la rendent-ils impure. » (Jr 7,30).

Le mal est tel que Jérémie annonce la destruction du temple  (Cf  Mt 21,13).
« …eh bien, la Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, dans laquelle vous mettez votre confiance, et le lieu que j’ai donné à vous et à vos pères, je les traiterai comme j’ai traité Silo. Je vous rejetterai loin de moi comme j’ai rejeté tous vos frères, toute la descendance d’Ephraïm» (Jr 7,14).

Jérémie va encore plus loin, après le Temple, c’est la Loi elle-même qui est questionnée.  Le peuple pense se rassurer en s’appuyant sur la Loi, mais Yhwh dénonce là aussi cette fausse sécurité. La Loi elle-même est pervertie :
« Oui, elle est devenue une loi fausse sous le burin menteur des juristes » (Jr 8,8)

Au chapitre 26, nous avons un autre récit de la prédication de Jérémie sur le parvis du temple. Il est alors menacé de mort.
Au chapitre 36, les oracles de Jérémie écrits par son secrétaire Baruch sont lus devant le roi Yoyaqim qui, imperturbable, anéantit par le feu, morceau par morceau, le rouleau portant ces textes incroyables (Jr 36,23).
Le dialogue entre Yhwh et le peuple semble bien définitivement rompu.

Ce récit symbolise bien l’échec de la prédication de Jérémie durant toute cette première période de son ministère.

Drame personnel et solitude de Jérémie

Face au verdict de Yhwh et aux désastres qu’il est chargé d’annoncer, Jérémie est atteint dans sa chair :
« Mon ventre ! mon ventre ! je me tords de douleur… » (Jr 4,19)

Il plonge dans le noir :
« Mon affliction est sans remède, tout mon être est défaillant…
A cause du désastre de mon peuple je suis brisé
je suis dans le noir : la désolation me saisit » (
Jr 8,18,21)
« Moi, j’étais comme un agneau docile, mené à la boucherie ; j’ignorais que leurs sinistres propos me concernaient : « Détruisons l’arbre en pleine sève, supprimons-le du pays des vivants ; que son nom ne soit plus mentionné ! » » (Jr 11,19)

Yhwh le condamne à la solitude, il n’aura ni femme, ni enfants  (Jr 16,1).

Plaintes de Jérémie face au désastre

« Écoutez, soyez tout oreille, ne le prenez pas de haut…
Si vous n’écoutez pas, je vais me désoler dans mon coin à cause d’une telle suffisance
mes yeux vont pleurer, pleurer, fondre en pleurs :
le troupeau de Yhwh part en captivité » (Jr 13,15)

Jérémie supplie Yhwh de détourner sa colère de lui, pour la porter sur ceux qui le méconnaissent :
« Yhwh je le sais, l’homme n’est pas maître de son chemin
le pèlerin ne fixe pas lui-même sa démarche.
Corrige moi, Yhwh, mais avec mesure et non avec colère, car tu me réduirais à rien.
répands ta fureur sur les nations qui te méconnaissent… » (Jr 10,23).

Parfois dans sa souffrance, il perçoit une parole de réconfort très énigmatique :
« Quel malheur, ma mère, que tu m’aies enfanté, moi qui suis, pour tout le pays, l’homme contesté et contredit. Je n’ai ni prêté ni emprunté, et tous me maudissent.
Yhwh dit : « Je le jure, ce qui reste de toi est pour le bonheur; je le jure, je ferai que l’ennemi te sollicite au moment du malheur et de l’angoisse… »  (Jr 15,10)

Ce que Jérémie reproche à Dieu :
« Yhwh tu as abusé de ma naïveté, oui, j’ai été bien naïf ; avec moi tu as eu recours à la force et tu es arrivé à tes fins. A longueur de journée, on me tourne en ridicule, tous se moquent de moi. Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois appeler au secours et clamer : « Violence, répression ! »A cause de la parole de Yhwh, je suis en butte, à longueur de journée, aux outrages et aux sarcasmes. » (Jr 20,6)

Jérémie, déprimé, en vient à maudire la vie :
« Maudit le jour où je fus enfanté ;
le jour où ma mère m’enfanta, qu’il ne devienne pas béni
… pourquoi donc suis-je sorti du sein, pour connaître peine et affliction
pour être chaque jour miné par la honte » (Jr 20,14-18)

La Parole de Yhwh qu’il doit porter, le détruit :
« En moi tout ressort est brisé, je tremble de tous mes membres.
Je deviens comme un ivrogne, un homme pris de vin,
à cause de Yhwh, à cause de ses paroles saintes » (Jr 23,9)

Puissance régénératrice de cette Parole

Et pourtant …  Il ne peut échapper à cette parole qui lui tient les tripes, le dévore de l’intérieur :
Quand je dis : « Je n’en ferai plus mention, je ne dirai plus la parole en son nom », alors elle devient au-dedans de moi comme un feu dévorant, prisonnier de mon corps ; je m’épuise à le contenir, mais n’y arrive pas (Jr 20,9)

Plus difficile encore à comprendre, au cœur même de ses malheurs, cette parole lui donne la joie :
« Dès que je trouvais tes paroles, je les dévorais. Ta parole m’a réjoui, m’a rendu profondément heureux. Ton nom a été proclamé sur moi, Yhwh, Dieu de l’univers. Je ne vais pas chercher ma joie en fréquentant ceux qui s’amusent » (Jr 15,10+)

Un peu plus loin, Yhwh le confirme dans sa mission et l’assure de sa présence à ses côtés :
« Face à ces gens, je fais de toi un mur inébranlable
ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi :
je suis avec toi pour te sauver et te libérer » (Jr 15,20)

Question sur le malheur du juste

Il n’en reste pas moins une grave question que le prophète vit dans sa chair :
les malheurs annoncés par Yhwh suite aux infidélités du peuple à sa Parole, vont toucher tout le monde l’innocent comme le coupable, l’enfant comme le vieillard.

Jérémie en vient à faire face à Yhwh et veut plaider contre lui :
« Toi, Yhwh, tu es juste !
Mais je veux quand même plaider contre toi.
Oui je voudrais discuter avec toi de quelques cas.
Pourquoi les démarches des coupables réussissent-elles ?
Pourquoi les traîtres perfides sont-ils tous à l’aise ?… » (Jr 1
2,1)

Jérémie pose là clairement la question de la rétribution. La logique du livre du Deutéronome, selon laquelle faire le bien nous assure le bonheur et inversement faire le mal entraîne le malheur, se trouve infirmée dans de nombreux cas. Comment comprendre cela ?

Yhwh ne lui apporte pas de réponse théorique, abstraite à cette question fondamentale. Jérémie n’obtient que des réponses, soit énigmatique comme plus haut, soit franchement peu rassurante pour lui :
« Si tu cours avec des piétons et qu’ils te fatiguent
comment pourras tu entrer en compétition avec des chevaux ?
S’il te faut un pays en paix pour être rassuré,
que feras-tu dans la jungle du Jourdain? » (Jr 12,5)

Autrement dit le pire n’est pas encore arrivé.

Expérience intérieure mystique et assurance de Jérémie

La solitude qui caractérise le ministère de Jérémie va atteindre un paroxysme du fond de laquelle il fait une expérience religieuse, mystique.

Au milieu de tous ces malheurs, Jérémie manifeste alors une extraordinaire assurance, une confiance absolue en Yhwh. C’est paradoxalement, dans ces conditions extrêmes de détresse, que jaillit en lui cette prière de confiance, que sa foi se trouve renforcée.
« Yhwh, ma force et mon abri, mon refuge au jour de l’angoisse » (Jr 16,19)
« Guéris moi, Yhwh, et je serai guéri, sauve moi et je serai sauvé
car c’est toi mon titre de gloire »( Jr 17,14)

Il est en butte à la diffamation de la part de tous ; les prêtres, les sages, les prophètes institutionnels cherchent à le faire taire (Jr 18,18-21), mais lui doit poursuivre son action et annoncer encore plus explicitement l’arrivée de grands malheurs :
« En ce lieu, je rendrai vaine la politique de Juda et de Jérusalem, je les abattrai par l’épée devant leurs ennemis, en me servant de ceux qui en veulent à leur vie, et je donnerai cette grande hécatombe en pâture aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre.  Je transformerai cette ville en un lieu désolé qui arrache des cris d’effroi ; qui passera près d’elle en sera stupéfait : à la vue de tels dégâts, il poussera un cri d’effroi.  Je leur ferai manger la chair de leurs fils et la chair de leurs filles; ils s’entre-dévoreront, dans la détresse et l’angoisse que feront peser sur eux leurs ennemis, eux qui en veulent à leur vie » (Jr 19,7+).

Ainsi alla la mission de Jérémie qui se brisera sur le pouvoir royal qui ira jusqu’à le jeter au fond d’une citerne pleine de vase où il restera longtemps emprisonné (Jr 37,15). Le talmud raconte qu’au fin fond du puits, ses geôliers lui demandent ironiquement ce qu’il voit dans son trou. Il leur aurait répondu : « Quand je lève les yeux, je vois le ciel ! »

Jérémie est le premier personnage de la bible qui rend compte aussi nettement de cette expérience mystique, où du fond de l’abîme la joie jaillit à notre insu comme d’un monde inconnu. De nombreux psaumes se feront l’écho de cette expérience spirituelle qui submerge les limites de notre logique rationnelle : comment ce cortège de malheurs et la joie peuvent ainsi se juxtaposer presque simultanément chez une même personne?
Mystère de la confiance (de la foi), de ce mouvement d’abandon entre les mains de Yhwh.

Fin de carrière de Jérémie

La catastrophe qu’il avait annoncée se produit en 597 avec l’occupation de Jérusalem par Nabuchodonosor. Ce dernier laissera sur place le roi Sédécias pour gérer le pays mais celui-ci insidieusement cherchera assez vite à se libérer de la tutelle de Babylone, en organisant secrètement des mouvements armés de résistance.
Jérémie est libéré provisoirement, mais il repart à l’affrontement. Au risque de passer pour un collabo ou un traître à la patrie, il s’oppose à la stratégie de Sédécias et prône la soumission à l’envahisseur qui n’est qu’un instrument dans les mains de Dieu : s’y opposer c’est aller au-devant d’un nouveau désastre.
«C’est moi qui ai fait la terre, ainsi que les hommes et les animaux qui sont sur la terre, par ma grande force et en déployant ma puissance ; je la donne à qui bon me semble. Et maintenant, c’est moi qui livre tous ces pays au pouvoir de mon serviteur Nabuchodonosor…
Donc la nation et le royaume qui refusent de le servir – lui, Nabuchodonosor, roi de Babylone – et de placer son cou sous le joug du roi de Babylone, c’est par l’épée, la famine et la peste que je sévirai contre cette nation-là – oracle de Yhwh – jusqu’à les faire disparaître par sa main. » (Jr 27,5)

Il ira même plus loin, il va écrire une lettre aux émigrés, déportés à Babylone en 597 en des termes peu compatibles avec la quête à priori bien légitime de sauvegarde de l’identité nationale :
« Ainsi parle Yhwh de l’univers, le Dieu d’Israël, à tous les exilés que j’ai fait déporter de Jérusalem à Babylone : Construisez des maisons et habitez-les, plantez des jardins et mangez-en les fruits, prenez femme, ayez des garçons et des filles, occupez-vous de marier vos fils et donnez vos filles en mariage pour qu’elles aient des garçons et des filles : là-bas soyez prolifiques, ne déclinez point ! Soyez soucieux de la prospérité de la ville où je vous ai déportés et intercédez pour elle auprès de Yhwh : sa prospérité est la condition de la vôtre »(Jr 29,4)

Incroyable ! Jérémie demande au peuple non seulement de s’insérer en pays ennemi, mais d’aller jusqu’à prier pour la prospérité de ceux qui l’ont martyrisé et déporté !!!

Nous savons pourtant a postériori combien les conseils sociaux et politiques contenus dans cette lettre ont été déterminants dans la naissance et l’essor spirituel du judaïsme à Babylone.

Promesse de renaissance

C’est à Babylone, sur les lieux de leur exil et non à Jérusalem que la transformation intérieure du peuple va s’opérer et que des perspectives entièrement nouvelles et exaltantes vont s’ouvrir.

Après la première déportation, Jérémie lors d’une vision, voit deux corbeilles de figues. Dans l’une, les figues sont très belles et dans l’autre, elles sont immangeables (représentant ceux du peuple n’ayant pas subi la déportation, ils sont restés à jérusalem, continuant leur culte à Baal) :
« Ainsi parle Yhwh, le Dieu d’Israël : Comme on remarque les belles figues que voici, ainsi je considère avec complaisance les déportés de Juda que j’ai expulsés de ce lieu dans le pays des Chaldéens. Mon regard se pose sur eux avec complaisance, et je les ramènerai dans ce pays ; je les édifierai, je ne les démolirai plus ; je les planterai, je ne les déracinerai plus. Je leur donnerai une intelligence qui leur permettra de me connaître ; oui, moi je suis Yhwh, et ils deviendront un peuple pour moi, et moi, je deviendrai Dieu pour eux : ils reviendront à moi du fond d’eux-mêmes. » (Jr 24,5)

Dans les chapitres 30 à 34 du livre, aux confirmations du désastre avec des justifications de ce désastre succède l’annonce d’une grande restauration conformément à la promesse faite à leurs pères.

« La parole qui s’adressa à Jérémie de la part de Yhwh, en ces termes : « Ainsi parle Yhwh, le Dieu d’Israël : Ecris dans un livre toutes les paroles que je te dicte.  Des jours viennent – oracle de Yhwh – où je restaurerai Israël mon peuple – et Juda –, dit Yhwh ; je les ramènerai au pays que j’ai donné à leurs pères, et ils en hériteront. » (Jr 30,3)

Cette promesse de retour n’est pas un renoncement de Yhwh à ses exigences de justice,  mais le réconfort d’une présence qui malgré toutes les infidélités du passé délivrera le peuple tout en poursuivant son éducation  :
 « Toi, mon serviteur Jacob, ne crains pas– oracle de  Yhwh –, ne te laisse pas accabler, Israël ! Je vais te délivrer des pays lointains, et ta descendance, de sa terre d’exil.
Jacob revient, il est rassuré, il est tranquille, plus personne ne l’inquiète.
Je suis avec toi – oracle de Yhwh – pour te délivrer.
Je fais table rase de toutes les nations où je t’ai disséminé, mais de toi, je ne fais pas table rase :
je t’apprends à respecter l’ordre, sans rien te laisser passer. » (Jr 30,10)
Du fin fond de ce pays où il a été jeté  comme un rebut de l’humanité, Yhwh va prendre soin de lui et le guérir :
« Pour toi, je fais poindre la convalescence, je te guéris de tes blessures– oracle de Yhwh –parce qu’on te nomme : « Rebut, cette Sion dont personne ne se soucie. » (Jr 30,17).
« Ainsi parle Yhwh : Dans le désert, le peuple qui a échappé au glaive gagne ma faveur. Israël va vers son rajeunissement. De loin, Yhwh m’est apparu : Je t’aime d’un amour d’éternité, aussi, c’est par amitié que je t’attire à moi » (Jr 31,2)

Ce retour ne sera pas le fait des plus forts qui ont résistés au malheur, mais au contraire le rassemblement de tous les plus fragiles, de tous les impotents.
« Ainsi parle  Yhwh :… Yhwh délivre son peuple, le reste d’Israël. Je vais les amener du pays du nord, les rassembler du bout du monde. Parmi eux, des aveugles, des impotents, des femmes enceintes et des femmes en couches, ils reviennent ici, foule immense….je les dirige vers des vallées bien arrosées par un chemin uni où ils ne trébuchent pas. Oui, je deviens un père pour Israël » (Jr 31,7)

Avec ce retour tout sera renouvelé : « Yhwh crée du nouveau sur la terre » (Jr 31,22)

Ce sera un nouveau peuple avec lequel Yhwh veut signer une nouvelle alliance :
«  Des jours viennent – oracle de Yhwh – où je conclurai avec la communauté d’Israël – et la communauté de Juda – une nouvelle alliance. Elle sera différente de l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Egypte. Eux, ils ont rompu mon alliance …. Voici donc l’alliance que je conclurai avec la communauté d’Israël après ces jours-là – oracle de Yhwh : je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. Ils ne s’instruiront plus entre compagnons, entre frères, répétant : « Apprenez à connaître  Yhwh », car ils me connaîtront tous, petits et grands – oracle de Yhwh. Je pardonne leur crime ; leur faute, je n’en parle plus » (Jr 31,31)

La révélation biblique connait là un nouveau tournant : les directives de la Loi donnée par Moïse ont échoué à conduire le peuple vers la liberté. Son application s’est avérée hors de la portée du cœur de l’homme. La Loi, en tant que système, et le culte, en tant que religion, censés guider et assurer l’unité du peuple, se sont avérés impuissants à changer le cœur des hommes, à établir la justice dans leurs relations. Sans cette justice, la chute était inéluctable.
C’est le cœur singulier de chaque individu qui devra être renouvelé par une parole vivante.

La Loi ne sera plus simplement un texte externe au désir de l’homme, exigeant de sa part  une simple soumission (hétéronome= loi externe), mais une parole qui nourrit l’intérieur de l’homme, qui le rend autonome (autonome = loi intérieure, personnelle).

Le contenu  de la promesse, la construction d’un peuple avec son territoire, son roi, son temple s’élargit alors pour acquérir une portée symbolique qui en transcende infiniment la simple matérialité.

En touchant le cœur de l’homme, la réalisation de cette promesse sera irréductible aux aléas de l’histoire, elle s’en détache pour être projetée en dehors des structures sociales, politiques et même religieuses. Ce sont là les prémices de l’universalisme.

Ainsi advint le messianisme qui donnera naissance au judaïsme à Babylone, puis 500 ans plus tard ouvrira la porte au christianisme.
Cette œuvre de Jérémie sera poursuivie, amplifiée quelques années plus tard par un autre grand prophète, que les spécialistes appellent le Deutéro-Esaïe (Es 40-55) dont l’activité se déploiera au cœur même de Babylone.

Quant à Jérémie, après son incarcération, il sera exilé en Égypte, où finalement on perdra sa trace.

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