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Introduction

Le livre du prophète Esaïe, le plus long de la Bible, apparait comme le livre prophétique par excellence. Il constitue une compilation de prophéties qui s’étalent sur plus de deux cents ans. Il n’est donc pas possible de les attribuer au seul Esaïe, personnage important qui est intervenu pendant une  longue période de 740 à 700 environ. Ces interventions auprès du roi de Juda, Ezéchias, sont rapportées dans le deuxième livre des Rois (2 R 19-20).
Les experts s’accordent pour attribuer au prophète, sous réserve de quelques passages, les chapitres 1 à 39 du livre d’Esaïe.
Les chapitres 40 à 55 sont des oracles émis à Babylone, entre 550 et 537, par un autre prophète qui, selon une pratique courante à l’époque (Pseudépigraphie) a écrit ses oracles sous le nom de son illustre prédécesseur, s’inscrivant ainsi dans une sorte de filiation littéraire et spirituelle. On parlera du second Esaïe ou Deutéro Esaïe.
Les chapitres 56 à 66, écrits à Jérusalem après le décret de Cyrus (538) autorisant les juifs à revenir dans leur capitale pourraient être attribués à ce « second Esaïe », mais l’analyse littéraire de ces chapitres incite à l’attribuer à un troisième intervenant.
Malgré des arrière-plans historiques différents, il se dégage une cohérence globale de cet ensemble d’oracles qui justifie leur regroupement en un seul livre. La diversité des auteurs n’empêche pas le livre de former un tout homogène.

Esaïe poursuit l’action de ses prédécesseurs Amos et Osée en s’attaquant à la corruption et aux inégalités sociales amenées par une certaine prospérité ; il en appelle à la justice, il dénonce la vanité des alliances politiques. Il stigmatise en termes cinglants tous ceux qui abusent de leur pouvoir, au lieu de donner la priorité à la justice et à la lutte contre les inégalités. Il interpelle vigoureusement aussi bien le peuple, le particulier lambda que le roi ou les prêtres. Il affirme qu’il est plus important de donner à manger aux pauvres, de soutenir les isolés, l’orphelin, la veuve, les émigrés que d’aller offrir à Dieu de la viande de bœuf ou d’agneaux. Il dénonce la croyance dans le pouvoir magique des sacrifices qui protégeraient du malheur. La cause du malheur est à chercher dans  les choix politiques, religieux, sociaux des responsables sans exonérer pour autant les comportements du peuple. Il met en avant la responsabilité personnelle de chacun dans l’histoire de l’humanité.
Il amorce ainsi une évolution profonde dans l’idée de sacré. Yhwh n’est plus le petit dieu local, le dieu d’Israël qui prend la tête de son armée pour défendre le peuple contre les dieux des armées des empires environnants. Yhwh est le Dieu créateur du ciel et de la terre, il domine les empires, il est capable de libérer les dominés des dominants et de réduire à rien les Empires les plus puissants.
Dans cette affirmation d’un monothéisme exclusif, Esaïe à l’instar des autres prophètes, démythifie le pouvoir du culte qui tend naturellement à enfermer l’idée de Dieu dans un pouvoir magique tout-puissant. C’est la relation entre les hommes qui est au cœur du sacré.

Cette métamorphose du sacré entraine une nouvelle perception du péché. Nous avons vu dans le livre du Lévitique que l’idée de péché était liée à celle d’impureté, conséquence d’une faute plus ou moins volontaire dans l’application des règles de la Torah. Cette impureté devait  être lavée par un acte cultuel, un sacrifice, qui permet de rétablir la relation avec Yhwh.
Que devient pour le prophète la notion de péché ?
Elle se décline selon deux axes, l’idolâtrie et l’injustice.
L’idolâtrie, c’est mettre sa confiance dans ce qui n’est que des créations de l’homme qu’il tend à diviniser : A qui assimilerez-vous Dieu ? Que placerez-vous de ressemblant à côté de lui ? L’idole ? c’est un artisan qui l’a coulée (Es 40, 18).
L’humain a de tout temps tendance à diviniser sa représentation courante de la force et de la fécondité. Au mont Sinaï, du temps de Moïse, cette force a été attribuée au taureau dont le peuple s’était fait une représentation idéale en le recouvrant d’or.
Certes aujourd’hui nous nous sommes extirpés de ces vestiges animaliers ainsi que des sacrifices derrière lesquels se cachait le rapport du sacré avec la violence, mais les forces psychiques qui poussent l’homme à idéaliser des personnes ou des groupes, à leur prêter une puissance qu’ils n’ont pas, sont toujours actives. Elles se traduisent par exemple par un surinvestissement sur des maîtres, des gourous, des chefs politiques ou même des technologies sur lesquels on projette la capacité de nous protéger et de nous assurer le bonheur. Le partage de ces projections de la puissance, avec d’autres personnes, crée un collectif tendant à sacraliser l’appartenance. Cette forme d’idolâtrie moderne aliène l’homme et tend à l’enfermer dans un repli identitaire qui s’accompagne d’une propension à utiliser des boucs émissaires pour justifier sa propre violence et celle du groupe dans la défense de ce qu’il considère comme sacré.

Esaïe dénonce toutes les fausses pistes du sacré et du sentiment de puissance qui écartent l’homme de la pratique au quotidien de la justice. Pour enrayer ces errements, il transmet les paroles de Yhwh qui cherchent à établir une relation directe de confiance avec l’homme pour l’aider à se frayer un chemin de vie par la pratique de la justice.
Ce mot justice est à prendre dans la bouche du prophète dans un sens beaucoup plus large qu’une simple conformité juridique, il caractérise plus largement les comportements a-justés des hommes entre eux, qui excluent toutes formes de domination, d’emprise, pour laisser place à l’écoute de la Parole de l’autre.
Si l’idolâtrie est la négation de la relation avec Yhwh, l’injustice est la négation de la relation avec l’homme.
Le péché dénoncé par les prophètes, qui provoque la « colère de Yhwh », est une relation non ajustée, envers Dieu par des cultes aux idoles, ainsi que celle des autorités, des riches, des arrogants envers les petits, les humbles, les démunis, qualifiés d’anawim, mot hébreu que l’on a pu traduire par « les pauvres de Yhwh ». Ces deux types de péché, idolâtrie et injustice, apparaissent très liés.
Dans ses oracles, le prophète Esaïe pointe inlassablement, mais sans succès, l’arrogance des autorités et la propension du peuple à se fier à des pseudo-puissances sacralisées.

Les oracles s’attachent à une lecture de l’histoire, ils annoncent clairement de terribles tragédies tout en réaffirmant l’inaltérable fidélité de Dieu : un petit reste associé à la justice subsistera (Es 10, 20-22). Une nouvelle ère que l’on qualifiera de messianique s’ouvre
pour ce petit reste.
Il est frappant de constater combien dans ce livre les annonces de salut sont imbriquées avec celles de catastrophes comme le recto-verso d’une même page. Le salut apparait au sein même de la catastrophe. Par-là, Esaïe amorce dans ce livre un genre littéraire nouveau nommé apocalyptique (apocalypse signifie révélation), sous-tendu par l’annonce de la proximité de la fin des temps (eschatologie) et la victoire définitive de la Jérusalem céleste sur toutes les Puissances et Dominations sacralisées par l’homme.

Ces textes, écrits dans des contextes historiques précis qui partent de la suprématie Assyrienne au VIIIè siècle au retour de Babylone au VIè, en passant par la destruction de Jérusalem en 585, prennent une dimension intemporelle. Ils lèvent une partie du voile qui recouvre le sens de l’histoire de l’humanité. Les événements qui se déroulent à une époque donnée, à une date et des lieux déterminés, dans un contexte politique spécifique, prennent dans la bouche du prophète, une valeur universelle.
Ces avertissements, invectives, réquisitoires, diatribes, menaces, mais aussi ces promesses de salu,t peuvent s’appliquer aux tragédies de toutes les époques et de toutes les nations. L’interprétation eschatologique des évènements donne un sens à l’Histoire.

On peut dire que ce livre, le plus cité dans le nouveau testament, représente la quintessence de l’action prophétique si déterminante dans l’histoire de l’humanité. Elle amorce une évolution  profonde de la perception du sacré, qui se traduit par un retournement du rapport entre la religion et la vie sociale. Diatribes contre les cultes aux dieux qui ne sont que des fabrications de l’homme, dénonciation de l’hypocrisie dans les pratiques cultuelles à Yhwh, priorité donnée à la justice et à la lutte contre les inégalités, vanité des alliances politiques déconnectées d’une quête de  justice, annonces de tragédies à venir et de l’écroulement d’un monde, promesses d’un monde nouveau, sont autant d’aspects qui résonnent étrangement dans notre actualité.

Esaïe (1–39)

Préface

Le premier chapitre est une sorte de préface, sans doute rédigée en final, qui annonce et synthétise les grands thèmes développés dans le livre d’Esaïe :

-La non-reconnaissance du peuple vis-à-vis de Yhwh qui l’a fait naitre et l’a élevé : Ecoutez, cieux ! Terre, prête l’oreille ! C’est Yhwh qui parle : J’ai fait grandir des fils, je les ai élevés, eux, ils se sont révoltés contre moi. Un bœuf connaît son propriétaire et un âne la mangeoire chez son maître : Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas (Es 1,2-3).

-La dénonciation des illusions du culte : Que me fait la multitude de vos sacrifices, dit Yhwh ? Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’en veux plus. Quand vous venez vous présenter devant moi, qui vous demande de fouler mes parvis ? Cessez d’apporter de vaines offrandes : la fumée, je l’ai en horreur ! Néoménie, sabbat, convocation d’assemblée… je n’en puis plus des forfaits et des fêtes. Vos néoménies et vos solennités, je les déteste, elles me sont un fardeau, je suis las de les supporter. Quand vous étendez les mains, je me voile les yeux, vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang (Es 1,11-15).

-L’appel à la pratique de la justice : Lavez-vous, purifiez-vous. Otez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, mettez au pas l’exacteur, faites droit à l’orphelin, prenez la défense de la veuve (Es 1,16-17). Avec une alternative simple : Si vous voulez écouter, vous mangerez les bonnes choses du pays. Si vous refusez, si vous vous obstinez, c’est l’épée qui vous mangera (Es 1,19-20).

-La promesse eschatologique autour de Jérusalem : Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison de Yhwh sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront.  Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : « Venez, montons à la montagne de Yhwh, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins, et nous marcherons sur ses routes. » Oui, c’est de Sion que vient l’instruction et de Jérusalem la parole de Yhwh.  Il sera juge entre les nations, l’arbitre de peuples nombreux. Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances, ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. Venez, maison de Jacob, marchons à la lumière de Yhwh (Es 2,2-5).
*Sion, le nom de la montagne de Jérusalem, est utilisé pour symboliser la Jérusalem céleste.

Oracles visant le royaume du Nord

Oracles prononcés avant la chute de Samarie en 721 :

-Contre l’orgueil des hommes enrichis et leur culte des idoles : Le pays est rempli d’argent et d’or: pas de limite à ses trésors. Le pays est rempli de chevaux : pas de limite au nombre de ses chars. Le pays est rempli d’idoles : ils se prosternent devant l’ouvrage de leurs mains, devant ce que leurs doigts ont fabriqué (…) (Es 2,7-8). L’orgueilleux regard des humains sera abaissé, les hommes hautains devront plier (Es 2,11).

-Annonce d’un «  jour de Yhwh », jour terrible : Car il y aura un jour pour Yhwh Shabaot  contre tout ce qui est fier, hautain et altier et qui sera abaissé (Es 2,12).
Ils iront dans les trous des rochers, dans les fissures du roc, devant la terreur de Yhwh et l’éclat de sa majesté, quand il se lèvera pour terrifier la terre. Laissez donc l’homme, ce n’est qu’un souffle dans le nez : que vaut-il donc ? (Es 2,21)

-L’anarchie s’installera : Je leur donnerai pour chefs des gamins, et selon leurs caprices, ils les gouverneront. Les gens se molesteront l’un l’autre, chacun son prochain (Es 3,4).

-Le procès des chefs et des responsables politiques indifférents aux pauvres s’ouvrira : Yhwh traduit en jugement les anciens de son peuple et ses chefs : C’est vous qui avez dévoré la vigne, et la dépouille des pauvres y est dans vos maisons. Qu’avez-vous à écraser mon peuple et à fouler aux pieds la dignité des pauvres ? (Es 3,14)

 Pourtant Yhwh reste fidèle à sa promesse et « le jour de Yhwh » sera un jour de gloire pour un petit  reste : En ce jour-là, ce que fera germer Yhwh sera l’honneur et la gloire, et ce que produira le pays fera la fierté et le prestige des rescapés d’Israël. Alors, le reste de Sion, les survivants de Jérusalem seront appelés saints : tous seront inscrits à Jérusalem afin de vivre (Es 4,2-3).

Malédictions contre les grands de Juda

Le chapitre 5 commence par un chant à la vigne qui symbolise Israël : Que je chante pour mon ami, le chant du bien-aimé et de sa vigne : Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau plantureux (Es 5,1).
Yhwh se lamente sur son peuple qu’il chérissait : La vigne de Yhwh de l’univers, c’est la maison d’Israël, et les gens de Juda sont le plant qu’il chérissait. Il en attendait le droit, et c’est l’injustice. Il en attendait la justice, et il ne trouve que les cris des malheureux (Es 5,7).

Il dénonce les grands de ce monde qui accumulent les richesses : Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu’à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays. A mes oreilles a retenti le serment de Yhwh de l’univers : De nombreuses maisons, grandes et belles, seront vouées à la désolation faute d’habitants (Es 5,8).

Cette annonce de malheurs vise Israël en particulier, mais aussi et de façon plus générale tous les hommes fiers de leur force : C’est pourquoi mon peuple sera déporté à cause de ce qu’il a méconnu. L’élite mourra de faim (…) Ils devront plier, les humains, l’homme sera abaissé, les orgueilleux devront baisser les yeux (Es 5,13-15).

Vision et vocation d’Esaïe

Esaïe nous fait part d’une vision qu’il eût à l’époque du roi Ozias : Je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé. Sa traîne remplissait le temple.  Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes (…) Saint, saint, saint, Yhwh de l’univers, sa gloire remplit toute la terre (…) Je dis alors : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures et mes yeux ont vu le roi, Yhwh de l’univers. L’un des séraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel. Il m’en toucha la bouche et dit : « Dès lors que ceci a touché tes lèvres, ta faute est écartée, ton péché est effacé » (Es 6, 1-7).

Dès lors, ainsi purifié, Esaïe est envoyé annoncer des événements terrifiants et la disparition quasi totale du peuple. Je dis alors : « Jusques à quand, Seigneur ? » Il dit : « Jusqu’à ce que les villes soient dévastées, sans habitant, les maisons sans personne, la terre dévastée et désolée. » Yhwh enverra des gens au loin, et il y aura beaucoup de terre abandonnée à l’intérieur du pays. Et s’il y subsiste encore un dixième, à son tour il sera livré au feu, comme le chêne et le térébinthe abattus, dont il ne reste que la souche (Es 6,11).

Cependant, une petite lueur d’espoir apparaît. Après les catastrophes il ne restera que la souche,  mais… « La souche est une semence sainte » (Es 6,13).
Yhwh ne désespère pas de l’humanité, fruit de sa création.

Pérennité de la maison de David

Yhwh annonce la naissance d’un enfant qui sera le signe de sa présence au milieu du peuple. Il s’appellera Emmanuel  (=  Dieu avec nous) : Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe : Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. De crème et de miel il se nourrira, sachant rejeter le mal et choisir le bien (Es 7,14).
Cet enfant ouvrira une nouvelle ère d’abondance : Il adviendra, en ce jour-là, que chacun élèvera en gros bétail une génisse, et deux têtes de petit bétail et à cause de l’abondante production de lait, on mangera de la crème ; oui, c’est de crème et de miel que se nourriront ceux qui resteront dans le pays (Es 7,21).

Cependant, en raison de ses infidélités, le peuple traversera de graves crises politiques,  il ne devra pas se tromper sur les véritables causes de son malheur : Vous n’appellerez pas « conspiration »tout ce que ce peuple appelle « conspiration ».Vous ne craindrez pas ce qu’il craint ni ne le redouterez. C’est Yhwh de l’univers que vous tiendrez pour saint, c’est lui que vous craindrez, c’est lui que vous redouterez (Es 8,12).
Face aux malheurs, le peuple ne doit pas se réfugier dans un sacré illusoire, mais plutôt s’atteler à étudier, à comprendre les paroles de Yhwh, puis à s’en faire le témoin : Et si l’on vous dit : « Consultez ceux qui pratiquent la divination, ceux qui sifflotent et murmurent; un peuple ne doit-il pas consulter ses dieux, les morts en faveur des vivants ? » A l’instruction et à l’attestation ! S’ils ne s’expriment pas selon cette parole, pour eux point d’aurore*… (Es 8,19).
* note de la TOB :
l’attestation : le prophète renvoie ses disciples au document écrit comprenant un ou plusieurs messages du prophète Esaïe. Ce document devra constituer plus tard une preuve, lorsque les événements annoncés se seront produits.
point d’aurore : image d’une délivrance qui ne viendra pas. Autre traduction pour la fin du verset Malheur à celui qui ne s’exprime pas selon cette parole, contre laquelle il n’y a pas de formule magique 

Sans cette écoute de la Parole, le pays tout entier sera plongé dans une nuit angoissante :
On traversera le pays, accablé et affamé. Sous l’effet de la faim, on s’irritera et on maudira son roi et son Dieu. On se tournera vers le haut, puis on regardera vers la terre et voici : détresse et ténèbres, obscurité angoissante, nuit dans laquelle on est poussé (Es 8,21).
Mais après cela, Yhwh libérera son peuple et le conduira sur les chemins de la paix. Mais ce n’est plus l’obscurité pour le pays qui était dans l’angoisse. Dans un premier temps le Seigneur a couvert d’opprobre le pays de Zabulon et le pays de Nephtali, mais ensuite il a couvert de gloire la route de la mer, l’au-delà du Jourdain et le district des nations (Es 8,23).
Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as fait abonder leur allégresse, tu as fait grandir leur joie .Ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la moisson, comme on jubile au partage du butin (…) (Es 9,1-2).

Cette annonce du salut prend une forme paradoxale : loin d’un renforcement militaire ou diplomatique attendu, il annonce un signe, la naissance d’un enfant chez une jeune femme, un nouveau roi que l’on appellera Emmanuel.
La naissance de cet enfant inaugurera un nouveau type de royauté, il apportera la lumière, la joie, la justice, la sagesse, la paix : Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. La souveraineté est sur ses épaules. On proclame son nom : « Merveilleux – Conseiller, Dieu – Fort, Père à jamais, Prince de la paix. » Il y aura une souveraineté étendue et une paix sans fin pour le trône de David et pour sa royauté, qu’il établira et affermira sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours– l’ardeur de Yhwh de l’univers fera cela (Es 9,5-6).

Cette ère nouvelle s’accompagne de malédictions contre les autorités corrompues : Malheur ! Il y a des gens qui prescrivent des lois malfaisantes et, quand ils rédigent, mettent par écrit la misère,  ils écartent du tribunal les petites gens, privent de leur droit les pauvres de mon peuple, font des veuves leur proie et dépouillent les orphelins. Que ferez-vous au jour du châtiment, quand de loin viendra la tempête ? Chez qui fuirez-vous pour trouver du secours ? Où déposerez-vous vos richesses ? (Es 10,1)

Le Reste d’Israël

Esaïe reprend alors le thème d’un reste d’Israël déjà évoqué plus haut (Es 4,3 ; 6,13). Ce thème qui sera repris encore plus loin (Es 28,5 ; 46,3) est une idée centrale du livre : Il adviendra, en ce jour-là, que le reste d’Israël, les rescapés de la maison de Jacob cesseront de s’appuyer sur celui qui les frappe : ils s’appuieront vraiment sur Yhwh, sur le Saint d’Israël. Un reste reviendra, le reste de Jacob, vers le Dieu-Fort. Même si ton peuple, ô Israël, était comme le sable de la mer, il n’en reviendra qu’un reste : la destruction est décidée qui fera déborder la justice (Es 10,20).

L’annonce d’un reste constitué par les anawim, les pauvres de Yhwh, c’est-à-dire les petits, les humiliés, les « courbés », les doux, s’accompagne de la promesse d’un nouveau David : Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit de Yhwh: esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte de Yhwh– et il lui inspirera la crainte de Yhwh. Il ne jugera pas d’après ce que voient ses yeux, il ne se prononcera pas d’après ce qu’entendent ses oreilles. Il jugera les faibles avec justice, il se prononcera dans l’équité envers les pauvres du pays (…) La justice sera la ceinture de ses hanches et la fidélité le baudrier de ses reins (Es 11,1+).

Et la promesse d’un paradis retrouvé, libéré de toute violence : Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira.  La vache et l’ourse auront même pâture,  leurs petits, même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de Yhwh, comme la mer que comblent les eaux (Es 11,6 +).

Un chant d’actions de grâce jaillit alors du cœur de ce petit reste, en reconnaissance pour le pardon des péchés, pour la force et la joie retrouvée. La présence active de Yhwh est comparée à l’eau d’une source où chacun peut aller puiser* : Je te rends grâce, Yhwh, car tu étais en colère contre moi, mais ta colère s’apaise et tu me consoles. Voici mon Dieu Sauveur, j’ai confiance et je ne tremble plus, car ma force et mon chant, c’est Yhwh ! Il a été pour moi le salut. Vous puiserez de l’eau avec joie aux sources du salut  (…) (Es 12,1).
* Jésus utilisera à plusieurs reprises cette image de la source d’eau vive, en particulier avec la Samaritaine.

Condamnation universelle des Puissances

Le prophète sort du cadre strict de l’avenir d’Israël. Yhwh est le Dieu de l’univers. L’humanité toute entière est impliquée. Les empires se dresseront les uns contre les autres : Je punirai le monde pour sa méchanceté, les impies pour leurs crimes. Je mettrai fin à l’orgueil des insolents, je ferai tomber l’arrogance des tyrans. Je rendrai les hommes plus rares que l’or fin (…) (Es 13,11).
A commencer par Babylone : Babylone, la perle des royaumes, la fière parure des Chaldéens, sera, comme Sodome et Gomorrhe, renversée par Dieu (Es 13,19).

La chute d’une telle puissance impériale qui se considère comme sacrée sera terrible : Comment es-tu tombé du ciel, Astre brillant, Fils de l’Aurore ? Comment as-tu été précipité à terre, toi qui réduisais les nations, toi qui disais : « Je monterai dans les cieux, je hausserai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu, (…) je serai comme le Très-Haut. » Mais tu as dû descendre dans le séjour des morts au plus profond de la Fosse (Es 14,12).

L’autre grand empire, l’Assyrie, ne sera pas épargné : Je briserai l’Assyrie dans mon pays, je la piétinerai sur mes montagnes. A ceux qui le portaient, son joug sera enlevé, son fardeau sera enlevé de leurs épaules. » Telle est la décision prise à l’encontre de toute la terre, telle est la main étendue contre toutes les nations (Es 14,25).
La Philistie n’y échappera pas non plus : La Philistie tout entière s’effondre : car une fumée s’avance du nord (Es 14,31).
Moab et Damas chuteront aussi, mais c’est à l’Egypte que le prophète réserve ses attaques les plus mordantes : Les chefs de Tanis* sont vraiment stupides, les sages conseillers du Pharaon forment un conseil d’abrutis (…) Où sont-ils, tes sages ? Qu’ils t’apprennent donc et que l’on sache ce que Yhwh  de l’univers a décidé au sujet de l’Egypte. Ils sont devenus stupides, les chefs de Tanis, les chefs de Memphis sont dans l’illusion (…) ils font vaciller l’Egypte dans tout ce qu’elle fait, comme vacille un ivrogne en vomissant (Es 19,11 +).
 * Tanis est une ville importante du delta du Nil

C’est Yhwh de l’univers qui l’a décidé, pour flétrir l’orgueil  de tout ce qu’on honore, pour déconsidérer tous les grands de la terre (Es 23,9).

L’Histoire confirme le bien-fondé de toutes les annonces de disparition de ces empires et de ces nations.

Apocalypse d’Esaïe

La terre tout entière subit les conséquences du péché et de l’injustice des hommes : La terre sera totalement dévastée, pillée de fond en comble, comme l’a décrété Yhwh. La terre en deuil se dégrade, le monde entier dépérit (…) La terre a été profanée sous les pieds de ses habitants, car ils ont transgressé les lois, ils ont tourné les préceptes, ils ont rompu l’alliance perpétuelle (Es 24,4).
La terre se brise, la terre vole en éclats, elle est violemment secouée. La terre vacille comme un ivrogne, elle est agitée comme une cabane. Son péché pèse sur elle, elle tombe et ne peut se relever (Es 24,19).

Cependant au cœur de la catastrophe, le prophète entrevoit des merveilles : Yhwh, tu es mon Dieu, je t’exalte et je célèbre ton nom, car tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables. Tu as fait de la ville un tas de pierres, de la cité fortifiée un champ de ruines. La forteresse des barbares a cessé d’être une ville, elle ne sera plus jamais rebâtie (Es 25,1-2).
Il annonce le renversement de l’idée même de puissance : Car tu es le rempart du faible, le rempart du pauvre dans la détresse, le refuge contre l’orage, l’ombre contre la chaleur (…) Tu éteins le tumulte des barbares comme fait à la chaleur l’ombre d’un nuage, tu étouffes la fanfare des tyrans (Es 25,4+).

Un festin sera donné en signe de salut, de victoire sur la mort : Yhwh de l’univers va donner sur cette montagne un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins vieux, de viandes grasses succulentes et de vins vieux décantés(…) Il fera disparaître la mort pour toujours. Yhwh Dieu essuiera les larmes sur tous les visages et dans tout le pays il enlèvera la honte de son peuple (Es 25,6).
Les petits et les faibles doivent faire confiance à Yhwh, ils s’en sortiront contrairement aux arrogants : Faites confiance à Yhwh pour toujours, à Yhwh, le rocher éternel, car il a fait plier ceux qui habitaient les hauteurs et il abat la cité inaccessible, il l’abat jusqu’à terre et lui fait toucher la poussière. Elle sera foulée aux pieds, sous les pas des humbles, sous les pieds des faibles (Es 26,4).

Suit une belle prière qui exprime la métamorphose du désir de l’homme : Sur le chemin que tracent tes sentences, nous espérons en toi, Yhwh, l’objet de nos désirs est de redire ton nom.  Pendant la nuit, vers toi mon âme aspire, mon esprit, au-dedans de moi, te cherche (Es 26, 8).

Il explicite la nécessité du châtiment : Mais si l’on fait grâce au méchant, il n’apprend pas la justice. Au pays de la rectitude, il fait le mal et il ne voit pas la majesté de Yhwh (Es 26,10).
Le jugement arrive, les méfaits ne seront plus cachés, alors, face à la colère de Yhwh, que chacun se protège en prenant Yhwh pour rempart ! Va, mon peuple, rentre chez toi et ferme sur toi les deux battants. Cache-toi un instant, le temps que passe la colère, car voici Yhwh qui sort de sa demeure pour demander compte de leurs crimes aux habitants de la terre. Et la terre laissera paraître le sang, elle cessera de dissimuler les victimes (Es 26,20+).

Yhwh compare son peuple à une vigne délicieuse dont il prend soin, il en arrache les épines et les ronces : Ce jour-là, chantez la vigne délicieuse. Moi, Yhwh, j’en suis le gardien, à intervalles réguliers je l’arrose. De peur qu’on y fasse irruption, je la garde nuit et jour. Je ne suis plus en colère : si je trouve des épines et des ronces, je donnerai l’assaut et, en même temps, j’y mettrai le feu, mais celui qui me prendra pour rempart avec moi fera la paix, il fera la paix avec moi (Es 27,2).
Israël refleurira après les catastrophes. Après son retour vers Yhwh, il sera pardonné et toutes les traces de son idolâtrie, les autels, les poteaux sacrés seront effacés : Dans les temps à venir, Jacob poussera des racines, Israël fleurira et donnera des bourgeons, il remplira le monde de ses fruits(…) tel sera le fruit du pardon de son péché : il traitera toutes les pierres des autels comme la pierre à chaux qu’on pulvérise, les poteaux sacrés et les emblèmes du soleil ne se dresseront plus (Es 27,6-9).
Yhwh annonce qu’il ira chercher un par un tous les membres du peuple, dispersés, et qu’il les rassemblera à Jérusalem : Ce jour-là, Yhwh procédera au battage depuis le cours du fleuve jusqu’au torrent d’Egypte. Et c’est vous qui serez glanés un par un, fils d’Israël. Ils arriveront, ceux qui étaient perdus au pays d’Assyrie et ceux qui avaient été chassés au pays d’Egypte et ils se prosterneront devant Yhwh sur la montagne sainte, à Jérusalem (Es 27,12).

Oracle contre Samarie

Avant l’invasion de Samarie par l’Assyrie en 721, Esaïe fait une description peu ragoutante des prêtres et des prophètes alcoolisés : De même, prêtres et prophètes sont égarés par le vin, ils titubent sous l’effet de boissons fortes, la boisson les égare, le vin les engloutit, ils titubent sous l’effet des boissons fortes, ils s’égarent dans les visions, ils trébuchent en rendant leurs sentences. Toutes les tables sont couvertes de vomissements infects (Es 28,7).
Ils se bercent d’illusions en faisant du mensonge un rempart : Vous, les railleurs, qui gouvernez ce peuple à Jérusalem. Vous dites : « Nous avons conclu un pacte avec la Mort (…) le fléau déchaîné, quand il passera, ne nous atteindra pas, car nous nous sommes fait du mensonge un refuge et dans la duplicité nous avons notre abri (Es 28,14-15).

Le mensonge une fois balayé par la destruction de Samarie, Yhwh jette les bases d’une construction solide qui résistera au mauvais temps : Voici que je pose dans Sion une pierre à toute épreuve, une pierre angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation. Celui qui s’y appuie ne sera pas pris de court. Je prendrai le droit comme cordeau et la justice comme niveau. Et la grêle balaiera le refuge du mensonge, et les eaux emporteront votre abri (Es 28,16-17). 

Annonce du siège de Jérusalem

C’est en l’année 701 durant le règne d’Ezéchias que Sennakerib, l’empereur d’Assyrie après avoir conquis le royaume de Samarie en 721, assiège Jérusalem. Cet épisode ainsi que l’intervention d’Esaïe sont racontés en détail, aux chapitres 36 et 37. Face aux menaces de Sennakerib, Yhwh interviendra pour forcer ce dernier à lever le siège : Et tout à coup, Yhwh  de l’univers interviendra dans le tonnerre, l’ébranlement, un grand fracas, le tourbillon, la tempête et la flamme d’un feu dévorant (Es 29,6).

Hélas, le peuple ne comprend rien à tout ça : La révélation de tout cela est pour vous comme les mots d’un document scellé qu’on donne à celui qui sait lire en disant : « Lis donc ceci », il répond : « Je ne peux pas, car le document est scellé. » On le donne alors à celui qui ne sait pas lire en disant : « Lis donc ceci », il répond : « Je ne sais pas lire » (Es 29,11).
Le peuple ne peut comprendre, car sa relation avec Yhwh est superficielle, purement formelle : Le Seigneur dit : Ce peuple ne s’approche de moi qu’en paroles, ses lèvres seules me rendent gloire, mais son cœur est loin de moi. La crainte qu’il me témoigne n’est que précepte humain, leçon apprise (Es 29,13).
Pour casser ce mur d’incompréhension, Yhwh sera amené à déstabiliser leur sagesse à courte vue : C’est pourquoi je vais continuer à lui prodiguer des prodiges, si bien que la sagesse des sages s’y perdra, et que l’intelligence des intelligents se dérobera (Es 29,14).

Et enfin ils comprendront, du moins les petits, les humbles : En ce jour-là, les sourds entendront  la lecture du livre et, sortant de l’obscurité et des ténèbres, les yeux des aveugles verront. De plus en plus, les humbles se réjouiront dans Yhwh, et les pauvres gens exulteront à cause du Saint d’Israël, car ce sera la fin des tyrans (Es 29,18).
Ainsi que ceux qui accepteront de se remettre en question : Les esprits égarés découvriront l’intelligence, et les récalcitrants accepteront qu’on les instruise (Es 29,24).

L’illusion d’une alliance politique avec l’Egypte

Face à la menace Assyrienne, le roi Ezéchias se tourne vers l’Egypte dont il attend le salut. Yhwh dénonce l’illusion d’un tel projet d’alliance : Ils réalisent des plans qui ne sont pas les miens, ils concluent des traités contraires à mon esprit, accumulant ainsi péché sur péché. Ils descendent en Egypte sans me consulter, ils vont se mettre en sûreté dans la forteresse du Pharaon, se réfugier à l’ombre de l’Egypte. La forteresse du Pharaon tournera à votre honte, et le refuge à l’ombre de l’Egypte à votre confusion (Es 30,1).
C’est un peuple révolté, ce sont des fils trompeurs, qui ne veulent pas écouter l’instruction de Yhwh.  Ils disent aux voyants : « Ne voyez pas », et aux prophètes : « Ne nous prophétisez pas des choses justes, dites-nous des choses agréables, prophétisez des chimères » (Es 30,9).

Loin de cette agitation diplomatique fébrile, si le peuple se tourne avec confiance vers Yhwh, il retrouvera son calme et le repos, sinon… Car ainsi parle Yhwh, le Saint d’Israël : Votre salut est dans la conversion et le repos, votre force est dans le calme et la confiance, mais vous ne voulez pas. Vous dites : « Non, nous fuirons à cheval », eh bien ! Vous fuirez. « Nous prendrons des chars rapides », eh bien ! Vos poursuivants seront rapides (Es 30,15).
Après la panique, Yhwh reviendra l’aider : Cependant Yhwh attend le moment de vous faire grâce, il va se lever pour vous manifester sa miséricorde, car le Yhwh est un Dieu juste : heureux tous ceux qui espèrent en lui (Es 30,18).
Il te donnera la pluie pour la semence que tu auras semée en terre, la nourriture que produira la terre sera abondante et succulente (Es 30,23).

Yhwh combattra l’Assyrie, et Israël pourra faire la fête : L’Assyrie sera terrifiée par la voix de Yhwh qui la frappera du gourdin. Chaque coup de bâton que lui donnera Yhwh sera accompagné par les tambourins et les harpes (Es 30,31).
Comme les oiseaux déploient leurs ailes, Yhwh protégera Jérusalem. Il protégera et délivrera, il épargnera et sauvera.  Revenez vers celui dont on s’est profondément détournée, fils d’Israël. Ce jour-là, chacun rejettera ses idoles d’argent et ses idoles d’or, celles que vos mains coupables ont fabriquées. L’Assyrie tombera sous une épée qui n’est pas celle d’un homme, ce n’est pas une épée humaine qui la dévorera (Es 31,5).

Esaïe annonce l’avènement d’un royaume idéal : Alors le roi régnera selon la justice, les chefs gouverneront selon le droit. Chacun d’eux sera comme un refuge contre le vent, un abri contre l’orage, ils seront comme des cours d’eau dans une terre desséchée, comme l’ombre d’un gros rocher dans un pays aride.  Les yeux de ceux qui voient ne seront plus fermés, les oreilles de ceux qui entendent seront attentives. Les gens pressés réfléchiront pour comprendre (Es 32,1).
L’insensé, en effet, profère des folies (…) il laisse l’affamé le ventre vide et laisse manquer de boisson celui qui a soif.  Quant au fourbe, ses manœuvres sont criminelles (…) il met au point des machinations pour perdre les malheureux par des déclarations fausses, au moment où ces pauvres gens plaident leur cause (Es 32,6).
Le fruit de la justice sera la paix : la justice produira le calme et la sécurité pour toujours. Mon peuple s’établira dans un domaine paisible, dans des demeures sûres, tranquilles lieux de repos (Es 32,17).

Annonce d’un  jugement auquel échappera tout homme qui respecte l’autre et qui refuse la corruption : Dans Sion, les pécheurs sont atterrés, un tremblement saisit les impies. Qui d’entre nous pourra tenir ? (…) Celui qui se conduit selon la justice, qui parle sans détour, qui refuse un profit obtenu par la violence, qui secoue les mains pour ne pas accepter un présent, (…) Celui-là résidera sur les hauteurs, les rochers fortifiés seront son refuge, le pain lui sera fourni, l’eau lui sera assurée (Es 33,14-16).

Le jugement est universel, sans écoute toutes les nations seront touchées : Approchez, nations, pour écouter, peuples, soyez attentifs. Que la terre écoute, avec tout ce qu’elle contient, le monde, avec tout ce qui en procède. Le courroux de Yhwh est dirigé contre toutes les nations, sa fureur contre leur armée entière (Es 34,1).

Au milieu du  désert, le peuple marchera sur une route lumineuse et fleurie : Qu’ils se réjouissent, le désert et la terre aride, que la steppe exulte et fleurisse, qu’elle se couvre de fleurs des champs, qu’elle saute et danse et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sharôn*, et on verra la gloire de Yhwh, la splendeur de notre Dieu (Es 35,1).
*plaine fertile qui s’étend en bordure de la Méditerranée, au sud du mont Carmel

Alors apparaitront les signes de l’avènement d’un temps nouveau, du temps messianique*: Alors, les yeux des aveugles verront et les oreilles des sourds s’ouvriront.  Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. Des eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe. La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif en sources jaillissantes (Es 35,5).
* Jésus utilisera ce texte en réponse à une question sur son identité dans l’évangile selon Matthieu (Mt 11,5).

Tout le peuple sera alors rassemblé dans l’allégresse à Sion : Ils reviendront, ceux que Yhwh a rachetés, ils arriveront à Sion avec des cris de joie. Sur leurs visages, une joie sans limite ! Allégresse et joie viendront à leur rencontre, tristesse et plainte s’enfuiront (Es 35,10).

Les quatre derniers chapitres 36 à 39, de cette première partie du livre d’Esaïe, sont le récit historique détaillé de la campagne de Sennakerib contre Jérusalem et l’intervention d’Esaïe. Récit déjà décrit dans le deuxième livre des rois (2R 18-19). 

Deutéro Esaïe (40-55)

Introduction

Le contexte historique des oracles de cette partie du livre d’Esaïe est différent de celui de la première partie dans laquelle Esaïe intervient autour de 721, date de la chute de Samarie et de la disparition du royaume du Nord. Les oracles de cette deuxième partie concernent la fin de la période de l’exil à Babylone, entre 550 et 537, soit un décalage d’environ 150 ans.

Le rédacteur de cette deuxième partie ne peut donc pas être le même homme que celui qui est évoqué dans le livre des rois, rédacteur de la première partie du  livre portant son nom, il se rattache cependant à lui par une sorte de filiation littéraire et spirituelle.

C’est ainsi qu’il va reprendre et développer à sa façon, en les replaçant dans le nouveau contexte historique, les grands thèmes des chapitres 1 à 39. C’est en puisant dans la mémoire du passé, par une relecture de l’histoire à la lumière des événements présents qu’il donne des raisons d’espérer au « petit reste ».

Le peuple déporté à Babylone affronte une grave crise religieuse. Il a perdu les trois piliers de son identité : la terre, le roi, le temple. Après une telle déconvenue, le doute sur la crédibilité de la parole de Yhwh s’est installé. D’autant qu’en déportation chez les chaldéens*, il découvre une très grande civilisation avec des splendides fêtes religieuses. Dans l’optique traditionnelle du sacré, où les dieux sont associés à un peuple et à un territoire, les dieux chaldéens semblent beaucoup plus puissants que Yhwh. Pourtant à Babylone, les prophètes d’Israël poursuivent leurs actions auprès du peuple déporté pour les aider à prendre conscience du sens de leurs malheurs. La catastrophe a été annoncée  par Esaïe longtemps avant la chute de Jérusalem. Le prophète Jérémie qui a partagé les affres de la déportation a proclamé que tout ceci est arrivé parce que le peuple a abandonné la Loi de Yhwh.
*Chaldéens : autre nom des Babyloniens

Le début du chapitre 40 du livre d’Esaïe, « consolez, consolez mon peuple (…) », donne d’emblée une tonalité de réconfort et d’espoir au message adressé au peuple désemparé. Ce message en comparaison de ceux du prophète Jérémie qui l’a précédé quelques années plus tôt, est beaucoup moins sombre, moins anxiogène. Il annonce que l’épreuve que vit le peuple, au-delà de son cortège de malheurs, ouvre de nouvelles perspectives : Une voix proclame: «Dans le désert, dégagez un chemin pour Yhwh (…)» (Es 40,3).

Le peuple est exhorté à garder confiance en Yhwh et à puiser les raisons d’espérer dans les Paroles qu’il a reçues tout au long de son histoire.

Yhwh défend la crédibilité de sa Parole

Les hommes et les évènements passent, mais la Parole reste. A côté de Yhwh, tous les êtres vivants ne sont qu’herbe qui sèche et fleur qui se fane: Oui, le peuple, c’est de l’herbe : l’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera toujours (Es 40,8).

Or cette Parole est la  promesse d’une présence quasi maternelle auprès de son peuple : Comme un berger il fait paître son troupeau, de son bras il rassemble; il porte sur son sein les agnelets, procure de la fraîcheur aux brebis qui allaitent (Es 40,11).

La Parole de Yhwh est créatrice de l’univers, elle est au fondement du cosmos, elle peut élever les vallées et aplanir les montagnes. Il « réduit à rien les chefs d’état et les juges de la terre à des nullités » (Es 40,23).
Comment peut-on comparer ces dieux (chaldéens) muets, simples œuvres de bois fabriquées par d’habiles artisans à cette Parole créatrice ? « A qui m’assimilerez-vous ? A qui serai-je identique ? » dit le Saint. Levez bien haut vos yeux et voyez : qui a créé ces êtres ? (Es 40,25)

Cette parole qui a «créé les extrémités de la terre», qui dépasse infiniment l’intelligence des hommes, renverse la logique des hommes. Alors que les jeunes se fatigueront, que les élites trébucheront, elle donnera de l’énergie aux plus faibles, aux sans forces : Ne sais-tu pas, n’as-tu pas entendu ? Il ne faiblit pas, il ne se fatigue pas ; Yhwh est le Dieu de toujours, il crée les extrémités de la terre, nul moyen de sonder son intelligence, il donne de l’énergie au faible il amplifie l’endurance de qui est sans force (Es 40, 28).

Ouverture sur des chemins nouveaux

Appel à la mémoire

Le peuple doit puiser dans sa mémoire les ressources pour comprendre les évènements et reprendre espoir dans l’avenir : Mais toi, Israël, mon serviteur, Jacob, toi que j’ai choisi, descendance d’Abraham, mon ami, toi que j’ai tenu depuis les extrémités de la terre, toi que depuis ses limites j’ai appelé, toi à qui j’ai dit : «  « Tu es mon serviteur, je t’ai choisi et non pas rejeté » ne crains pas car je suis avec toi, n’aie pas ce regard anxieux car je suis ton Dieu (Es 41,8-10).
La situation dramatique actuelle n’est pas paradoxalement signe de l’abandon de Yhwh, au contraire dans son malheur Yhwh reste présent auprès de lui : Ne crains pas, Jacob, à présent vermine, Israël, à présent cadavres, c’est moi qui t’aide (Es 41, 14).
Concrètement, Yhwh suscitera un homme capable de renverser la situation politique : Du nord j’ai fait surgir un homme, et il est venu; depuis le soleil levant il s’entend appeler par son nom; il piétine les gouverneurs comme de la boue, comme le potier talonne la glaise (Es 41,25).
Le prophète fait allusion à l’empereur Cyrus qui quelques années plus tard envahira  Babylone et autorisera, en 538, les descendants des déportés à revenir à Jérusalem.

Puis il évoque la venue d’un serviteur mystérieux, il ne criera pas, il n’élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre dans la rue sa clameur ; il ne brisera pas le roseau ployé, il n’éteindra pas la mèche qui s’étiole ;  à coup sûr, il fera paraître le jugement (Es 42,2-4).
Sa mission sera très large, elle ira bien au-delà du politique, ce serviteur sera destiné à être la lumière des nations, à ouvrir les yeux aveuglés, à tirer du cachot le prisonnier, de la maison d’arrêt, les habitants des ténèbres (Es 42,6-7).

Naissance d’un peuple nouveau

Si le peuple doit reconnaître ses infidélités, cette reconnaissance ne doit pas l’enfermer dans un sentiment de culpabilité morbide. Il doit  au contraire se tourner résolument vers l’avenir, il doit se mettre à l’écoute des événements nouveaux qui vont advenir: Les premiers événements, les voilà passés et moi j’en annonce de nouveaux, avant qu’ils se produisent, je vous les laisse entendre (Es 42,9).

Si Yhwh est resté inactif jusque-là, c’est qu’il attendait son heure. Il compare sa douleur à celle d’une femme qui accouche, Je suis depuis longtemps resté inactif, je ne disais rien, je me contenais, comme femme en travail, je gémis, je suffoque et je suis oppressé tout à la fois (Es 42,14).
De cette douleur, naîtra un peuple nouveau : Je ferai marcher les aveugles sur un chemin inconnu d’eux, sur des sentiers inconnus d’eux je les ferai cheminer. Je transformerai devant eux les ténèbres en lumière, et les détours en ligne droite. Ces projets, je vais les exécuter et nullement les abandonner (Es 42,16).
Ces projets nouveaux n’occulteront pas le passé qui, au contraire, doit rester en mémoire. Yhwh s’est plu, à cause de sa justice, à rendre sa Loi grande et magnifique, mais voilà un peuple pillé et ravagé : on les a tous séquestrés dans des fosses, dans des maisons d’arrêt ils ont été dissimulés (Es 42,21) ; Le peuple doit prendre conscience que c’est bien Yhwh lui-même qui a permis cette catastrophe.  Qui a livré Jacob au ravage, Israël au pillage ? N’est-ce pas Yhwh, lui envers qui nous avons commis des fautes, lui dont on n’a pas voulu suivre les chemins, et dont on n’a pas écouté la Loi ? (Es 42,24).

La présence de Yhwh, marqueur du monothéisme

Yhwh renouvelle inconditionnellement son attachement à son peuple. Il veut le réconforter dans sa douleur (Es 40,1), il le tient par la main (Es 41,13). Il ne peut lui éviter les épreuves, mais il l’assure de sa présence là, à son coté, quelques soient les obstacles apparemment infranchissables et meurtriers : Si tu passes à travers les eaux, je serai avec toi, à travers les fleuves, ils ne te submergeront pas , si tu marches au milieu du feu, tu ne seras pas brûlé (Es 43,2).
Et ce verset qui revient comme un refrain : « Ne crains pas, car je suis avec toi » (Es 43,5) (43,1) (41,14) (44,2).
Cette présence, comparée à celle d’une mère qui sauve son enfant, est le marqueur du monothéisme : Avant moi ne fut formé aucun dieu et après moi il n’en existera pas. C’est moi, c’est moi qui suis Yhwh, en dehors de moi, pas de Sauveur. C’est moi qui ai annoncé et donné le salut (Es 43,10-11).

Alors que tous les rois d’Israël ont failli et conduit le peuple à la ruine, Yhwh est leur véritable roi, il va le sortir de là et le conduire sur un nouveau chemin : Je suis Yhwh, votre Saint, celui qui a créé Israël, votre Roi. Ainsi parle Yhwh, lui qui procura en pleine mer un chemin, un sentier au cœur des eaux déchaînées (Es 43,15).
Ce thème du chemin nouveau fait partie de la mémoire profonde du peuple, il est un rappel de sa naissance. Que chacun se souvienne, c’est Yhwh  qui entra en relation avec Abraham en lui demandant de quitter son pays, sa famille, pour prendre une route inconnue, puis plus tard c’est lui  qui traça dans la mer un chemin, un sentier dans les eaux déchaînées (Es 43,16); passage qui fait clairement référence à la sortie d’Égypte et annonce un nouvel exode, vers une nouvelle terre promise.
Que la mémoire des  infidélités du passé ne bloque pas les possibilités de l’avenir : Ne vous souvenez plus des premiers événements, ne ressassez plus les faits d’autrefois (Es 43,18).
La nouveauté à venir se manifeste par de petits signes encore à peine visibles, le peuple doit tenir son regard en éveil et apprendre à lire les signes du futur : Voici que moi je vais faire du neuf, qui déjà bourgeonne ; ne le voyez-vous pas ? (Es 43,19)
En dépit des malheurs présents, le peuple est invité à avancer sur une voie exaltante ouverte par Yhwh : Oui je vais mettre en plein désert un chemin, dans la lande des sentiers : les bêtes sauvages me rendront gloire, les chacals et les autruches, car je procure en plein désert de l’eau, des fleuves dans la lande, pour abreuver mon peuple, mon élu (…) (43,19-20).

Le culte est démythifié

Tout de même, le prophète tient à mettre les choses clairement au point: les malheurs envoyés par Yhwh sur le peuple, les appels à se détourner des idoles et des cultes associés ne sont pas motivés par le besoin de Yhwh de bénéficier des faveurs de son peuple! La relation de Yhwh avec son peuple n’est pas du donnant-donnant. La faveur de Yhwh pour Jacob n’est pas conditionnée à la pratique des holocaustes, ce n’est pas une demande de retour vers la pratique cultuelle des sacrifices. Les malheurs du peuple réduit en servitude ne sont pas une vengeance de Yhwh pour obtenir plus de culte.
C’est le contraire, c’est l’injustice et les perversités dans la pratique du culte qui sont la cause de leur malheur et Yhwh en est troublé : Il est exclu, Jacob, que tu aies pu faire de moi ton invité, exclu que tu m’aies approvisionné par les agneaux de tes holocaustes ou que tu aies augmenté ma gloire par tes victimes. Il est exclu que pour avoir des offrandes, je t’aie réduit en servitude (…) (Es 43,22-23). Apparaît alors cette idée très surprenante, totalement subversive: Yhwh, lui le tout-puissant, le créateur du cosmos, lui qui « réduit à rien les chefs d’état et les juges de la terre à des nullités » (40,23), est profondément fragilisé par les fautes du peuple, au point d’en être réduit à la servitude ! Au contraire, avec tes fautes c’est toi qui m’as réduit en servitude, avec tes perversités c’est toi qui m’as fatigué (Es 43,24).
Le culte est démythifié. Toutes ces offrandes que Yhwh serait censé demander n’ont pas de sens et  l’ont fatigué.

L’appel de Yhwh à faire un travail de mémoire n’est pas une régression vers un passé révolu. Il n’y a pas de place pour la nostalgie. Il est tout à fait remarquable de constater que dans cette voie de reconstruction de l’identité du peuple, le prophète se démarque nettement de la propension classique et naturelle, dans un contexte de dépérissement ou de décadence, à idéaliser le passé et les pères fondateurs. Loin de l’idéaliser, il porte un regard très critique sur le passé d’Israël, il ne ménage même pas les grands ancêtres. Cet effort de mémoire chez lui ne rime pas avec enjolivement du passé, au contraire le passé est désacralisé : Présente le moi, ton mémoire, et passons ensemble en jugement (…) ton premier père a failli, tes porte-paroles se sont révoltés contre moi, alors j’ai déshonoré les sacro-saintes autorités (Es 43,26-28).
La désacralisation se traduit même dans l’avenir immédiat par une affirmation a priori assez choquante. Le peuple attend un chef de guerre pour être libéré, ce doit être selon la prophétie de Nathan un roi-messie de la descendance de David : or que dit Yhwh ? Je dis à Cyrus : « c’est mon berger » (…) (44,28). Ainsi parle Yhwh à son messie, à Cyrus que je tiens par sa main droite (…) (Es 45,1).

Ce chef de guerre tant attendu, Yhwh semble bien vouloir le lui donner en la personne de Cyrus, l’empereur des Perses. Mais comment un homme totalement étranger au peuple hébreu, qui ne connait pas du tout Yhwh, pourrait-il être le messie, l’oint de Yhwh ?
Certes, il peut paraitre surprenant qu’un tel roi soit investi par Yhwh pour libérer son peuple, mais Yhwh, le créateur de l’univers, ne se laisse pas enfermer dans une logique étroite d’une appartenance religieuse. Il justifie cette élection d’un étranger en ces termes adressés à Cyrus : C’est à cause de mon serviteur Jacob, oui, d’Israël, mon élu, que je t’ai appelé par ton nom ; je t’ai qualifié, sans que tu me connaisses (Es 45,4).

Bonheur et malheur

Yhwh est le maître de l’univers, les puissants de ce monde sont entre ses mains.
Il va même pousser la  logique du monothéisme strict, exclusif de toute autre instance, jusqu’à un point qui posera problème : C’est moi qui suis Yhwh, il n’y en a pas d’autre ; je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur : c’est moi, Yhwh, qui fais tout cela (Es 45,8).
Il affirme qu’il est le créateur des ténèbres et du malheur ! Telle est la logique ultime du monothéisme qui rejette toute forme de dualisme. Toute la question du mal se pose alors avec acuité. Même le zoroastrisme, la première religion monothéiste née dans cette région du globe, la plus développée et la plus influente à l’époque des prophètes d’Israël a maintenu un certain dualisme avec Ahriman, l’esprit mauvais, pour ne pas reporter sur Mazda, le dieu de lumière, l’origine du mal.
Cette affirmation déconcertante de Yhwh comme le créateur du malheur alimentera la réflexion des sages d’Israël qui un peu plus tard prendront le relais des prophètes. Ce qui importe pour le moment dans cette période cruciale de l’histoire, c’est de faire confiance à Yhwh et de célébrer ses bienfaits : Cieux, de là-haut répandez comme une rosée et que les nuées fassent ruisseler la justice, que la terre s’ouvre, que s’épanouisse le salut, que la justice germe en même temps ! (Es 45,9)
Yhwh confirme qu’il utilise bien Cyrus, cet empereur Perse totalement étranger à Israël, pour  libérer le peuple déporté : C’est moi qui ai fait la terre et qui ai, sur elle, créé l’humanité ; c’est moi, ce sont mes mains qui ont tendu les cieux et à toute leur armée je donne des ordres. C’est moi qui, selon la justice, ai fait surgir cet homme et j’aplanirai tous ses chemins. C’est lui qui rebâtira ma ville, et il renverra mes déportés, sans qu’il leur en coûte ni paiement, ni commission, dit Yhwh maître de l’univers (Es 45,12-13).

Tout le chapitre 46 est une puissante réaffirmation du monothéisme qui s’appuie d’une part sur l’observation de la création et d’autre part sur les évènements de l’histoire, évènements que Yhwh avait annoncés : Rappelez-vous cela, pour ranimer votre ardeur, ô révoltés, revenez là-dessus au fond de votre cœur, rappelez-vous les premiers événements, ceux d’autrefois : Oui, c’est moi qui suis Dieu, il n’y en a pas d’autre Dieu, et il n’y a que du néant en comparaison de moi. Dès le début j’annonce la suite, dès le passé, ce qui n’est pas encore exécuté (Es 46,8).

Avertissement à Babylone – Reproches à Israël – Fidélité de Yhwh

Le prophète annonce alors la chute de Babylone qui sera conquise effectivement par Cyrus en 539 : Tombe très bas, affale-toi dans la poussière, vierge, fille de Babylone, affale-toi à même le sol, privée de trône, fille des Chaldéens, car plus jamais tu n’obtiendras que l’on t’appelle «Délicate et Jouisseuse». Prends le moulin, mouds la farine, découvre tes tresses; retrousse ta robe, découvre tes cuisses, passe les fleuves : que soit découverte ta nudité, que soit vu ce qui t’expose à la risée (Es 47,1-3.)
Les empires s’imaginent éternelles, dans leur arrogance  ils ne discernent pas le sens de l’histoire : Tu disais : « je serai pour toujours, perpétuellement dominatrice ». Tu n’as pas réfléchi dans ton cœur au sens des événements, ni songé à leur suite (Es 47,7).
Ils ne perçoivent plus les évènements qui devraient pourtant les alerter, ils seront démunis face à la réalité qui s’abattra sur eux : Voici qu’arrivera sur toi un malheur : tu ne sauras le conjurer, voici que tombera sur toi un désastre : tu ne pourras t’en protéger; oui, sur toi arrivera soudain un saccage dont tu n’as pas idée (Es 47,11).

Quand à Israël, il croit être à l’abri par son culte à Yhwh, mais ce que Yhwh attend de lui  ce sont des cœurs droits et la pratique de la justice : Ecoutez ceci, maison de Jacob, vous qui vous appelez du nom d’Israël, vous qui êtes issus des sources de Juda, vous qui prêtez serment par le nom de Yhwh  et redoublez vos rappels du Dieu d’Israël, mais sans sincérité ni droitures (Es 48,1.)
Le peuple doit comprendre le sens des épreuves liées à la destruction de Jérusalem et à la déportation à Babylone : Voici que je t’ai épuré – non pas dans l’argent en fusion –je t’ai affiné dans le creuset de l’humiliation (Es 48,10).
Comme il a fondé l’univers, Yhwh a annoncé tous ces évènements : Ecoute-moi, Jacob, Israël, toi que j’appelle, je suis bien tel : c’est moi le premier, c’est moi aussi le dernier. Oui, c’est ma main qui a fondé la terre, ma droite qui a étendu les cieux ; si je les appelle, d’un coup ils se présentent. Rassemblez-vous tous et écoutez ! Qui, parmi les autres, a annoncé ces faits : celui que Yhwh aime exécutera son bon plaisir contre Babylone et son engeance, les Chaldéens ? (Es 48, 12)

Yhwh regrette cet énorme gâchis : Ah ! Si tu avais été attentif à mes ordres, ta paix serait comme un fleuve, et ta justice comme les flots de la mer ; ta descendance serait comme le sable, ses rejetons comme les gravillons : jamais son nom ne serait, de devant moi, ni retranché, ni extirpé (Es 48,18).
Mais maintenant l’épreuve est finie : Sortez de Babylone ! Fuyez de chez les Chaldéens ! D’une voix retentissante annoncez-le, faites-le entendre, ébruitez-le jusqu’à l’extrémité de la terre, dites : « Yhwh a racheté son serviteur Jacob » (Es 48,20).

La renaissance et  le « serviteur de Yhwh»

Les signes du renouveau, comme il a été dit, sont difficiles à discerner. Esaïe, dans la première partie, au milieu de la détresse qui a suivi la chute de Samarie avait évoqué comme signe, la naissance d’un enfant que l’on appellera Emmanuel (Es 7,14). Signe un peu déroutant convenons-en, « un enfant », quand en plein marasme militaire, le peuple attend un nouveau chef de guerre pour remporter la victoire sur ses ennemis !

Puis le prophète, au début du chapitre 42, a parlé d’un serviteur, soutenu par Yhwh, personnage aussi énigmatique qu’important dont on ne perçoit ni l’origine, ni l’identité. La description de ce personnage tranche radicalement avec le chef de guerre triomphant et « revanchard » qu’attend le peuple. Certes, nous avons vu plus haut que Yhwh a oint (Messie) un grand chef militaire et politique, Cyrus, pour envahir Babylone et libérer son peuple, mais la libération militaire n’est pas suffisante et la mission de ce serviteur s’élargit bien au-delà de cet aspect guerrier. Ce n’est pas par la guerre que ce personnage changera le monde, il ne s’agit pas d’inverser les rapports de force, mais discrètement, tout en douceur, de l’intérieur, il ouvrira les yeux du peuple aveugle en se penchant sur lui et en le libérant de l’enfermement de ses ténèbres intérieures.

L’influence du « serviteur » prend une dimension cosmique. Son poids dans le temps et dans l’espace sera sans aucune mesure avec celle d’un chef de guerre, il s’étendra bien au-delà d’Israël, sur toutes les nations du monde.

Ce serviteur (est-ce le prophète lui-même? Le peuple? Un messie à venir?), se voit confier une mission universelle : Je t’ai destiné à être la lumière des nations, afin que mon salut soit présent jusqu’à l’extrémité de la terre (Es 49,6).

Loin d’emprunter la voie du prestige et de la notoriété, le serviteur ouvre la voie du salut, tout en étant lui-même très paradoxalement rejeté, humilié : (…) à celui dont la personne est méprisée et que le monde regarde comme un être abject, à l’esclave des despotes : des rois verront et se lèveront, des princes aussi, et ils se prosterneront, (…) (Es 49,7).

Le peuple en déportation croyait être abandonné, mais Yhwh lui répond : la femme oublie-t-elle son nourrisson, oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas (Es 49,15) !

Le peuple sera stupéfait de cette renaissance : Tu diras alors dans ton cœur:« Ceux-ci, qui me les a enfantés ? Moi, j’étais privée d’enfants, stérile, en déportation, éliminée; ceux-là, qui les a fait grandir ? Voilà que je restais seule, ceux-là, où donc étaient-ils?» (Es 49,21).

Mission et souffrance du serviteur de Yhwh

Le prophète décrit la mission du serviteur de Yhwh : il sera attentif quotidiennement à la Parole de Yhwh, pour soulager les faibles, en acceptant d’être lui-même attaqué. Le Seigneur Dieu m’a donné une langue de disciple : pour que je sache soulager l’affaibli, il fait surgir une parole. Matin après matin, il me fait dresser l’oreille, pour que j’écoute, comme les disciples. Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille. Et moi, je ne me suis pas cabré, je ne me suis pas rejeté en arrière. J’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, mes joues, à ceux qui m’arrachaient la barbe; je n’ai pas caché mon visage face aux outrages et aux crachats (Es 50,4+).

Le serviteur reçoit de Yhwh, la force de supporter les attaques contre sa personne, sans se sentir humilié, sans se sentir coupable et sans contre-attaquer : C’est que le Seigneur Dieu me vient en aide : dès lors je ne cède pas aux outrages, dès lors j’ai rendu mon visage dur comme un silex, j’ai su que je n’éprouverais pas de honte. Il est proche, celui qui me justifie ! Qui veut me quereller ? Comparaissons ensemble ! Qui sera mon adversaire en jugement ? Qu’il s’avance vers moi ! Oui, le Seigneur Dieu me vient en aide : qui donc me convaincrait de culpabilité ? (…) (Es 50,7-9).

 

Le peuple peut puiser dans son histoire l’assurance que Yhwh le confortera dans son malheur actuel : Regardez Abraham, votre père, et Sara qui vous a mis au monde; il était seul, en effet, quand je l’ai appelé; or je l’ai béni, je l’ai multiplié. Oui, Yhwh réconforte Sion, il réconforte toutes ses dévastations; il rend son désert pareil à un Eden et sa steppe pareille à un Jardin de Yhwh; on y retrouvera enthousiasme et jubilation, action de grâce et son de la musique (Es 51,2-3).
Dès lors, les moqueries n’auront plus de prise sur ceux qui écoutent la Parole : Ecoutez-moi, vous qui connaissez la justice, peuple de ceux qui ont ma Loi dans leur cœur : Ne craignez pas la risée des humains, et par leurs sarcasmes ne soyez pas terrassés, car la teigne les mangera comme un habit, la mite les mangera comme de la laine. Mais ma justice sera là pour toujours, et mon salut, de génération en génération (Es 51,7-8).
A terme, le contraste sera saisissant entre le destin glorieux du serviteur et la façon dont il fût perçu et maltraité par la foule : Voici que mon Serviteur réussira, il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême. De même que les foules ont été horrifiées à son sujet – à ce point détruite, son apparence, n’était plus celle d’un homme, et son aspect n’était plus celui des fils d’Adam –, de même à son sujet des foules de nations vont être émerveillées, des rois vont rester bouche close, car ils voient ce qui ne leur avait pas été raconté, et ils observent ce qu’ils n’avaient pas entendu dire (Es 52,13-15).
La nouveauté annoncée et le chemin de salut espéré se manifesteront à travers le paradoxe étonnant de ce personnage dont l’apparence est tellement décalée par rapport à ce que l’on attendait : (…) Il végétait comme un rejeton, comme une racine sortant d’une terre aride. Il n’avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions, ni apparence telle que nous le recherchions. Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, tel celui devant qui l’on cache son visage, oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement (Es 53, 1-3).

Comment comprendre un tel paradoxe, si radicalement contre intuitif ?
Le prophète apporte un éclairage qui nous invite à une remise en cause de nos certitudes et de nos assurances : En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions touché, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités : la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui, et dans ses plaies se trouvait notre guérison (Es 53,4-5).

Le serviteur, comparé ici à un agneau, semble jouer le rôle du « bouc émissaire » décrit dans le livre du Lévitique *(Lv 16,20). Le bouc portait sur sa tête toutes les fautes du peuple, puis il était envoyé au désert. Le bouc n’est pas le coupable, mais son expulsion permet au peuple de retrouver la paix : Nous tous, comme du petit bétail, nous étions errants, nous nous tournions chacun vers son chemin, et Yhwh a fait retomber sur lui la perversité de nous tous. Brutalisé, il s’humilie; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir comme une brebis devant ceux qui la tondent: elle est muette ; lui n’ouvre pas la bouche. Sous la contrainte, sous le jugement, il a été enlevé, les gens de sa génération, qui se préoccupe d’eux ? Oui, il a été retranché de la terre des vivants, à cause de la révolte de son peuple, le coup est sur lui. (…) bien qu’il n’ait pas commis de violence et qu’il n’y eut pas de fraude dans sa bouche (Es 53,6-8).

Le peuple est bien responsable de son malheur, mais il sera libéré de sa faute par l’attitude du serviteur: Yhwh a voulu le broyer par la souffrance. Si tu fais de sa vie un sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours, et la volonté de  Yhwh aboutira (Es 53,10).

Ces versets et les versets suivants sont un sommet de la révélation biblique, ils constituent une révolution anthropologique par une métamorphose du sens du mot « sacrifice » et donc du contenu du sacré.

Portée anthropologique du « Serviteur souffrant »

Fonction du sacrifice

Nous avons étudié au cours de la lecture du livre du Lévitique * (Tome 1, p 247), la théorie de la fonction du sacrifice, développée par René Girard et ce qu’elle nous a appris sur l’homme :

Face aux risques d’emballement de la violence au sein d’un groupe, la désignation d’un coupable, un « bouc émissaire », permet de canaliser la violence, en passant d’un « tous contre tous » à un « tous contre un ». Dans toutes les premières civilisations, le mécanisme inconscient de sauvegarde du groupe, répété à chaque manifestation potentielle de la violence, s’est progressivement ritualisé, sous la forme d’un sacrifice, humain originellement, puis progressivement animal.

La mise à mort d’une victime, censée être une offrande aux dieux pour calmer leurs colères, tel un « parfum apaisant* » décrit dans le livre du Lévitique *(Tome 1, p 257), permettait en fait à la violence des individus de se défouler sur une seule personne, préservant ainsi l’unité et la paix du groupe. Le livre du Lévitique a amorcé un changement du sens de cette pratique cultuelle, symbolisé par la fonction du bouc. Le bouc n’est pas le coupable, mais il porte toutes les conséquences de la faute du peuple. Le sacrifice chez le peuple hébreu s’enrichit alors de nouvelles fonctions : offrande, purification, pardon, paix, réparation, communion. Toutes exigent une reconnaissance de la faute des individus.

En l’absence de cette reconnaissance, le sacrifice retombe dans l’acte magique censé rétablir la paix, tout en voilant la responsabilité du peuple.

Lever le voile sur la violence

Nous avons vu au début du livre d’Esaïe que Yhwh dénonçait la pratique des sacrifices qui servait de paravent pour cacher les mensonges, l’injustice et l’exploitation des plus faibles.

Les cultes sacrés se sont avérés impuissants à atteindre leurs objectifs avoués de pacification des hommes.

Néanmoins la fonction du sacrifice, qui est de rétablir l’unité du peuple par l’évacuation de la violence, reste vitale.
Supprimer purement et simplement les sacrifices ne reviendrait-il pas à laisser la porte ouverte à la violence de tous contre tous ?
Seule la prise de conscience, par chaque individu, de la violence contenue en lui, permettrait d’endiguer les effets destructeurs de la violence et rendrait les sacrifices inutiles. Telle est la mission du serviteur, permettre aux  hommes de prendre progressivement conscience de leur propre violence.

Une telle prise de conscience conditionne les changements de comportements.

L’irremplaçable apport de la Bible à l’humanité, analysé sur un plan purement anthropologique, est l’éclairage projeté sur les rites sacrificiels. En levant progressivement le voile sur la violence cachée, en mettant le projecteur sur l’origine méconnue de la violence humaine, le passage d’Esaïe sur le serviteur souffrant (Es 50-53), amorce un retournement complet de la notion même de sacrifice.

Le retournement ou conversion

Yhwh, par l’intermédiaire de tous ses prophètes, jette un regard critique, pour ne pas dire de dégoût, sur les cultes purement formels, auxquels le peuple prête des propriétés magiques, comme si la bienveillance de Yhwh pouvait s’acheter.

La projection de la violence sur une victime « bouc émissaire », condition apparente de l’efficacité du sacrifice, est dénoncée de plus en plus nettement et la méconnaissance de l’origine de la violence dévoilée.

La violence est inscrite originellement dans le cœur de chaque individu. La lutte contre les effets potentiellement destructeurs de la violence passe par la reconnaissance de la violence blottie en chacun de nous, afin non pas de l’éliminer –  c’est impossible et donc non souhaitable car elle est consubstantielle à l’homme et à son désir – mais de la retourner, de la convertir. Changement qui passe par un travail, fatalement douloureux, sur notre cœur*, comme l’exprime bien ce psaume :

«Je reconnais mes torts, j’ai toujours mon péché devant moi (…) (Ps 51,5).
Tu n’aimerais pas que j’offre un sacrifice, tu n’accepterais pas d’holocaustes. Le sacrifice voulu par Yhwh, c’est un esprit brisé ; Yhwh tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé » (Ps 51,18-19).

*(cœur au sens biblique = volonté + raison + sensibilité)

Le serviteur de Yhwh, devenu le « bouc émissaire » du peuple, révèle la violence de tous. Mais le serviteur ne renvoie pas cette violence, il la prend sur lui. Il est la victime innocente qui porte la douleur de l’humanité. C’est l’innocence d’un qui rachète la violence de tous.

 Alliance nouvelle

Le serviteur par le don de sa vie, devient « lumière des nations » (Es 49,6).
Il sera alors exalté par Yhwh. Son sacrifice sauve réellement et définitivement l’humanité. : Ayant payé de sa personne, il verra une descendance, il sera comblé de jours ; sitôt connu, juste, il dispensera la justice, lui, mon Serviteur, au profit des foules, du fait que lui-même supporte leurs perversités. Dès lors je lui taillerai sa part dans les foules, et c’est avec des myriades qu’il constituera sa part de butin, puisqu’il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort et qu’avec les pécheurs il s’est laissé recenser, puisqu’il a porté, lui, les fautes des foules et que, pour les pécheurs, il vient s’interposer (Es 53,11-12).

Le prophète annonce que, sur ces nouvelles bases, le peuple pourra retrouver la joie et une fécondité exceptionnelle : Pousse des acclamations, toi, stérile, qui n’enfantais plus, explose en acclamations et vibre, toi qui ne mettais plus au monde ; car les voici en foule, les fils de la désolée, plus nombreux que les fils de l’épousée, dit Yhwh. Elargis l’espace de ta tente, les toiles de tes demeures, qu’on les distende ! Ne ménage rien ! Allonge tes cordages et tes piquets, fais-les tenir, car à droite et à gauche tu vas déborder (Es 54,1+).

Ce renouveau se traduira par une alliance nouvelle, scellée par un grand festin : (…) Ecoutez donc, écoutez-moi, et mangez ce qui est bon ; que vous trouviez votre jouissance dans des mets savoureux : tendez l’oreille, venez vers moi, écoutez et vous vivrez. Je conclurai avec vous une alliance perpétuelle, oui, je maintiendrai les bienfaits de David. (Es 55,2-3).

Une telle tendresse et une telle surabondance de dons pour ceux qui se tournent vers Yhwh dépassent infiniment notre imagination : Qu’il retourne vers Yhwh, qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu, qui pardonne abondamment.  C’est que vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins– oracle de Yhwh. C’est que les cieux sont hauts, par rapport à la terre : ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées, par rapport à vos pensées (Es 55,7-8).

La Parole de Yhwh descend du ciel pour féconder la terre : C’est que, comme descend la pluie ou la neige, du haut des cieux, et comme elle ne retourne pas là-haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture à celui qui mange, ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche : elle ne retourne pas vers moi sans résultat ,sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée. (Es 55, 9-11)

La question du Mal et du pardon

Il est certain que la portée de ce texte et les perspectives qu’il ouvre pour les siècles à venir ne sont qu’à peine entrevues à l’époque de l’exil, mais néanmoins c’est toute la question de la souffrance et du scandale du mal qui est posée.

Si le serviteur de Yhwh, parfaitement innocent, connait la souffrance, c’est toute la doctrine de la rétribution qui est ébranlée. Le livre de Job, monument de la littérature universelle, ainsi que de nombreux psaumes porteront – phénoménologiquement dirions-nous en langage philosophique – la dramatique de cette question qui remet en cause l’évidence du lien, entre le bien et le bonheur d’une part, le mal et le malheur d’autre part.

L’intuition révolutionnaire contenue dans ce texte énigmatique rend la question de l’identité du « serviteur souffrant » d’autant plus cruciale et mystérieuse.

Nous verrons, en étudiant les Evangiles, que la personne de Jésus, de par sa passion et sa mort infamante sur une croix, sera associée au serviteur souffrant de ce texte d’Esaïe. Sa mort met en lumière cette violence.

L’homme n’a plus à se sacrifier, à quêter les faveurs divines pour obtenir ou mériter son salut, ses fautes sont pardonnées. Il aura à porter les souffrances, à supporter les conséquences du dérèglement du Mal, dont on a vu toute la dimension cosmique.

Il n’est pas tenu à accepter passivement cette souffrance avec une sorte de résignation – Jérémie, Job et Jésus lui-même ne s’y résignent pas – mais à la porter positivement dans le pardon. Par sa souffrance et son pardon, dans un même mouvement, à l’instar du « serviteur souffrant », l’homme désormais innocent, sans se targuer du mérite de cette innocence, éclaire les fausses pistes où s’égare l’humanité. Il la sauve.

Conclusion : Sens et fécondité de l’exil

La question du mal illustre bien comment l’exil du peuple, après la perte des repères de l’identité collective d’Israël, suscitera chez ses membres un profond questionnement qui lui permettra progressivement d’en construire d’autres plus solides, plus intérieurs, plus universels.
Cette épreuve, cette humiliation deviennent un affinement (Es 48,10), un enseignement (Es 48,17) où la responsabilité de l’individu s’affirmera (Jr 31,29), où les éléments constitutifs du collectif fondés sur la promesse de Yhwh sont interrogés :
Qui est le peuple de Yhwh ?  Quel est son Roi ?  Quel est son Temple ?
Ces interrogations vont alimenter une intense activité intellectuelle et spirituelle qui va se traduire par une mutation de ces anciens critères d’appartenance. L’exil, en les libérant des contraintes politiques, en rompant les attaches matérielles à la terre et à la pierre, verra fleurir une grande richesse symbolique et spirituelle de ces critères. Cette fermentation des esprits donnera le jour non seulement au Judaïsme dont on peut acter la naissance à cette époque et dans ce lieu de Babylone, mais aussi quelques siècles plus tard au Christianisme qui, en la personne de Jésus nommé Christ (oint ou messie), incarnera ce serviteur souffrant, portera à son aboutissement le travail de symbolisation et révélera la dimension cosmique, personnelle et universelle d’appartenances au « royaume ».

Nous aurons l’occasion, dans la période qui va s’ouvrir avec le retour de l’exil, de suivre ce travail de symbolisation toujours sous l’impulsion des prophètes. Période qui verra le développement de deux axes majeurs de la pensée juive : le messianisme – croyance en la venue d’un messie – et l’eschatologie – doctrine sur la fin des temps. Axes de pensée qui donneront naissance un peu plus tard, avec le livre de Daniel, à un nouveau genre littéraire biblique, la littérature apocalyptique, manifestation ultime de la révélation.

Esaïe (56-66)

Contexte historique

En 538, un édit de Cyrus, nouvel empereur de Babylone, permet aux judéens de retourner dans leur pays d’origine, s’ils le souhaitent. Une partie des descendants des exilés nourris de la promesse d’un renouveau a alors choisi de s’installer à Jérusalem, pour reconstruire le temple. Les livres d’Esdras et de Néhémie décrivent les difficultés auxquelles ils se heurtèrent. Plus de soixante ans après la déportation de l’élite, de Jérusalem à Babylone, la population de la Judée est très composite, partagée entre : les juifs restés dans le pays, ceux qui sont revenus d’exil, les étrangers venus de plus en plus nombreux, sans compter les juifs de la diaspora qui restent attachés à Jérusalem.
Les résidents de Judée dont les parents ne connurent pas la déportation, n’apprécièrent pas les bouleversements qu’importèrent les enfants de déportés, le plus souvent beaucoup plus cultivés qu’eux.

En effet, le judaïsme, avec la place prépondérante donnée à l’étude de la Torah, est véritablement né à Babylone sous l’impulsion des prophètes, Jérémie, Ezéchiel et le Deutero-Esaïe. L’auteur de cette troisième partie du livre d’Esaïe est à Jérusalem, il pourrait être le même que celui de la partie précédente qui résidait à Babylone, il serait alors revenu à Jérusalem avec les premiers revenants. Les exégètes penchent plutôt pour un troisième personnage, car s’il y a bien une reprise des thèmes des deux premières parties, le style est bien différent.

Le prophète, troisième Esaïe, se heurte donc aux divisions entre frères. Le projet de reconstruction du temple, porté par les juifs de retour de Babylone, se heurte à de fortes résistances de la part des locaux qui, le plus souvent, sont restés dans un syncrétisme religieux, assez éloigné du strict monothéisme et de l’éthique défendue par les prophètes. La place, de plus en plus importante, tenue par les étrangers à Jérusalem, complique encore cette reconstruction de l’identité d’Israël. On peut comprendre le désarroi et sans doute la désillusion de la nouvelle génération nourrie par les prophètes précédents dans l’espérance d’une reconstruction du peuple, autour du temple de Jérusalem. Tel est le contexte social et religieux de la troisième partie du livre d’Esaïe.

Conditions du renouveau universel

Pratique de la justice
Le prophète conforte l’espoir du salut. Il annonce que le renouveau tant attendu est sur le point d’arriver. Il est cependant lié à la pratique du droit et de la justice : Ainsi parle Yhwh : Gardez le droit et pratiquez la justice, car mon salut est sur le point d’arriver et ma justice, de se dévoiler. Heureux l’homme qui fait cela (Es 56,1).

Avec ce brassage de populations diverses, le champ de l’appartenance au peuple doit s’ouvrir au-delà des critères ethniques : Qu’il n’aille pas dire, le fils de l’étranger qui s’est attaché à Yhwh, qu’il n’aille pas dire : « Yhwh  va certainement me séparer de son peuple ! » (Es 56,3)

Il est vrai qu’en prenant à la lettre un passage du livre de l’Exode, on pouvait entendre l’exclusion des étrangers : Yhwh dit à Moïse et à Aaron : « Voici le rituel de la Pâque : Aucun étranger n’en mangera (Ex 12,43).
Il semblait bien en être de même pour les eunuques : L’homme mutilé par écrasement et l’homme à la verge coupée n’entreront pas dans l’assemblée de Yhwh (Dt 23,2).
Or là, le prophète leur ouvre les portes : Que l’eunuque n’aille pas dire : « Voici que je suis un arbre sec ! »  Car ainsi parle le Seigneur : Aux eunuques qui gardent mes sabbats, qui choisissent de faire ce qui me plaît et qui se tiennent dans mon alliance, à ceux-là je réserverai dans ma Maison, dans mes murs, une stèle porteuse du nom ; ce sera mieux que des fils et des filles ; j’y mettrai un nom perpétuel, qui ne sera jamais retranché (Es 56,3-5)

Le véritable critère d’appartenance au futur Temple de la nouvelle Jérusalem sera l’attachement à Yhwh et la prière : Les fils de l’étranger qui s’attachent à Yhwh pour assurer ses offices, pour aimer le nom de Yhwh, pour être à lui comme serviteurs, tous ceux qui gardent le sabbat sans le déshonorer et qui se tiennent dans mon alliance, je les ferai venir à ma sainte montagne, je les ferai jubiler dans la Maison où l’on me prie ;leurs holocaustes et leurs sacrifices seront en faveur sur mon autel, car ma Maison sera appelée :« Maison de prière pour tous les peuples » (Es 56, 6-7).

Dénonciation des autorités

Après cette ouverture aux étrangers, aux mutilés, le prophète dénonce férocement l’insouciance et la voracité des autorités : Ce sont des aveugles qui font le guet ; tous autant qu’ils sont, ils ne savent rien ; ils sont des chiens muets, ils ne parviennent pas à aboyer, rêvassant, allongés, aimant à somnoler, mais ils sont aussi des chiens au gosier vorace, ils ne savent pas dire : « Assez ! » et ce sont eux les bergers ! Ils ne savent rien discerner (Es 56, 10-11).
L’application de la justice n’est pas leur souci majeur : Le juste périt, sans que personne ne prenne la chose à cœur (Es, 57,1).
Les autorités se moquent du monde : De qui vous moquez-vous ? Contre qui ouvrez-vous largement la bouche et faites-vous marcher votre langue ?
Leurs pratiques cultuelles sont l’occasion d’assouvir leurs désirs sexuels : Sur une montagne qui s’élève haut tu as installé ta couche et c’est là que tu es montée pour offrir le sacrifice. (…) Oui, loin de moi tu t’es dévêtue, tu es montée, tu as élargi ta couche ; tu t’es payé une bonne tranche grâce à ces gens dont tu aimes la couche ; le membre, tu l’as contemplé (Es 57, 7-8).
Face à toutes ces dérives, Yhwh  apparemment n’a rien fait : Moi, n’est-ce pas, je suis depuis longtemps resté inactif, alors tu ne me crains pas (Es 57,11).
Mais l’heure de la justice arrive : Qui se réfugie en moi recevra la Terre comme patrimoine et ma Montagne sainte comme possession (Es 57, 13).
Yhwh, le haut placé, est proche de ceux qui sont écrasés, rabaissés : Haut placé et saint je demeure, tout en étant avec celui qui est broyé et qui en son esprit se sent rabaissé, pour rendre vie à l’esprit des gens rabaissés, pour rendre vie au cœur des gens broyés (Es 57, 15).

Le prophète dénonce l’écart entre leurs pratiques religieuses et la pratique de la justice au quotidien : Le jour de votre jeûne, vous savez tomber sur une bonne affaire, et tous vos gens de peine, vous les brutalisez ! Or vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute et en frappant du poing méchamment ! Vous ne jeûnez pas comme il convient en un jour où vous voulez faire entendre là-haut votre voix (Es 58,3-4).

Le jeûne n’a de sens que s’il s’accompagne d’efforts incessants pour libérer les anawim* de toutes aliénations : Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras : devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. Alors ta lumière poindra comme l’aurore (Es  58,6-8).

Ce décalage entre le discours et les actes, l’hypocrisie et le mensonge sont la cause de leurs désillusions : Mais ce sont vos perversités qui ont mis une séparation entre vous et votre Dieu ; ce sont vos fautes qui ont tenu son visage caché loin de vous, trop loin pour qu’il vous entende. Vos paumes, en effet, sont tachées par le sang, et vos doigts par la perversité ; vos lèvres profèrent la tromperie, votre langue roucoule la perfidie (Es 59,2-3).

Promesse de salut

Malmené par les forces étrangères, le peuple se plaint de ne pas voir venir le jugement promis par Yhwh en leur faveur : Dès lors le jugement demeure loin de nous et la justice ne parvient pas jusqu’à nous. Nous espérions la lumière, et voici les ténèbres, la clarté, et nous marchons dans l’obscurité.  Nous tâtonnons comme des aveugles contre un mur, nous tâtonnons comme des gens sans yeux. En plein midi nous trébuchons comme au crépuscule, en pleine santé, nous sommes tels des morts. (…) Nous espérions le jugement, mais rien ! Le salut, mais il demeure loin de nous (Es 59, 9-11).

Mais le peuple ne peut s’en prendre qu’à lui-même et certains commencent à s’en rendre compte : C’est que nos révoltes abondent en face de toi, et nos fautes déposent contre nous ; oui, nos révoltes font corps avec nous et nos perversités, nous les connaissons bien : se révolter, renier Yhwh, se rejeter en arrière loin de notre Dieu, projeter extorsion et détournement,  du fond du cœur concevoir et roucouler des paroles trompeuses. Ainsi le jugement a été rejeté en arrière et la justice, au loin, reste immobile. C’est que la vérité a trébuché sur la place et la droiture ne peut y avoir accès ; la vérité a été portée manquante (Es 59, 12-15).
A ceux-là qui reconnaissent l’inadéquation de leurs comportements, le décalage entre leurs pratiques quotidiennes et la justice, Yhwh maintient sa promesse de salut, il viendra les aider : Il viendra en rédempteur pour Sion, pour ceux qui, en Jacob, rétractent leur révolte (Es 59,20).
Concrètement, ce salut passera par une nouvelle alliance, sous la forme d’un don, celui de l’Esprit : Quant à moi – dit Yhwh –voici quelle sera mon alliance avec eux : Mon Esprit qui est sur toi, et mes paroles que j’ai mises dans ta bouche ne s’écarteront pas de ta bouche, ni de la bouche de ta descendance, ni de la bouche de la descendance de ta descendance– dit Yhwh –dès maintenant et pour toujours (Es 59,21).

Porteur de lumière

Alors le prophète stimule le peuple pour qu’il se remette debout, il sera alors porteur de la lumière de Yhwh destinée à toutes les nations : Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière : la gloire de Yhwh  sur toi s’est levée. Voici qu’en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi Yhwh va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue.  Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever (Es 60,1-3).
L’avenir de Jérusalem sera radieux : Alors tu verras, tu seras rayonnante, ton cœur frémira et se dilatera, car vers toi sera détournée l’opulence des mers, la fortune des nations viendra jusqu’à toi (Es 60,5).
Tu suceras le lait des nations, tu dévoreras la richesse des rois, et tu sauras que ton Sauveur, c’est moi, Yhwh,  celui qui te rachète. (…) J’instituerai pour toi, en guise d’inspection, la Paix, en guise de dictature, la Justice. Désormais ne se feront plus entendre la violence, dans ton pays (…) (Es 60,16-18).
Le prophète reprend alors avec force l’image puissante de la lumière : Désormais ce n’est plus le soleil qui sera pour toi la lumière du jour, ce n’est plus la lune, avec sa clarté, qui sera pour toi la lumière de la nuit. C’est Yhwh qui sera pour toi la lumière de toujours, c’est ton Dieu qui sera ta splendeur. Désormais ton soleil ne se couchera plus, ta lune ne disparaîtra plus, car Yhwh sera pour toi la lumière de toujours et les jours de ton deuil seront révolus (Es 60, 19-20).

Un messie porteur de l’Esprit de Yhwh viendra relever les humiliés, les blessés, libérer les prisonniers : L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi. Yhwh en effet, a fait de moi un messie, il m’a envoyé porter joyeux message aux humiliés, panser ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs l’évasion, aux prisonniers l’éblouissement* (Es 61,1).

* Jésus fera allusion à ce passage quand on lui demandera s’il est bien celui que l’on attend (Mt 11,4).

La justice sera restaurée : Car moi, Yhwh, j’aime le droit, je hais le vol enrobé de perfidie, je donnerai fidèlement votre récompense : je conclurai avec vous une alliance perpétuelle (Es 61,8).

Ce rétablissement de la justice suscitera l’enthousiasme et l’admiration de tous : Je suis enthousiaste, oui, enthousiasmée, à cause de Yhwh, mon âme exulte à cause de mon Dieu, car il m’a revêtue de l’habit du salut, il m’a drapée dans le manteau de la justice, (…) Oui, comme la terre fait sortir ses germes et un jardin germer ses semences, ainsi Yhwh fera germer la justice et la louange face à toutes les nations (Es 61,10).

La ville de Jérusalem complètement rasée en 585 par Nabuchodonosor retrouvera sa splendeur. Le prophète appelle symboliquement la ville, « Sion »,  du nom du mont qui la côtoie pour personnifier la présence et la bénédiction de Dieu : Tu seras une couronne de splendeur dans la main de Yhwh, une tiare de royauté dans la paume de ton Dieu. On ne te dira plus : « l’Abandonnée », on ne dira plus à ta terre : « la Désolée », mais on t’appellera « Celle en qui je prends plaisir », et ta terre « l’Epousée », car Yhwh mettra son plaisir en toi et ta terre sera épousée (Es 62,3).

(…) Dites à la fille de Sion : Voici ton Salut qui vient, voici avec lui son salaire et devant lui sa récompense. On les appellera « le Peuple saint », « les Rachetés de Yhwh », et l’on t’appellera « la Recherchée »,« la Ville non abandonnée » (Es 62,11-12).

Dialogue à connotation eschatologique entre Yhwh et le prophète

L’interlocuteur de Yhwh est surpris de voir arriver un personnage venant d’Edom complétement cramoisi avec du rouge sur son vêtement.  Edom, le peuple voisin d’Israël, incarnait à cette époque l’hostilité des peuples opposés à Yhwh, car lors de l’attaque de Nabuchodonosor en 595 contre Jérusalem, il a mis à profit les difficultés de son voisin pour s’acharner contre lui. Devant la fureur des nations contre son peuple, Yhwh intervient pour le sauver et annonce que l’heure du jugement de tous les peuples est arrivé :  – C’est moi qui parle de justice, qui querelle pour sauver, répond Yhwh. – Pourquoi y a-t-il du rouge à ton vêtement, pourquoi tes habits sont-ils comme ceux d’un fouleur au pressoir ?(Es 63,1-2).

Le jugement est ici comparé à un pressoir à raisin. Yhwh est venu comme un homme qui foule le raisin dans le pressoir et le jus rouge est associé au sang de la vengeance : Dans mon cœur, en effet c’était jour de vengeance, l’année de ma rédemption était venue. J’ai regardé : aucune aide ! Je me suis désolé : aucun soutien ! Alors mon bras m’a sauvé et ma fureur a été mon soutien. J’ai écrasé les peuples, dans ma colère, je les ai enivrés, dans ma fureur : leur prestige, je l’ai fait tomber à terre (Es 63,4-6).
La colère de Yhwh contre les empires dominateurs s’inscrit comme un bienfait de Yhwh tout au long de l’histoire d’Israël : Je rappellerai les bienfaits de Yhwh, les louanges célébrant Yhwh, selon tout ce que Yhwh a mis en œuvre pour nous, oui, sa grande bonté pour la maison d’Israël, qu’il a mise en œuvre pour eux selon sa tendresse, prodigue en bienfaits. Il avait dit : « Vraiment, ils sont mon peuple, des fils qui ne trompent pas », et il fut pour eux un Sauveur dans toutes leurs détresses (Es 63,7-9).

Mais le peuple ne reconnut pas ses bienfaits, il se détourna de Yhwh : Mais eux se cabrèrent, ils accablèrent son Esprit saint. Alors il se retourna contre eux en ennemi, lui-même se mit en guerre contre eux (Es 63,10).

Les malheurs que connurent alors Israël sont perçus par le peuple comme un abandon de la part de Yhwh. Dans sa détresse, le peuple fait appel à Yhwh et lui rappelle tous ses bienfaits d’autrefois et réaffirme qu’il est bien leur Père et qu’ils sont ses fils : Regarde et vois, depuis le ciel, depuis ton palais saint et splendide : où sont donc ton ardeur et ta vaillance, l’émoi de tes entrailles ? Tes tendresses pour moi ont-elles été contenues ? C’est que notre Père, c’est toi ! Abraham en effet ne nous connaît pas, Israël ne nous reconnaît pas non plus ; c’est toi, Yhwh, qui es notre Père, notre Rédempteur depuis toujours, c’est là ton nom (Es 63,15-16).

Le peuple en vient même à reprocher à Yhwh de ne pas être intervenu plus tôt pour les remettre sur le bon chemin. , il les a laissés s’éloigner de lui : Pourquoi nous fais-tu errer, Yhwh, loin de tes chemins, et endurcis-tu nos cœurs qui sont loin de te craindre ?(Es 63,17)

Il  supplie alors Yhwh de revenir, de descendre des cieux : Et depuis longtemps nous sommes ceux sur qui tu n’exerces plus ta souveraineté, ceux sur qui ton nom n’est plus appelé. Ah  si tu déchirais les cieux et si tu descendais, tel que les montagnes soient secouées devant toi! (Es 63, 19)

Car le Père doit pardonner les errements de ses fils : Cependant, Yhwh, notre Père c’est toi; c’est nous l’argile, c’est toi qui nous façonnes, tous nous sommes l’ouvrage de ta main.  Ne t’irrite pas, Yhwh, jusqu’à l’excès, ne te rappelle pas à jamais la perversité. Mais regarde donc : ton peuple, c’est nous tous !(Es 64,7-8)

A partir de l’image utilisée plus haut, où le jugement est comparé au pressoir du raisin, Yhwh illustre l’idée d’un reste pour Israël : Ainsi parle Yhwh : de même que l’on trouve du suc dans une grappe et que l’on dit : « Ne la détruis pas, car il y a une bénédiction dedans », ainsi ferai-je à cause de mes serviteurs, afin de ne pas détruire l’ensemble. Je ferai sortir de Jacob une descendance, oui, de Juda, un héritier de mes montagnes (…) (Es 65,8-9).

Un abyme séparera alors l’avenir de ceux qui répondent à l’appel de Yhwh, de ceux qui ne veulent rien entendre et qui s’enferrent dans leurs mauvaises voies :

J’ai appelé, en effet, et vous n’avez pas répondu.
C’est pourquoi ainsi parle le Seigneur Dieu :Voici que mes serviteurs mangeront,  et vous, vous endurerez la faim ;voici que mes serviteurs boiront, et vous, vous endurerez la soif ;voici que mes serviteurs jubileront, et vous, vous aurez honte ; voici que mes serviteurs pousseront des acclamations dans le bien-être de leur cœur, et vous, vous pousserez des cris, dans le malaise de votre cœur, oui, l’esprit brisé, vous hurlerez ! (Es 65,12-14)

Des cieux nouveaux et une terre nouvelle s’ouvriront pour les premiers, ils seront bénis et leurs erreurs passées seront définitivement effacées : En effet, les détresses du passé seront oubliées, oui, elles seront cachées à mes yeux. En effet, voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle ; ainsi le passé ne sera plus rappelé, il ne remontera plus jusqu’au secret du cœur (Es 65,16-17).

De là naitra un nouveau peuple, une nouvelle Jérusalem : Oui, j’exulterai au sujet de Jérusalem,  je serai dans l’enthousiasme au sujet de mon peuple ! Désormais, on n’y entendra plus retentir ni pleurs, ni cris (Es 65,19).

Le prophète reprend alors l’image idyllique du temps idéal, déjà annoncé par Esaïe en 11, 9 : Avant même qu’ils appellent, moi, je leur répondrai, alors qu’ils parleront encore, moi, je les aurai écoutés ! Le loup et l’agneau brouteront ensemble, le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage ; quant au serpent, la poussière sera sa nourriture. Il ne se fera ni mal ni destruction sur toute ma montagne sainte, dit Yhwh (Es 65,24-25).

Le jugement final

Il y aura bien, en final, un jugement, mais la séparation ne se fera pas entre ceux qui ont péché et ceux qui n’ont pas péché, car tous ont péché, mais entre les humbles, les pauvres d’un côté et les arrogants, les suffisants de l’autre : C’est vers celui-ci que je regarde : vers l’humilié, celui qui a l’esprit abattu, et qui tremble à ma parole (Es 66,2).

A l’inverse ceux qui pratiquent des cultes, sans respecter leurs frères, seront rejetés : On sacrifie le taureau, mais aussi on abat un homme !on immole la brebis, mais aussi on assomme un chien !on élève une offrande, mais c’est du sang… de porc ! on fait un mémorial d’encens, mais c’est pour bénir… une malfaisante idole ! Ces gens-là, c’est sûr, choisissent leurs propres chemins et se complaisent dans leurs abominations (Es 66,3).

Malheurs à ceux qui, tout en se réclamant de Yhwh, évincent  les pauvres et les humiliés : Vos frères qui vous haïssent et qui, à cause de mon nom, vous excluent ont dit : « Que Yhwh montre donc sa gloire et que nous voyions votre jubilation ! » Mais ce sont eux qui seront dans la honte (Es 66, 5).

Face aux difficultés actuelles de Jérusalem, le peuple ne doit pas désespérer : Un pays est-il mis au monde en un seul jour, une nation est-elle enfantée en une seule fois pour qu’à peine en travail Sion ait enfanté ses fils ? Est-ce que moi j’ouvrirais passage à la vie pour ne pas faire enfanter ?– dit Yhwh. Est-ce que moi, qui fais enfanter,  j’imposerais à la vie une contrainte ?(Es 66,8-9)

Yhwh est aussi une mère pour son peuple :Jubilez avec Jérusalem, exultez à son sujet, vous tous qui l’aimez. (…)  Que vous suciez le lait et soyez rassasiés de son sein réconfortant ! que vous tiriez le maximum et jouissiez de sa mamelle glorieuse ! Car ainsi parle Yhwh : Voici que je vais faire arriver jusqu’à elle la paix comme un fleuve, et, comme un torrent débordant, la gloire des nations.  Vous serez allaités, portés sur les hanches et cajolés sur les genoux. Il en ira comme d’un homme que sa mère réconforte : c’est moi qui, ainsi, vous réconforterai, oui, dans Jérusalem, vous serez réconfortés. Vous verrez, votre cœur sera enthousiasmé, vos os comme un gazon seront revigorés. La main de Yhwh se fera connaître à ses serviteurs, (…) (Es 66,10-14).

Par contre Yhwh sera intraitable pour  ceux qui se veulent « sacro-saints » et « purs » (Es 66,17) et  par derrière ne respectent rien. C’est du feu qui les transpercera : Il se montrera indigné envers ses ennemis : Voici, en effet, Yhwh : c’est dans du feu qu’il vient, ses chars pareils à un typhon, pour régler sa dette de colère par de la fureur et sa dette de menaces par les flammes du feu. Oui, c’est armé de feu que Yhwh  entre en jugement avec toute chair, et aussi armé de son épée : nombreux seront les êtres transpercés par Yhwh (Es 66,14-15).

Le projet final est de rassembler toutes les nations : C’est moi qui motiverai leurs actes et leurs pensées ; je viens pour rassembler toutes les nations de toutes les langues; elles viendront et verront ma gloire : oui, je mettrai au milieu d’elles un signe (Es 66,18).

Y compris celles qui n’ont jamais entendu parler de Yhwh : En outre j’enverrai de chez eux des rescapés vers les nations (…)  et les îles lointaines, qui n’ont jamais entendu parler de moi, qui n’ont jamais vu ma gloire ; ils annonceront ma gloire parmi les nations.
Les gens amèneront tous vos frères, de toutes les nations, en offrande à Yhwh – à cheval, en char, en litière, à dos de mulet et sur des palanquins Et même parmi eux je prendrai des prêtres, des lévites, dit Yhwh.
Oui, comme les cieux nouveaux et la terre nouvelle que je fais restent fermes devant moi – oracle de Yhwh –ainsi resteront fermes votre descendance et votre nom ! (Es 66,17-22).

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