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Les récits de la conquête

Rappel

Le livre débute par l’investiture de Josué qui succède à Moïse. Nous avons déjà  rencontré Josué dans le livre de l’Exode où il apparaît comme un auxiliaire de Moïse (Ex 24,13) et un lieutenant militaire (Ex 17, 8-10). Le livre des Nombres nous a appris que ce nom de « Josué » fut donné par Moïse à un certain Hoshéa, fils de Noun (Nb 13, 16), il signifie « Yhwh* sauve ».Ce changement de nom marque donc la destinée de ce personnage. A noter que le nom de « Jésus » dérive de Josué.
* Yhwh quatre lettres pour le nom propre du dieu d’Israel qui ne doit pas étre prononcé. Ce sera Adonaï, Seigneur ou l’éternel, suivant les Bibles.

 Josué reçoit de Yhwh la mission de conduire le peuple jusqu’à la terre promise.

On se souvient que ce territoire où les patriarches Abraham, Isaac et Jacob ont séjourné autrefois, fut l’objet de la promesse de Yhwh, promesse renouvelée à chaque génération, après chaque défaillance, chaque infidélité du peuple vis à vis de Yhwh : C’est là le pays que Yhwh a promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob en leur disant : “C’est à ta descendance que je le donne” (Dt 34,4).

Cette opération, prévient Yhwh, sera difficile, il lui faudra s’armer de courage, mais il pourra toujours compter sur son appui indéfectible : « Moïse, mon serviteur, est mort ; maintenant donc, lève-toi, passe le Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays que je leur donne – aux fils d’Israël (…). Comme j’étais avec Moïse, je serai avec toi ; je ne te délaisserai pas, je ne t’abandonnerai pas. Sois fort et courageux, car c’est toi qui donneras comme patrimoine à ce peuple le pays que j’ai juré à leurs pères de leur donner » (Jos 1, 2-6).

 La conquête du territoire

Le territoire à conquérir, il faut le souligner, est bien délimité: Depuis le désert et le Liban que voici jusqu’au grand fleuve, l’Euphrate, tout le pays des Hittites, et jusqu’à la Grande Mer, au soleil couchant, tel sera votre territoire (Jos 1, 4). 

Il ne s’agit donc pas de construire un empire.

Après avoir donné ses instructions au peuple, en vue de son départ, Josué envoie deux espions reconnaitre le territoire. Arrivés à Jéricho, les deux hommes trouvent asile chez  une prostituée du nom de Rahab (Jos 2,1). Le roi de Jéricho apprend l’intrusion de ces deux personnes, s’en méfie et demande à Rahab de les lui livrer. Mais cette femme a eu la révélation de l’importance historique de leur mission, elle les cache et feint, devant les émissaires du roi, de les avoir vus repartir. Les soldats du roi cherchèrent en vain les deux hommes. Avant qu’ils ne se retirent, Rahab leur demande de se souvenir d’elle lors de la conquête à venir. Quand les poursuites furent abandonnées,  alors les deux hommes redescendirent de la montagne ; ils traversèrent et vinrent auprès de Josué, fils de Noun, et ils lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient trouvé. Ils dirent à Josué : « Vraiment Yhwh a livré tout le pays entre nos mains et même tous les habitants du pays ont tremblé devant nous » (Jos 2,22).

Suit la description de la traversée du Jourdain (Jos 3) et de l’entrée en terre de Canaan qui semblent relever plus d’une procession liturgique que d’une manœuvre militaire. L’arche d’alliance est portée par les prêtres et au moment où ils mettent les pieds dans l’eau du Jourdain, le fleuve s’arrête de couler pour permettre au peuple de passer à pied sec (Jos 3,16). C’est évidemment un remake de la traversée de la mer rouge : Yhwh après les avoir sortis de l’esclavage, leur ouvre la porte d’un monde nouveau (Ex 14,29).

Les trompettes de Jéricho

Le caractère liturgique de la conquête est souligné par toute une série d’actions préalables à caractère religieux : construction d’un autel (Jos 4,20), circoncision des hommes (Jos 5,1), célébration de la Pâque (Jos 5,10), avant d’attaquer la ville de Jéricho (Jos 6).
Le siège de la ville elle-même prend un caractère cultuel. Chaque jour, pendant six jours, tout le peuple doit en procession faire le tour complet des murailles de la ville. Le septième jour, il fait sept fois le tour, puis le peuple poussa la clameur, et on sonna du cor*. Lorsque le peuple entendit le son du cor, il poussa une grande clameur, et le rempart s’écroula sur place ; le peuple monta vers la ville, chacun droit devant soi, et ils s’emparèrent de la ville (Jos 6,20).
*cors :
sortes de trompes faites de cornes de bélier

Cette célèbre légende des « trompettes de Jéricho » laisse bien entendre que c’est Yhwh, et non la force militaire, qui donne la victoire. Il y a cependant une contrepartie à ce soutien de Yhwh , le peuple ne doit pas se mélanger aux populations locales, elles sont « vouées à l’interdit », personne ne doit s’approprier leurs biens : Prenez bien garde à l’interdit de peur que vous ne convoitiez et ne preniez de ce qui est interdit, que vous ne rendiez interdit le camp d’Israël et que vous ne lui portiez malheur. Tout l’argent, l’or et les objets de bronze et de fer, tout cela sera consacré à Yhwh et entrera dans le trésor de Yhwh (Jos 6,18).
Les conséquences de cet interdit sont à nos yeux beaucoup moins merveilleux : Ils vouèrent par interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien l’homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le mouton et l’âne, les passant tous au tranchant de l’épée (Jos 6,21).
Seules Rahab et sa famille sont épargnées !

Après cette victoire sur Jéricho, Josué doit s’attaquer à la ville d’Aï, beaucoup plus petite. A sa grande surprise, sa troupe est battue ! Que fait Yhwh ? Josué le supplie de s’expliquer. Yhwh lui répond : «  Israël a péché ; oui, ils ont transgressé mon alliance, celle que je leur avais prescrite ; oui, ils ont pris de ce qui était interdit, ils en ont même volé, camouflé, mis dans leurs affaires » (Jos 7,11).
Le coupable, un certain Akan, reconnait sa faute : « En vérité, c’est moi qui ai péché contre Yhwh, Dieu d’Israël, et voici de quelle manière j’ai agi. J’avais vu dans le butin une cape de Shinéar d’une beauté unique, deux cents sicles d’argent et un lingot d’or d’un poids de cinquante sicles ; je les ai convoités et je les ai pris ; les voici dissimulés dans la terre au milieu de ma tente et l’argent est dessous» (Jos 7, 20-21).

Akan est lapidé, puis le peuple repart à l’assaut d’Aï et cette fois la ville tombe entre leurs mains : Tout Israël revint vers Aï et la passa au tranchant de l’épée. Le total de ceux qui tombèrent ce jour-là, hommes et femmes, fut de douze mille, tous gens de Aï (Jos 8,24).

Les récits de victoires s’enchaînent (Jos 7-11) et finalement tous les territoires sont conquis et le peuple connait la paix : Josué prit tout le pays selon tout ce que Yhwh avait dit à Moïse et il le donna comme patrimoine à Israël en le répartissant selon les tribus. Et le pays fut en repos, sans guerre (Jos 11,23).

Victoire et répartition des territoires

Au chapitre 12, tous les territoires conquis sont  listés, trente-et-un au total, Josué les répartit entre chacune des tribus (Jos 12-14), puis le texte nous donne  une longue liste, très détaillée, avec le nom de chaque ville et son affectation (Jos 15-19).

Il y a deux curiosités dans cette répartition du territoire :
La première est la création de six villes de refuge, destinées à donner un abri provisoire à un meurtrier afin de le mettre à l’abri d’une vengeance en attendant son jugement (Jos 20,9).
La seconde particularité concerne la tribu de Levi dont a vu qu’elle était destinée exclusivement au service du culte (Jos 14,3). Elle ne reçoit pas de territoire en propre, mais seulement quelques villes au sein des territoires de chacune des tribus (Jos 21).

Ces deux particularités illustrent l’amorce d’une mise en place d’instances, juridiques pour la première, cultuelles pour la seconde, qui relient l’ensemble des tribus afin de leur donner une identité spécifique.
Un autel est construit près du Jourdain, en mémoire de leur volonté de se rattacher tous à Yhwh, malgré les risques de tensions qui affleurent déjà entre les tribus de Cisjordanie et celles de Gad et Ruben en Transjordanie (Jos 22).

Le livre se termine par un long discours de Josué qui, avant de mourir, rappelle les bienfaits de Yhwh auxquels le peuple doit le repos dans ce bon territoire : Je vous ai donné un pays où tu n’avais pas peiné, des villes que vous n’aviez pas bâties et dans lesquelles vous habitez, des vignes et des oliviers que vous n’aviez pas plantés et vous en mangez les fruits ! (Jos24,13).
Josué leur demande d’affirmer, explicitement et solennellement, leur désir de maintenir le lien avec Yhwh en écartant toutes les formes de culte aux dieux locaux. Le peuple s’y engage, une stèle est dressée à Sichem pour témoigner de cette alliance avec Yhwh (Jos24,27).

Historicité du Livre de Josué

Alors que ces événements datent du 12 è siècle av. J.C., on situe la rédaction des documents épars qui ont été compilés pour donner ce livre, autour du 8 è siècle. Ce décalage de plusieurs siècles incite à la plus grande prudence quant à l’historicité de ces événements.

L’image véhiculée par ce livre, d’une conquête éclair et totale du pays de Canaan, ne résiste pas à la critique historique moderne. Déjà dans la Bible elle-même, avec le livre des Juges, nous verrons que la conquête fut loin d’être totale. Plus probablement, il y eut cohabitation, les Cananéens laissant, sans doute pacifiquement, aux hébreux des terrains montagneux très peu habités, et se gardant les plaines plus fertiles. Les études archéologiques d’aujourd’hui, qui tentent de retrouver la genèse du peuple d’Israël, évoquent une imbrication de peuplades, plutôt qu’une invasion ou une conquête venue de l’extérieur. Des luttes, probablement limitées et ponctuelles, entre peuplades qui globalement vivaient ensemble de façon pacifique, ont été transcrites sous un mode épique pour transmettre un message : la genèse, l’essence, l’unité, l’unicité du peuple d’Israël tient dans sa relation avec Yhwh, à sa foi dans son élection. C’est cette vérité qui donne le sens profond du  livre. Ceci étant, la violence qui se dégage de cette lecture de la conquête, avec l’image de Yhwh en chef de guerre, est pour nous choquante et nous interpelle sur la signification et l’objectif de ce livre.

Questions sur la violence des « guerres de Yhwh »

Comment lire par exemple ce passage extrêmement dur sur la nécessité de vouer à l’interdit (ou anathème) les autres nations ?
Yhwh avait décidé d’endurcir leur cœur à engager la guerre avec Israël, afin de les vouer à l’anathème en sorte qu’il ne leur soit pas fait grâce et qu’on puisse les exterminer comme l’avait prescrit Yhwh à Moïse (Jos 11,20).
Cette phrase et nous en verrons bien d’autres de ce type dans ce livre et dans le Livre des Juges qui suit, donne une image de Dieu difficilement supportable et apparemment en parfaite contradiction avec le Dieu d’amour qui se révélera de plus en plus clairement le long de l’histoire biblique.

Que faire de ces textes bibliques à priori assez scandaleux ?
On peut comprendre la position d’un certain Marcion qui, au 2è siècle de notre ère, estimant ces textes  par trop en contradiction avec la révélation évangélique, a voulu séparer radicalement la foi chrétienne de ses sources juives.
Tel ne fut pas l’avis des pères de l’Eglise de cette époque. Les positions de Marcion furent condamnées comme hérétiques et l’enracinement, de l’Evangile et de l’Eglise, dans le judaïsme et ses écrits fut alors énergiquement affirmé (144 ap. J.C.).
La question reste donc entière, comment lire ces textes qui semblent justifier la violence guerrière et l’élimination des ennemis ? Ces textes ne donnent-ils pas de l’eau au moulin de ceux qui considèrent que la violence est liée aux religions monothéistes ?

Pour les comprendre nous devons, dans un premier temps, les situer dans leur contexte socio-historique, puis nous essayerons de voir comment une lecture, sur différents plans anthropologique, théologique et spirituel, nous apporte un enseignement qui nous concerne individuellement et collectivement aujourd’hui.

Contexte historique

A cette époque – au 12è siècle av. J.C on est encore très loin du monothéisme- chaque peuple avait son dieu attaché à un lieu donné. Les guerres entre les peuples, guerres inéluctables pour tout simplement subsister ou se développer, étaient intrinsèquement sacrées ou plutôt sacrales en ce sens que le dieu de chacun des protagonistes était impliqué. L’implication de Yhwh, dans la guerre et ses massacres, qui nous scandalise aujourd’hui profondément, non seulement ne choquait pas les esprits de l’époque, mais l’absence de soutien de Yhwh dans leurs guerres était inimaginable, car une fonction essentielle du dieu associé à un peuple était justement de le défendre. On ne peut qualifier les guerres de Yhwh de guerre de religions en ce sens qu’il ne s’agissait pas d’imposer sa religion ou son dieu aux autres – chacun avait légitimement le sien – mais plutôt de prendre le dessus sur ses rivaux, grâce à l’aide de son dieu. Le culte aux dieux tenait une place déterminante dans toute action politique et militaire. Il n’y avait pas de frontières étanches entre ces différents plans.

L’image d’un dieu guerrier était partagée dans toutes les cultures du Proche-Orient de cette époque, à l’instar du dieu assyrien luttant au côté du roi son « lieu-tenant ». La religion juive qui naît à cette époque ne pouvait échapper à cette représentation primitive de Dieu. Nous suivrons dans toute l’histoire biblique, les étapes de la métamorphose de la représentation de Dieu. On voit combien la révélation progressive du dessein de Yhwh s’enracine dans le terreau commun de l’histoire de l’humanité et c’est à partir de ses racines et non pas en étant déconnectée d’elles que la pédagogie biblique va pouvoir se déployer et orienter l’évolution sociale et spirituelle du peuple juif d’abord, puis de toute l’humanité.

Néanmoins, au-delà de ce contexte historique que l’on peut comprendre, que peuvent-nous apporter ces récits censés procurer un enseignement au lecteur ? Nous pouvons appréhender cet enseignement, en analysant la violence avec plusieurs niveaux de lecture.

 Violence et développement psychique

Nous avons vu dans le livre de la Genèse lors de l’épisode du déluge que Yhwh, face à la violence généralisée de l’humanité, a été tenté de détruire sa création. Suite au déluge, Yhwh fait alliance avec Noé – souvenez-vous de l’arc en ciel (Gn 9,16)- et promet de ne plus détruire l’humanité. Il prend acte de la violence structurelle de l’homme en lui permettant d’être carnivore, alors que dans le jardin d’Eden il était végétarien. Le rejet pur et simple de la violence est impossible, cela reviendrait à rejeter tous les hommes et faire ainsi disparaître la création.

La psychanalyse nous montre le caractère à la fois structurel et ambivalent de la violence. N’y a-t-il pas d’un côté la violence, de l’autre côté l’amour ? Non, les deux sont originellement imbriqués. Le nourrisson « dévore » le sein de sa mère. Puis l’enfant est naturellement tyrannique avec ses parents sans qu’il faille donner à ce qualificatif au stade des premières années de la vie, une quelconque connotation péjorative et morale. Cela ne veut pas dire bien entendu que les parents doivent rester sans réaction face aux comportements violents de l’enfant, mais signifie simplement qu’ils n’ont pas à porter un jugement moral sur leur enfant et encore moins avoir des réactions de rejet. Avant de se décentrer, le « moi » doit exister et cette affirmation du moi est déjà par elle-même une violence. A l’aube de sa vie, l’enfant  ne se pose qu’en s’opposant. L’éducation doit permettre à l’enfant de construire progressivement sa propre identité à la fois séparé de ses parents et relié à eux par la Parole.
Nous retrouvons cette ambivalence amour-violence à l’adolescence et d’une façon plus générale dans toutes les étapes de la croissance de l’individu, en particulier dans sa vie sexuelle. Une certaine morale, tentée par l’angélisme, a pu en venir à rejeter l’acte sexuel lui-même, cet acte qui tout de même transmet la vie.

A propos de cette ambivalence « amour-violence », Lacan, lors d’un de ses séminaires, a raillé « le déluge d’amour » versé par certains milieux chrétiens. Ce débordement verbal d’amour peut traduire une expression idéologique plutôt que des sentiments réels ressentis ; il a pour fonction inconsciente de voiler opportunément des violences intérieures moins avouables. Ceci explique que chez certaines personnes, fortement investis dans des milieux idéologiquement très marqués, chez des religieux de toute obédience ou au sein même de courants non-violents, peuvent surgir d’une façon surprenante des violences très primaires, en parfaite contradiction avec l’idéal dont ils sont porteurs. L’inconscient se venge brutalement du déni de cette ambivalence « amour-violence».

Pour mettre de la lumière sur cette ambivalence de l’amour-violence, nous avons déjà vu la nécessité de la séparation (Gn 1,1) dans la construction de la personne et l’importance de l’inter-dit qui crée un espace pour la parole, étape préalable nécessaire pour sortir de la fusion et de la confusion*.
*(Cf Tome1, p.67)

Le peuple d’Israël, qui est ici dans les premières phases de son existence, doit s’affirmer. Les guerres de Yhwh sont pour le peuple d’Israël l’affirmation de son « moi », de son destin spécifique. Les interdits dans ce livre prennent la forme d’anathèmes qui ont pour but de séparer le peuple d’Israël des autres peuples. Sans cette séparation, plus de distance entre ce peuple et son environnement, l’identité spécifique de ce peuple ne verrait pas le jour.

Il ne faut donc pas trop s’étonner de la violence qui suinte du livre de Josué et du suivant, le livre des Juges, genèse et enfance de ce peuple. Yhwh est même prêt à voir la violence de son peuple mise sur son dos. Les livres dits « historiques » de la Bible ne sont pas des livres philosophico-spirituels sur la vertu et la sagesse. Ils peuvent même apparaître en contradiction avec l’interdiction de tuer, donnée dans  la Torah, et ce n’est qu’à un âge plus avancé du peuple d’Israël, plusieurs siècles plus tard, qu’apparaîtront, dans la Bible, les livres sur la sagesse.

La Bible est l’histoire de cette désintrication de l’amour et de la violence. Elle nous permet de  suivre le cheminement d’un peuple, avec lequel Yhwh a conclu une alliance pour le libérer et l’introduire dans une terre promise, où « coule le lait et le miel ». Sur ce chemin, qui va s’avérer extrêmement difficile et laborieux, la pédagogie biblique nous amène à prendre acte de la violence, à la regarder en face, à la porter plutôt qu’à la rejeter, pour progressivement la transformer, la retourner en force d’amour, comme nous le verrons par la suite.

Comment lire les récits de la conquête ?

Alors quels sens peut-on donner aux récits guerriers, relatés dans ce livre sous un mode épique ?
L’objectif de la conquête est de protéger le peuple des  risques de dissolution de l’alliance entre Yhwh et son peuple par le contact quotidien avec d’autres peuples. La violence rapportée par les auteurs du livre, probablement plus théorique que réelle, s’explique par l’expérience du danger mortel qu’ont constitué pour Israël, dans les siècles suivants, l’abandon de la Loi et la persistance de  l’idolâtrie.

Face aux risques de contamination de l’idolâtrie, la réaction est double : militaire et liturgique. C’est dans cette dualité d’action que l’on peut lire, entre autre, la fameuse conquête de Jéricho avec ses trompettes (Jos.6). Dans ce passage c’est la prééminence de l’action liturgique qui est soulignée par rapport à l’action militaire proprement dite. Nous avons aussi rattaché, à une action liturgique, la traversée du Jourdain (Jos 3 et 4),  rappel de la libération du joug de l’empire égyptien par la traversée de la mer rouge (Jos 4,10).
La place importante que tient la prostituée Rahab illustre bien que l’objectif de cette guerre de Yhwh est moins la défense d’une ethnie particulière que de créer un peuple, sur la base d’une relation avec Yhwh, symbolisée par l’expression crainte de Yhwh dont nous avons développée toute la richesse*. La crainte de Yhwh, chez cette prostituée cananéenne, la rattache à ce peuple (Jos 2 et 6,22).
*(Cf Tome 1, p. 312).

La conquête n’est pas une guerre nationaliste. Yhwh ne soutient pas son peuple inconditionnellement, il peut même se retourner contre lui, comme nous le voyons avec la défaite devant la ville d’Aï. L’absence de la crainte de Yhwh chez un seul membre du peuple, Akan, qui a profité de la guerre pour s’enrichir personnellement, fait courir un grave danger à tout le peuple et explique l’échec militaire La volonté de s’enrichir n’est pas compatible avec le projet de Yhwh (Jos 7).

Néanmoins, cette lecture théologique seule n’est pas suffisante, elle peut alimenter les courants fondamentalistes qui prônent l’intolérance et l’anathème vis à vis des non-pratiquants et réveiller ainsi les démons de la guerre sainte. Il faut la compléter par une lecture plus symbolique et spirituelle

Les guerres de Yhwh, symbole d’un combat spirituel

Nous devons donc nous attacher, dans notre lecture du livre de Josué, à déceler les spécificités  de ces « guerres de Yhwh » qui ne sont encore que d’infimes germes qui nous mèneront à une éradication totale de la guerre et de la violence.

Une lecture symbolique de certains récits nous apporte quelques enseignements.
La première leçon est assez paradoxale, elle nous enseigne que la conquête est un don. Certes nous sommes acteurs de cette conquête de la terre promise – du « royaume des cieux » dira-t-on plus tard-, mais nos efforts et nos mérites ne nous donnent pas un droit de propriété sur la terre. Cette terre est donnée pour construire un royaume nouveau, dans une relation étroite avec Yhwh et l’application de son dessein. Hors de cette relation, l’humanité s’enfonce dans l’idolâtrie et la violence. La terre elle-même sera détruite.

Une autre leçon nous est donnée par l’identité de la personne qui ouvre la porte de la terre promise. Elle n’est pas ouverte pas des hommes forts et respectables, mais par une femme, étrangère et prostituée de surcroit. Il n’y a pas de personnes ou de groupes spécifiques attitrés à recevoir, en exclusivité, la force de l’esprit de Yhwh. Le vent souffle où il veut*, dira plus tard Jésus.
*Jn 3,8

Le cheminement spirituel n’est pas un long fleuve tranquille, il est un combat (Cf Jacob, Gn 32,24). Ce combat peut prendre des formes très diverses, suivant l’histoire et le charisme de chacun. Les guerres contre les peuples idolâtres symbolisent les combats à mener dans le champ politique, social ou professionnel, combats pour la justice, pour la défense  « de la veuve, du pauvre et de l’orphelin (Ex 22,21). Mais au-delà, les formes d’actions militantes très concrètes symbolisent nos combats pour faire tomber nos propres défenses, à l’instar des murailles de Jéricho. Murailles qui nous enferment dans la volonté d’un toujours plus de l’avoir, du pouvoir, du savoir : idoles qui nous rendent esclaves de l’argent et de la notoriété.

Les murailles dissimulent nos démons intérieurs. Comment faire tomber la violence que l’on cache, les jalousies que l’on refoule, les ressentiments que l’on cultive ? Le cortège qui tourne avec persévérance autour des murailles de Jéricho, pendant six jours, pour qu’elles s’écroulent (Jos 6,20),  représente le long combat à mener individuellement, mais aussi collectivement, par les cris de la prière, pour faire tomber les obstacles à l’advenue du royaume.

Ce livre est un appel à l’audace, au courage, à surmonter la peur par la confiance en la parole de Yhwh.

Toute la bible est parsemée de chants de combat et pas uniquement dans le premier Testament. Le cantique* de la « douce » Marie, enceinte de Jésus, se félicite du combat de Yhwh contre les puissants,: (…) Le Seigneur est intervenu de toute la force de son bras ; Il a dispersé les orgueilleux ; Il a jeté les puissants à bas de leur trône et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides (Lc 1,51-53).
*cantique appelé Magnificat
La douceur trace son chemin au milieu de la violence, jamais en dehors d’elle.

L’apôtre Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, au cœur de l’annonce de l’amour et de la paix victorieuse, reprendra des images et des accents guerriers pour illustrer le combat spirituel :
Armez- vous de force(…) Revêtez l’armure de Dieu(…) Debout donc ! A la taille, la vérité pour ceinturon, la justice pour cuirasse et comme chaussures, l’élan pour annoncer l’évangile de la paix(…) Prenez surtout le bouclier de la foi(…) Recevez enfin le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est à dire de la Parole de Dieu (Eph 6,10-20).

Enfin, la dimension de combat, très présent dans les écrits prophétiques, trouvera sa plénitude symbolique dans les écrits bibliques de type apocalyptique, dont nous verrons l’amorce, plus loin, dans les écrits prophétiques qui annoncent au cœur de la violence du présent, la victoire définitive, le triomphe de la Vie sur la Mort.

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