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Nous avons vu dans les livres des Rois que rapidement après l’apogée, que représente le règne du roi Salomon, le peuple hébreu composé de 12 tribus qui portent le nom des enfants de Jacob (renommé Israël, voir Gn 32,29) s’est divisé avec d’une part au nord, le royaume d’Israël regroupant dix tribus et d’autre part au sud, le royaume de Juda avec seulement deux tribus: Juda et Benjamin. Avec la chute de Samarie en 721, c’est 80 % de la population et du territoire du peuple hébreu qui disparaît. Le contexte politique international caractérisé par la rivalité entre les grands empires voisins (l’Assyrie, Babylone et l’Egypte) rend la position du petit royaume de Juda de plus en plus précaire. La victoire de l’empereur Babylonien Nabuchodonosor sur l’Égypte entraînera en 597 la chute de Jérusalem et une première déportation d’une partie de la population vers Babylone. Quelques années après, une tentative de rébellion menée par le roi Sédécias provoque une réplique très violente de l’armée Babylonienne : le temple est rasé , une nouvelle partie exilée. Ainsi c’est la totalité du royaume d’Israël, son territoire, son autonomie politique, son lieu de culte, bref ce sont tous les piliers de son identité qui disparaissent

L’élite du peuple est enchaînée, encordée et doit traverser à pied tout le désert de Syrie pour rejoindre Babylone . Nombreux sont ceux qui n’atteindront pas cette cité, épuisés ils seront abandonnés dans le désert à la merci des lions.

Le sort de ceux qui restent n’est guère plus enviable, ils sont réduits sur leur propre territoire à l’état d’esclave persécuté, affamé.

Un livre de la bible se fait directement l’écho des terribles souffrances du peuple, le livre des « Lamentations ».

Le Livre des Lamentations

Livre de cinq poèmes qui sont des chants funèbres après cette catastrophe nationale

Ces chants, ces cris de douleur suite aux persécutions et aux terribles souffrances endurées par le peuple, sont un appel désespéré adressé à qui peut l’entendre (Yhwh veut-il encore l’entendre?) mais aussi posent la question sur le sens de cette immense tragédie.

Dans la bible hébraïque ce petit livre composé de 5 chapitres porte le titre de EYKHAH que l’on traduit par « Comment !? ». C’est en effet le premier mot du livre et cette exclamation/interrogation est reprise au début des chapitres 2 et 4. Ce mot traduit bien à la fois le questionnement et la stupéfaction face aux horreurs subies alors que YHWH est censé être leur défenseur face aux nations.

Comment en est on arrivé là ?

Comment Yhwh a-t-il pu abandonner son peuple, se mettre ainsi en totale contradiction avec ses promesses  ?

Les deux premières lamentations ont une connotation nettement collective et politique. Pour pleurer Jérusalem, elles mettent en scène une femme pleine de charmes, une princesse (la Belle Sion). Autrefois glorifiée elle est maintenant mise à nue, humiliée, souillée par ses amants. Réduite à l’état d’esclave elle en est réduite à vendre ses charmes pour de la nourriture, elle crie « regardez et voyez s’il est douleur comme ma douleur » (1,12), mais même ses cris font jouir ses ennemis ! Certes elle a désobéi, mais là c’en est trop, elle implore Yhwh pour qu’au moins, en toute justice, ses ennemis ne soient pas mieux traités qu’elle. Elle implore, mais tout espoir semble perdu « Il n’existe au jour de la colère de Yhwh, ni rescapé, ni survivant »(2,22)
La troisième Lamentation a un caractère plus individuel, plus personnel. Elle met en scène un homme martyrisé :

« Il ronge ma chair et mes os » (3,4),

emmuré dans les ténèbres, rongé par le désespoir

« C’en est fini de mon espoir qui venait de Yhwh »(3,18).

Puis du fond des ténèbres jaillit pour un moment un rayon de lumière :

«ma part, c’est Yhwh, me dis-je c’est pourquoi j’espérerai en lui
Il est bon, Yhwh, pour qui l’attend, pour celui qui le cherche
il est bon d’espérer en silence le salut de Yhwh …
il est bon pour l’homme de porter le joug
il doit s’asseoir à l’écart et se taire..
. – il y a peut-être de l’espoir –
tendre la joue à qui le frappe, être saturé d’insultes»(3,22 …30)

 

Puis il retombe dans la description de tous ses malheurs pour enfin, comme la femme de la première lamentation, supplier Yhwh pour que ses ennemis connaissent les mêmes malheurs que lui.

Cette succession de sentiments contradictoires, l’incompréhension, le désespoir de voir Yhwh, son sauveur, se comporter avec lui comme un ennemi et cet amour pour Yhwh qui semble malgré tout subsister et lui apporter une lueur d’espoir , n’en pose pas moins cette question fondamentale :
Yhwh veut-Il vraiment la destruction du peuple sur lequel Il a tant investi, qu’Il a aimé, éduqué, choyé ?

Un dilemme apparemment insoluble se pose au peuple:
Comment concilier la destruction de Jérusalem et la fidélité de Yhwh à son peuple?

Comment supporter l’humiliation de la dynastie davidique ?

De nombreux psaumes se feront l’écho de ce questionnement tragique.

« Yhwh, jusqu’à quand ? Te cacheras-tu constamment ?…
Yhwh ! Où sont tes bontés d’autrefois ?
Tu avais juré à David sur ta fidélité !
Yhwh ! Pense à tes serviteurs outragés » (Ps 89,47-50)

Désarroi général: l’exil à Babylone

Face à cette aporie, on peut schématiser classiquement deux types de comportement possibles :

  • le premier, face à un tel drame, est d’abandonner purement et simplement la confiance en Yhwh. Cette catastrophe infirme les espoirs que le peuple avait mis en Yhwh. Cette alliance d’Israël avec son dieu n’était qu’un rêve illusoire, il faut se tourner vers d’autres dieux en particulier adopter le culte des dieux de Babylone qui en l’occurrence se sont montrés plus efficace que Yhwh. C’est la dissolution du peuple hébreu en Babylonie. Ce choix certes peut apparaître à certains comme une trahison, mais leurs protagonistes vont mettre en avant le réalisme, l’ouverture d’esprit, la capacité d’adaptation au changement dont il faut faire preuve pour s’adapter à ces conditions de vie nouvelles.
  • le deuxième comportement, à l’inverse du premier, prône une réaction. Pour effacer cette catastrophe il faut tout faire politiquement et éventuellement militairement pour restaurer le royaume de Juda et reconstruire le Temple en vue de sauvegarder l’identité du peuple hébreu. C’est le choix de la résistance et l’espoir d’un retour rapide. Ce choix qui a l’apparence de la fidélité, du courage et de la volonté peut aussi cacher une certaine peur du changement, l’angoisse de l’avenir, la défense d’intérêts personnels. Autant de sentiments qui alimentent ce que l’on nomme aujourd’hui «le repli identitaire » avec ses risques de dérapage : violence, rejet de l’autre, de l’étranger.

 

Ces deux orientations possibles, si opposées, vont traverser le peuple hébreu et même si des positionnements intermédiaires ou alternatifs seront présents, elles provoqueront inévitablement un dangereux clivage au sein du peuple de Yhwh.

D’un coté l’appartenance se dissout au contact d’une civilisation plus riche et plus évoluée, y compris sur un plan religieux et spirituel. (En effet l’avènement de Zarathoustra à cette époque dans l’ancien Iran marque une orientation religieuse très nouvelle. Il dénonça le culte de dieux multiples, le sacrifice des animaux tel qu’il était pratiqué presque partout, y compris à Jérusalem, et il prêcha une foi purifiée, orientée sur la lutte entre le bien et le mal, c’est-à- dire entre « Ahura Mazda » le Dieu suprême et « Angra Mainyu » son opposé. Sa religion, bien qu’elle maintienne un certain dualisme, représentait un pas important vers une forme de monothéisme et vers une spiritualisation du religieux).

De l’autre coté la résistance à l’envahisseur, le repli identitaire, traduit un déni de la réalité, l’impossibilité d’entrer dans une analyse des motifs de la catastrophe et un refus de se remettre en cause. Cette résistance militaire après la première déportation en 597 ne fera qu’aggraver la situation et amènera une nouvelle catastrophe en 587.

Ce clivage entre ces deux options va ajouter à la souffrance physique de l’exil du peuple, un profond désarroi psychologique et des divisions politiques intestines.

La Voie étroite de salut prônée par les prophètes

Le courant prophétique a anticipé depuis deux siècles déjà les catastrophes à venir.

Nous avons lu les oracles et les invectives des prophètes Amos, Osée, Miché et du « premier » Isaïe (Es 1 à 40). Tous, avant, pendant et après la chute de Samarie, dénoncent énergiquement, les injustices, les inégalités sociales et le culte aux idoles. Ils n’ont pas été écoutés.

Deux grands prophètes, de cette époque à savoir Jérémie, le deuxième Isaïe (Es 40 à 56) à l’instar de leur prédécesseurs, chacun à leur manière et avec leur style propre, vont clamer haut et fort une autre voie de salut. C’est une voie étroite et exigeante qui ne sera suivie que par un petit reste. C’est de ce « reste » d’Israël que naîtra à partir du Vième siècle av. J.C., le judaïsme.

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