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Rameaux 2020

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? J’ai beau rugir, mon salut reste loin » (Psaume 22 (21))

Nous rentrons dans la semaine liturgique, la semaine « sainte », où tout bascule.

Messie

Jésus monte avec ses disciples, à Jérusalem, le cœur des pouvoirs politiques et religieux. La rumeur de la venue de cet homme qui a marqué les esprits en Galilée par son enseignement et ses guérisons soulevait de nombreux espoirs dans toute la Palestine. Son arrivée commence plutôt bien, il obtient un réel succès populaire; car nombreux sont ceux qui voient en lui le personnage que tout le monde attend, le messie.

A dire vrai, le profil de ce messie, de ce nouveau roi, n’est pas trop bien défini. On ne sait ni quand ni comment il va se manifester. Tous mettent en lui beaucoup d’espoirs. Certains  attendent de lui qu’il prenne la tête d’un mouvement de libération nationale, qu’il assure la défaite de l’occupant et qu’il rassemble tout le peuple dispersé, quitte même, pour certains, les zélotes, à déroger ponctuellement à la Torah en prenant les armes. D’autres, les malades, les plus pauvres attendent un changement radical de leurs conditions. Les plus religieux, surtout, attendent une manifestation éclatante de Dieu afin que la Torah s’impose au monde entier, ce qui les conforterait dans leur croyance (et peut-être, par la même occasion, dans leurs pouvoirs!). Pour ces derniers  la notoriété montante de Jésus agace car il prend vraiment trop de liberté par rapport aux règles sacrées de la Loi et semble faire fi de leur autorité.

Bénéficiant d’un large soutien populaire, Jésus pouvait faire une entrée triomphale et s’imposer ainsi à ses opposants. Curieux détails, cette arrivée à Jérusalem, Jésus l’a voulu montée sur un âne, ce qui n’est pas, a priori, la façon la plus spectaculaire de manifester sa puissance.
Cependant les plus instruits des textes de la Bible ont peut-être fait le rapprochement avec un passage d’un des derniers prophètes, Zacharie, qui a annoncé, vers 530 av jc, le retour de captivité à Babylone ainsi :

« Tressaille d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi s’avance vers toi ; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne– sur un ânon tout jeune (Za 9,9)

Cette allusion à l’humilité de ce roi-messie ne coïncidait sans doute pas avec les attentes d’un peuple déjà par trop humilié, par l’exil à Babylone, suivi de l’occupation par les grecques, puis par les romains.

Enseignement

Dans les jours qui suivent cette entrée « triomphale », Jésus poursuit son enseignement en plein centre-ville, près du temple et même dans le temple au nez et à la barbe des «gardiens du temple ». Il pousse le bouchon jusqu’à renverser les étals des commerçants installés sur le parvis pour faire du business, puis il guérit les aveugles et les boiteux qui étaient là, devant, à mendier. On voit que l’humilité dont il a fait preuve à son arrivée n’entrave pas son audace. Visiblement pour lui humilité ne rime pas avec soumission et encore moins avec peur du conflit. L’irritation de ses opposants ne pouvait qu’enfler, mais comme ils ne peuvent  pas trop s’opposer directement à lui à cause de son soutien populaire, ils le harcèlent de questions théologiques piégeuses et cherchent à saper son autorité  « En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? Et qui t’a donné cette autorité ? » (Mt 21,23)

Finalement dans cette sourde bataille, il va être trahi par un de ses amis, celui qui détenait la bourse du groupe et qui en profitait pour s’en mettre un peu de côté. Sans doute aussi, Judas, était-t’ il déçu par ce Jésus dont il espérait qu’il prendrait la tête d’une insurrection populaire, il aurait pu ainsi tenir une place importante dans ce nouveau pouvoir.Toujours est-il qu’il va vendre des informations aux autorités pour leur permettre de s’emparer de Jésus la nuit, loin de la foule et d’expédier dans la foulée un pseudo-procès pour se débarrasser définitivement de cet homme décidément très encombrant.
Cette arrestation et l’apparente incapacité de Jésus à se défendre ruinent alors tous les espoirs mis sur lui par la foule. Cette déception fait tout basculer, le retournement de la foule est à la hauteur des espoirs déçus. Sa comparution immédiate s’accompagne de plaisanteries sadiques de la part des gardes qui tournent en dérision son pseudo statut de roi que lui avait donné la foule peu de jours auparavant. Jésus accepte tout cela en silence. Peut-être avait-il en tête ce texte d’Esaïe :

«  Le Seigneur DIEU m’a donné une langue de disciple :
pour que je sache soulager l’affaibli, il fait surgir une parole.
Matin après matin, il me fait dresser l’oreille, pour que j’écoute, comme les disciples.
Le Seigneur DIEU m’a ouvert l’oreille.
Et moi, je ne me suis pas cabré, je ne me suis pas rejeté en arrière.
J’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, mes joues, à ceux qui m’arrachaient la barbe ;
je n’ai pas caché mon visage face aux outrages et aux crachats.
C’est que le Seigneur DIEU me vient en aide :
dès lors je ne cède pas aux outrages, dès lors j’ai rendu mon visage dur comme un silex,
j’ai su que je n’éprouverais pas de honte.
Il est proche, celui qui me justifie !
Qui veut me quereller ? Comparaissons ensemble !
Qui sera mon adversaire en jugement ?  Qu’il s’avance vers moi !
Oui, le Seigneur DIEU me vient en aide : qui donc me convaincrait de culpabilité » (Es 50,4-9) 

Mais là Jésus descend encore plus bas, beaucoup plus bas. Celui qu’il appelle son Père ne répond plus. A l’humiliation d’être traité comme un rebut de l’humanité succède le supplice aussi infamant que douloureux de la crucifixion. Alors il crie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

C’est le premier verset du psaume 22. Certainement il le connaissait par cœur, alors lisons avec lui la suite, peut-être n’a-t-il pas pu le réciter jusqu’au bout, ou bien a-t-il « rendu l’esprit » seulement après la finale de ce psaume :

«J’ai beau rugir, mon salut reste loin.
Le jour, j’appelle, et tu ne réponds pas, mon Dieu ; la nuit, et je ne trouve pas le repos.
Pourtant tu es le Saint : tu trônes, toi la louange d’Israël !
Nos pères comptaient sur toi ; ils comptaient sur toi, et tu les libérais.
Ils criaient vers toi, et ils étaient délivrés ; ils comptaient sur toi, et ils n’étaient pas déçus.
Mais moi, je suis un ver et non plus un homme, injurié par les gens, rejeté par le peuple.
Tous ceux qui me voient me raillent ; ils ricanent et hochent la tête :
« Tourne-toi vers le SEIGNEUR ! Qu’il le libère, qu’il le délivre, puisqu’il l’aime !

Comme l’eau je m’écoule ; tous mes membres se disloquent.
Mon cœur est pareil à la cire, il fond dans mes entrailles

ils m’ont percé les mains et les pieds.
Je peux compter tous mes os ; des gens me voient, ils me regardent.
Ils se partagent mes vêtements et tirent au sort mes habits.
Mais toi, SEIGNEUR, ne reste pas si loin ! O ma force, à l’aide ! Fais vite !
..
Tu m’as répondu !  je vais redire ton nom à mes frères et te louer en pleine assemblée :
Vous qui craignez le SEIGNEUR, louez-le ! Vous tous, race de Jacob, glorifiez-le !
Vous tous, race d’Israël, redoutez-le !
Il n’a pas rejeté ni réprouvé un malheureux dans la misère ;
il ne lui a pas caché sa face ;  il a écouté quand il criait vers lui.

Les humbles mangent à satiété ;
ils louent le SEIGNEUR, ceux qui cherchent le SEIGNEUR : « A vous, longue et heureuse vie ! »
La terre tout entière se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR »

Entre le début et la fin du psaume que s’est–il passé dans l’esprit du psalmiste et de Jésus ?
Quel est ce trou noir, ce passage de la mort à la vie ?

Quelques années plus tard, Paul consacrera toute son énergie et son talent à transmettre la portée universelle de cette Pâque. Dans une lettre à la petite communauté de la ville de Philippes, il écrit :

«  Ayez un même amour, un même cœur ; recherchez l’unité ; ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres. Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ : lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Phil 2,6)