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Epitre aux romains

Tous coupables

Cette épitre est historiquement cruciale au plan doctrinal car lors des différents schismes qui ont divisé la chrétienté en particulier entre  protestants et catholiques au XVIe siècle, elle a été souvent utilisée par les antagonistes pour justifier leurs positions théologiques.

Dans cette lettre aux Romains, la première adressée à une communauté qu’il n’a pas fondée, Paul reprend de façon plus structurée les thèmes abordés précédemment en particulier dans l’épitre aux Galates, il explicite les mystères du  plan divin et de l’Evangile, le sens de la mort et de la résurrection de Jésus Christ qu’il articule avec la place de la Loi dans la Révélation.

L’humanité est toute entière sous la puissance du Mal. Pour l’illustrer Paul fait un patchwork de citations bibliques puisées dans des psaumes et chez Esaïe.
« Il n’y a pas de juste, pas même un seul.
Il n’y a pas d’homme sensé, pas un qui cherche Dieu.
Ils sont tous dévoyés, ensemble pervertis, pas un qui fasse le bien, pas même un seul.
Leur gosier est un sépulcre béant ; de leur langue ils sèment la tromperie ; un venin d’aspic est sous leurs lèvres ; leur bouche est pleine de malédictions et d’amertume ; leurs pieds sont prompts à verser le sang ; la ruine et le malheur sont sur leurs chemins ; et le chemin de la paix, ils ne le connaissent pas. Nulle crainte de Dieu devant leurs yeux ! »(Rm3,11)

L’humanité n’a pas reconnu dans la création son créateur, elle a laissé fleurir toutes sortes d’idoles en projetant sur elles ses rêves de toute puissance. Tel est le péché des païens. Mais le péché de ceux qui ont reçu la révélation de la Loi est pire encore. Ils ont confisqué la Loi en se considérant comme « le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, l’éducateur des ignorants, le maître des simples » (Rm 2,19), ils considèrent posséder dans la Loi « l’expression même de la connaissance et de la vérité… » (Rm 2,20). Ils mettent leur orgueil dans la Loi.

Ce que Paul décrit de ses contemporains et de ses frères dans le judaïsme est la tentation permanente de tout type de religieux, à toutes les époques. Mais ces dérives ne sont pas l’apanage des seuls religieux ; à notre époque, dans nos civilisations sécularisées, la conviction d’incarner le Bien, d’être porteur de valeurs comme la justice, la démocratie ou de se valoriser par la défense de causes en soi parfaitement justes peut s’avérer destructeur. Le bien concret des personnes est altéré par l’idéal du Bien que l’homme veut incarner par le mérite de ses efforts et de sa volonté. En effet le sentiment de mériter engendre la fierté, sorte d’avatar du sentiment de la toute-puissance. La quête du bien, de la pureté révèle alors une capacité de malfaisance.

Comment éviter que dans la quête du bien se glisse le mal, dont nous connaissons trop bien aujourd’hui les conséquences parfois dramatiques ?
Comment peut-on concrètement devenir « juste », être justifié ?
Pas par la loi nous dit Paul.
La loi révèle le péché mais elle laisse l’homme dans sa détresse, elle ne lui donne pas les moyens d’en sortir. L’application de la loi est impuissante à nous rendre juste. « Nous savons que tout ce que dit la loi, elle le dit à ceux qui sont sous la loi, afin que toute bouche soit fermée et que le monde entier soit reconnu coupable devant Dieu. Voilà pourquoi personne ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi ; la loi, en effet, ne donne que la connaissance du péché » (Rm 3,19).

A cette impossible justification par la loi, Paul oppose la justification par la foi.

Qu’entendre par «  justification par la foi » ?

La justice est l’attribut du divin nous a dit le prophète Esaïe.
« Mais maintenant, indépendamment de la loi, la justice de Dieu a été manifestée ; la loi et les prophètes lui rendent témoignage. C’est la justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient, car il n’y a pas de différence : tous ont péché, sont privés de la gloire de Dieu, mais sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus Christ » (Rm 3,21).

Cette reconnaissance que notre justification est un don de Dieu, qu’elle n’est pas liée à nos mérites, détruit toutes velléités de fierté, nous ne pouvons pas arguer de notre fidélité à la loi pour manifester notre supériorité, pour nous justifier. Se justifier par l’exercice de la loi, par nos œuvres c’est renforcer notre ego.

« C’est lui (le Christ) que Dieu a destiné à servir d’expiation par son sang, par le moyen de la foi, pour montrer ce qu’était la justice, du fait qu’il avait laissé impunis les péchés d’autrefois, au temps de sa patience » (Rm 3,25).

Le Christ lors de son procès a refusé de se justifier lui-même. Par sa patience, il a accepté d’être condamné par ceux qui se justifiaient eux-mêmes par leur application de la loi. Se justifier est le péché, l’œuvre de la chair écrit Paul plus loin.

Le péché apparait ici comme la prétention de l’homme à se justifier par la justice de ses œuvres ou de sa sagesse. Il oublie que tout ce qu’il a vient d’un don de Dieu.

Accepter de ne pas se justifier, s’absenter de l’affirmation de son « moi », ouvre avec le Christ, des perspectives inouïes, que nul ne pouvait imaginer.

En acceptant sa mort il montre ce qu’est la justice de Dieu, sa grande patience. En ressuscitant, il donne la vie à tous ceux qui comme lui, renoncent à se justifier par eux-mêmes en se fiant à la justice de Dieu.  La foi c’est renoncer à se faire justice pour se fier à la justice de Dieu. «  Il montre donc sa justice dans le temps présent, afin d’être juste et de justifier celui qui vit de la foi en Jésus. Y a-t-il donc lieu de faire le fier ? C’est exclu ! Au nom de quoi ? Des œuvres ? Nullement, mais au nom de la foi. Nous estimons en effet que l’homme est justifié par la foi, indépendamment des œuvres de la loi. »(Rm3,26)

Ce dépassement de la loi ouvre sur l’universalité, sur le dépassement de toutes les appartenances et de leurs lois propres. « Ou alors, Dieu serait-il seulement le Dieu des Juifs ? N’est-il pas aussi le Dieu des païens ? Si ! Il est aussi le Dieu des païens, puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu qui va justifier les circoncis par la foi et les incirconcis par la foi. » (Rm 3,29).

A quoi sert la Loi ?

Une question se pose alors : à quoi sert la loi ?

«  Enlevons-nous par la foi toute valeur à la loi ? Bien au contraire, nous confirmons la loi » (Rm 3,31).

Paul répond à cette question par une affirmation assez énigmatique : la foi confirme la loi. Il  développera cette idée plus loin, à partir du chapitre 7 de cette épitre.
Pour le moment il repart dans sa démonstration que le salut vient de la foi et non de la loi. En bon rabbin fin connaisseur des écritures, il prend l’exemple d’Abraham. Cet homme qui ne connaissait pas la loi a fait confiance en une parole qui le déstabilise et le met en route sur un chemin dont il ne maitrise rien. «  En effet, que dit l’Ecriture ? Abraham eut foi en Dieu, et cela lui fut compté comme justice. Or, à celui qui accomplit des œuvres, le salaire n’est pas compté comme une grâce, mais comme un dû. Par contre, à celui qui n’accomplit pas d’œuvres mais croit en celui qui justifie l’impie, sa foi est comptée comme justice » (Rm 4, 3).

Il cite à la suite un psaume qui met le pardon de Dieu au cœur de la justification. Le pardon n’est pas une simple faveur accordé à l’homme pour recouvrir ses  fautes. Le prophète Jérémie déjà avait parlé de l’anéantissement totalement du péché pour qui cherche Yhwh.
« Apprenez à connaître Yhwh », car ils me connaîtront tous, petits et grands – oracle de Yhwh. Je pardonne leur crime ; leur faute, je n’en parle plus » (Jr 31,34)

Et Paul de citer le psaume 32 :

«Heureux ceux dont les offenses ont été pardonnées et les péchés remis,

Heureux l’homme au compte de qui le Seigneur ne porte pas le péché » (Rm 4,8)

La justification de l’homme vient de la grâce du pardon donnée à ceux qui mettent leur espérance en  Dieu.
Cette espérance d’Abraham en Yhwh  a donné beaucoup de fruits : « Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi le père d’un grand nombre de peuples » (Rm 4,18).