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Epitre aux galates

Introduction

La Galatie est une région historique d’Anatolie, situé au N.E. de l’Asie mineure, dont le nom vient d’un peuple celte (Galates = Gaulois) qui y a migré dans l’Antiquité, aux alentours de 279 av. J.-C. Géographiquement, cette région est comprise entre la Cappadoce et la mer noire s’étendant autour d’Ancyre (l’Ankara d’aujourd’hui).

Comme l’épitre aux  Philippiens cette lettre aurait été écrite à Ephèse (56/57). Nous avons déjà vu que dans cette ville de Philippe, Paul avait défendu la non-circoncision pour les païens et qu’il en avait fait déjà un enjeu théologique fondamental.
Paul a créé en Galatie ces communautés d’origine essentiellement païennes lors de son deuxième voyage (année 49 ?). Après son départ, des personnes d’origine juive se présentant comme chrétiens ayant autorité ont voulu leur imposer les règles du judaïsme et la stricte application de la Loi (Tora) ; pour eux, l’appartenance au judaïsme, signifiée concrètement par la circoncision, était un passage obligé pour devenir disciple de Jésus.

Clivage entre judaïsme et christianisme

Paul tient à dénoncer cette exigence de la  circoncision. L’enjeu est crucial car tout l’avenir des premières communautés chrétiennes en dépendra. Il commence par ironiser sur la très rapide déviance de cet « autre » Evangile :

« Mais si quelqu’un, même nous ou un ange du ciel, vous annonçait un Evangile contraire à celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! » (Ga 1,8)

L’évangile que lui doit annoncer ne vient pas des hommes mais lui a été transmis lors d’un évènement précis  par une révélation personnelle de Jésus lui-même. Avant cet évènement, il était un jeune et brillant pharisien, habilité par les autorités du judaïsme à mettre toute son énergie pour lutter contre les partisans de ce Jésus.

« Car vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme : avec quelle frénésie je persécutais l’Eglise de Dieu et je cherchais à la détruire ;  je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères. Mais, lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens, aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain ou de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie, puis je suis revenu à Damas. » (Ga 1,13 +) 
Il revendique là clairement, du fait de ce rapport direct qu’il a eu avec Jésus, une certaine autonomie par rapport à ceux qui ont connu et suivi Jésus de son vivant. Mais cette autonomie ne veut pas dire opposition. Au contraire, il lui importe au plus haut point que cette révélation dont il a été bénéficiaire ait été reconnue par les apôtres en particulier par Pierre (Céphas).

 « Ensuite, trois ans après, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas et je suis resté quinze jours auprès de lui,  sans voir cependant aucun autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur. » (Ga 1,18)

Ainsi légitimé par eux, Paul a pu voyager et annoncer l’évangile aux païens.
« Ensuite, au bout de quatorze ans, je suis monté de nouveau à Jérusalem avec Barnabas ;  j’emmenai aussi Tite avec moi. Or, j’y montai à la suite d’une révélation et je leur exposai l’Evangile que je prêche parmi les païens ; je l’exposai aussi dans un entretien particulier aux personnes les plus considérées, de peur de courir ou d’avoir couru en vain. » (Ga 2,1)
Lors de cette visite à Jérusalem, il a rendu compte aux plus anciens, Pierre et Jacques, de toutes ses interventions auprès des païens auxquels il n’a pas imposé la circoncision. Il évoque alors en termes très durs, ceux qui en voulant imposer la circoncision ne supportent pas cette liberté donnée par Jésus :
« Mais on ne contraignit même pas Tite, mon compagnon, un Grec, à la circoncision ; ç’aurait été à cause des faux frères, intrus qui, s’étant insinués, épiaient notre liberté, celle qui nous vient de Jésus Christ, afin de nous réduire en servitude. » (Ga 2,3)
Reconnu comme inspiré par l’Esprit au même titre que l’action de Pierre, la légitimité de son approche est sortie renforcée de cette rencontre à Jérusalem :

«  Au contraire, ils virent que l’évangélisation des incirconcis m’avait été confiée, comme à Pierre celle des circoncis, – car celui qui avait agi en Pierre pour l’apostolat des circoncis avait aussi agi en moi en faveur des païens –  et, reconnaissant la grâce qui m’a été donnée, Jacques, Céphas et Jean, considérés comme des colonnes, nous donnèrent la main, à moi et à Barnabas, en signe de communion, afin que nous allions, nous vers les païens, eux vers les circoncis.  Simplement, nous aurions à nous souvenir des pauvres, ce que j’ai eu bien soin de faire. » (Ga 2,7)
A noter que « le soin des pauvres », directive majeure héritée de la Tora et des prophètes supplante la circoncision comme signe de communion.

La justification

Cette communion avec Pierre va subir néanmoins quelques accrocs lors d’un épisode à Antioche où Paul considérera Pierre comme un peu lâche par rapport aux décisions prises ensemble à Jérusalem. En effet par crainte de choquer des juifs, Pierre a refusé de partager un repas avec des païens.
Paul utilise cet incident, apparemment assez anodin, le « non partage »  d’une table commune entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens, mais symboliquement très fort (le repas partagé est le signe chez les premiers chrétiens de la communion), pour affirmer un élément doctrinal majeur sur la « justification », thème central de la théologie chrétienne qu’il développera plus loin dans cette lettre, puis surtout plus tard dans une autre épitre, celle aux romains:

« Nous savons cependant que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi, mais seulement par la foi de Jésus Christ ; nous avons cru, nous aussi, en Jésus Christ, afin d’être justifiés par la foi du Christ et non par les œuvres de la loi, parce que, par les œuvres de la loi, personne ne sera justifié » (Ga 2,15)

 Foi et Loi

De cette affirmation sur la justification, Paul en vient à décliner une opposition entre Foi et Loi. Les deux termes de cette opposition demanderaient à être explicités… mais pour le moment emporté par son élan il écrit :

« Car moi, c’est par la loi que je suis mort à la loi afin de vivre pour Dieu. » (Ga 2,19)

Phrase tellement condensée et paradoxale que l’on a un peu de mal à suivre. Comment la Loi nous fait mourir à la Loi afin de vivre pour Dieu ? Le terme de Loi a-t-il un même contenu dans les deux cas ? Veut-il dire que l’esprit de la Loi nous fait mourir à la lettre de la Loi ? Effectivement il écrira plus tard dans une lettre aux Corinthiens «la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2Co 3,6).  Mais ici à la lecture de la phrase suivante, Paul semblerait plutôt vouloir dire que la condamnation à mort de Jésus pour blasphème à la Loi a de fait tué la Loi. Car la résurrection de Jésus a manifesté l’impuissance de l’application formelle de la Loi à donner la vie.
Paul s’associe alors totalement à cette mort de Jésus, à cette mort à la Loi.
« Avec le Christ, je suis un crucifié ; je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20)

Il perçoit cette mort de Jésus comme un don, c’est cette mort qui l’a sauvé et non pas ses efforts pour appliquer parfaitement cette Loi dont il était un ardent défenseur. Désormais c’est l’adhésion à Jésus qui le fait vivre :

« Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi. Je ne rends pas inutile la grâce de Dieu ; car si, par la loi, on atteint la justice, c’est donc pour rien que Christ est mort » (Ga 2,20)
En donnant sa vie, Jésus a révélé l’incapacité de la Loi à sauver l’humanité. Croire que l’on pourra se sauver par ses propres forces, c’est nier le don de Dieu.

Esprit et chair

A ce premier clivage entre la Foi et la Loi, Paul en associe un autre celui entre l’Esprit et la chair. L’Esprit est le don gratuit de Dieu à ceux qui accueillent le message de Jésus.

« Est-ce en raison de la pratique de la loi que vous avez reçu l’Esprit, ou parce que vous avez écouté le message de la foi ? Etes-vous stupides à ce point ? Vous qui d’abord avez commencé par l’Esprit, est-ce la chair maintenant qui vous mène à la perfection ? » (Ga 3,2+) 

Qu’entend Paul par ce mot chair ?

Dans le verset cité précédemment, « ma vie présente dans la chair » (Ga 2,20), il signifie notre condition de vie actuelle, alors que dans ce verset, il évoque l’idée que l’on pourrait aboutir à la perfection par nos propres moyens.

La chair chez Paul évoque la logique du monde : convoitise, appropriation, besoin de domination… mais aussi l’arrogance et l’autosuffisance de croire que l’on peut parvenir à la perfection par ses propres moyens, en appliquant rigoureusement la Loi. D’où l’idée de Paul assez choquante pour les religieux, d’associer la Loi à  la chair (via l’idée du mérite), en opposition avec la Foi qui, elle, relève de l’Esprit (l’idée du don).
En fin connaisseur des écritures, Paul argumente cette idée audacieuse en remontant à Abraham et en citant un verset de la Genèse :
« Abraham eut foi en Dieu et cela lui fut compté comme justice » (Ga 3,6 ; Gn 15,6).

Abraham n’a pas été justifié par la Loi (elle n’avait pas encore été révélée) mais simplement par le fait qu’il a fait confiance à la parole de Yhwh, il a cru à la promesse de le rendre fécond et d’avoir une descendance plus nombreuse que les étoiles du ciel. Cette confiance a une portée universelle, elle préfigure l’ouverture du salut à toute l’humanité : «Toutes les nations seront bénies en toi. » (Ga 3,8 ; Gn 12,3)

Liberté et Servitude

Maintenant si l’on suit sa pensée, une question vient très vite à l’esprit : dans ces conditions à quoi sert la Loi ?
Paul répond que « la loi a été notre surveillant », c’est-à-dire qu’elle agissait comme un maître qui nous a « gardé en captivité », d’où son développement où il établit un troisième clivage associé à la Loi, celui entre liberté et servitude : « après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant » (Ga 3,25).

Cette liberté donnée par le Christ a une conséquence phénoménale, elle subvertit toutes les appartenances, ethniques, sociales, religieuses et même sexuelles. D’où ce verset célèbre fondateur de l’universalisme, qui porte en germe l’implosion de tous les clivages sociaux qui s’appuient sur une appartenance circonscrite et donc limitée :
« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. » (Ga 3,28)
La Loi était nécessaire quand nous étions enfant. En tant qu’enfant nous sommes soumis à un tuteur, donc d’une certaine façon esclave. Jésus est mort pour que nous soyons libérés de la Loi et que nous devenions des adultes accomplis, c’est-à-dire fils et héritier de Dieu par l’action de L’Esprit :
« Telle est donc ma pensée : aussi longtemps que l’héritier est un enfant, il ne diffère en rien d’un esclave, lui qui est maître de tout ; mais il est soumis à des tuteurs et à des régisseurs jusqu’à la date fixée par son père.  Et nous, de même, quand nous étions des enfants soumis aux éléments du monde, nous étions esclaves. Mais, quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et assujetti à la loi, pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu’il nous soit donné d’être fils adoptifs. Fils, vous l’êtes bien : Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie : Abba – Père !  Tu n’es donc plus esclave, mais fils ; et, comme fils, tu es aussi héritier : c’est l’œuvre de Dieu » (Ga 4,1+)  

Face à cet évènement qui bouleverse nos destins, Paul s’insurge contre un retour vers des pratiques religieuses juives ou païennes qu’il met dans le même sac !!!
« Comment pouvez-vous retourner encore à des éléments faibles et pauvres, dans la volonté de vous y asservir de nouveau ?  Vous observez religieusement les jours, les mois, les saisons, les années !  Vous me faites craindre d’avoir travaillé pour vous en pure perte ! » (Ga 4,9)

Il illustre alors cette comparaison entre l’héritier qui est libre et l’enfant qui est soumis en ayant recourt à un procédé rhétorique typique du midrash rabbinique. Classiquement dans le judaïsme, le docteur en écriture prend appui sur un passage biblique, utilise l’allégorie, la métaphore ou l’analogie pour construire autour de ce passage un récit dans une optique clairement didactique. Paul utilise ici l’histoire des deux femmes d’Abraham, Sara la légitime et Hagar la servante, pour illustrer son propos : la liberté est offerte à la femme légitime selon l’Esprit tandis que la femme selon la chair reste dans sa condition d’esclave.

Hymne à la liberté

Quelle est la nature de cette liberté à laquelle nous sommes appelés et vers laquelle Paul nous demande de tendre ?  D’où vient-elle ?
« C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés. Tenez donc ferme et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage » (Ga 5,1).
La liberté n’est pas l’objet d’une conquête, elle nous est donnée par le Christ qui par sa mort a fait sauter le joug qui nous enchainait à la Loi. Mais ce « don » il faut le reconnaitre, sinon  « Vous avez rompu avec Christ, si vous placez votre justice dans la loi ; vous êtes déchus de la grâce. » (Ga 5,4)
La grâce, c’est cette liberté même. Où nous mène cette liberté ?
« Quant à nous, c’est par l’Esprit, en vertu de la foi, que nous attendons fermement que se réalise ce que la justification nous fait espérer. Car, pour celui qui est en Jésus Christ, ni la circoncision, ni l’incirconcision ne sont efficaces, mais la foi agissant par l’amour» (Ga 5,5)
De cette confiance en Christ nait l’espérance de vivre et de ressusciter avec et comme Lui, dans le don de soi, dans l’amour.

Cette liberté, don de l’Esprit, nous met « par amour au service des uns des autres » (Ga 5,14)  alors que l’esclavage de la chair ne peut que nous opposer les  uns aux autres. Contrairement à ce que l’on pense spontanément, la quête de la satisfaction de notre ego, nos désirs d’appropriation et de puissance nous enferment dans une piste sans issue, alors que le service des autres par amour ouvre tous les champs du possible et rend libre.
Pas de liberté sans espoir, pas de liberté sans amour.
Cet évènement, de la mort et de la résurrection, dont la croix est le symbole, marque une rupture dans l’histoire de l’humanité qui rentre là précisément dans une nouvelle ère,  il y a bien une nouvelle création qui rend toutes les religions, fut-elle celle du peuple élu par Dieu dont Paul lui-même s’est réclamé,  obsolètes.

« Pour moi, non, jamais d’autre fierté que la croix de notre Seigneur Jésus Christ ; par elle, le monde est crucifié pour moi, comme moi pour le monde. Car, ce qui importe, ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision, mais la nouvelle création. » (Ga 6,14)