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Introduction aux livres historiques et prophétiques

Rappel des épisodes précédents

Le premier volume de La Bible au-delà de la religion portait sur les cinq premiers livres de la Bible, la Torah stricto-sensu chez les juifs ou Pentateuque chez les chrétiens.
Nous avons lu dans le livre de la Genèse, les récits mythiques de la création du cosmos, la naissance des premiers groupes humains et la violence qui a recouvert la surface de la terre au grand dam de l’auteur de cette création.

Nous avons souligné la remarquable pertinence anthropologique de ces premiers récits mythiques.
Puis avec l’histoire d’Abraham originaire d’Our en Chaldée (partie sud de la Mésopotamie) nous sommes entrés dans des récits que nous avons qualifiés  de protohistorique en le sens qu’ils s’inscrivent en des lieux, dans un temps  et une culture déterminés de l’histoire, le début  du deuxième millénaire qui rendent invérifiables l’historicité des faits rapportés.
Nous avons suivi le périple de cet homme Abraham qui a entendu une parole : Va vers toi, quitte  ton pays,  ta famille et la maison de ton père, va vers le pays que je te ferai voir (Gn 12,1).
Cet ordre d’émigrer est assorti d’une promesse inouïe pour un homme stérile : Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai grand ton nom (Gn 12,1).
Son père, déjà, avait émigré du Sud au nord de la Macédoine, d’Our à Harran, lui quitte Harran repart vers le Sud mais de l’autre côté du croissant fertile, il  traverse le pays de Canaan,  passe quelques temps en Egypte avant de revenir en terre de Canaan. La «  voix » lui promet que cette terre sera donnée à ses descendants, ce sera leur royaume. Pourtant deux générations plus tard,  son petit-fils Jacob, est obligé, à  un âge avancé, d’émigrer en Egypte avec toute sa famille pour échapper à la famine.

Le livre de l’Exode poursuit l’histoire de la descendance de cette famille tenue en esclavage par le pharaon. Centré sur le personnage de Moïse, il narre sa libération suivie de  sa vie dans le désert du Sinaï. Arraché à sa condition d’esclave, cette tribu sans attache profonde, à laquelle s’est joint un ramassis de gens (Ex 12,37), se sent perdue dans le désert. Moïse reçoit alors de Yhwh des instructions pour structurer ce groupe autour d’un projet, celui de partir s’installer dans un territoire où coule le lait et miel (Ex 13,5). Ce projet est associé à des paroles, les dix commandements, qui engagent ce peuple dans une révolution religieuse et la pratique d’une éthique.

Avec ce deuxième volume, nous poursuivons, pendant un millénaire, l’étude de l’histoire politique, sociale et religieuse de ce peuple que nous avons laissé au désert du Sinaï, et qui parait enfin décidé à pénétrer dans le territoire de Canaan. Avec ces récits, nous entrons insensiblement dans le cadre de l’Histoire.

Arrière-plan historique

Les livres, que nous allons étudier, s’inscrivent dans une période historique très large, depuis l’entrée dans la terre promise que les historiens situeraient autour du XIII é siècle, jusqu’au dernier siècle qui précède l’ère chrétienne. Cette bibliothèque a vu le jour au sein d’un petit peuple qui a pris racine lors du second millénaire sur une bande de terre située entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain appelée Palestine ou pays de Canaan, terre qui  est le  passage obligé entre deux grandes zones géographiques la Mésopotamie au Nord-est et l’Egypte au sud-Ouest, berceaux de civilisations qui tiennent une place centrale dans l’évolution de l’histoire humaine. Elles sont à l’origine de  cités-états, qui, avec la création d’une administration, la mise en place d’institutions politiques et religieuses, la découverte de la métallurgie et de l’agriculture, la pratique du commerce, donneront naissance à des empires. C’est aussi en Mésopotamie que les archéologues situent, autour du deuxième millénaire, la naissance du premier système d’écriture, l’écriture cunéiforme*.
*Cf. la découverte en 1901 à Suze, d’une stèle du Code juridique Hammourabi.

A l’aube du premier millénaire, époque où les tribus des hébreux mettent à leur tête un roi pour constituer une nation, l’Assyrie, avec sa capitale Ninive, est maître d’un empire sans équivalent aux époques antérieures. Cet empire assyrien connait son apogée territoriale au VIIIe siècle après ses victoires en Perse au sud-est et sur l’Egypte au Sud-ouest, couvrant ainsi, la majeure partie du Moyen-Orient.
Quelques décennies plus tard, cet empire Assyrien est déstabilisé par la récurrence de crises successorales et son incapacité à dominer durablement des populations d’un territoire aussi vaste et tout particulièrement celles de la région de Babylone farouchement indépendantistes. Profitant d’une guerre civile entre Assyriens, un pouvoir autonome se constitue à Babylone qui, avec l’appui des Mèdes, envahit l’Assyrie et détruit Ninive en 612. Babylone, avec à sa tête Nabuchodonosor, étend sa domination sur toutes les anciennes provinces de l’Assyrie et devient le nouvel empire.
Mais en 539, Cyrus, le roi Perse, Cyrus, s’empare de Babylone. Toute la région est alors dominée pendant près de deux-cents ans par ce troisième empire.
En 334, Alexandre le Grand débarque en Asie Mineure, traverse la Mésopotamie, conquiert Babylone et pousse son armée jusqu’au fleuve Indus, il meurt à Babylone en 323. Ses principaux généraux se partagent cet immense territoire. La Palestine est d’abord rattachée aux Ptolémées (les Lagides), puis en 200, après la défaite des Lagides face aux Séleucides, elle tombe sous la coupe de ces derniers.
Enfin, en 63, le général romain Pompée prend Jérusalem et toute la région devient province romaine.

Force est de constater avec cette  succession d’empires, qu’historiquement toute construction politique fondée sur une approche impériale n’a qu’une durée de vie limitée. L’approche impériale, comme modèle pérenne de construction d’un peuple, n’a pu s’imposer.

Dans l’objectif de la construction d’un peuple, la Torah raconte une toute autre approche. Le contraste entre la logique impériale et l’enseignement biblique est saisissant.

Ambivalence des empires

A l’origine, le but ultime de l’empire est la conquête du monde connu et sa mise en ordre. Cet objectif a une dimension quasi cosmique et donc sacrée, car il s’agit de combattre le chaos et de rétablir l’ordre de l’univers.

Les peuples aux marges de l’empire sont perçus comme inférieurs, mal organisés et leurs diversités symbolisent le désordre du monde. Il faut donc les soumettre dans le but de les unifier. Les évolutions sur le plan religieux suivent la même dynamique, remise en ordre des cultes, limitation et hiérarchisation des dieux. C’est ainsi que dans chaque empire, il y a une divinité suprême, Assur pour les Assyriens, Mardouk pour les Babyloniens, Ahura Mazda pour les Perses, Zeus pour les grecs. L’empereur occupe une position à part parmi les humains, sa fonction est sacrée, il est l’élu des dieux et ses actions pour rétablir l’ordre et la paix reflètent les volontés divines.

A porter au crédit de cet objectif impérial sont les grands développements de la civilisation par l’organisation du territoire, la construction de capitales, la constitution de provinces, l’organisation de réseaux de communication etc… Mais tout cela au prix d’une emprise souvent violente sur les populations sous forme de taxes et de corvées ; les peuples qui ne sont pas tout simplement annexés, sont mis sous tutelle et doivent payer un lourd tribut. Quant aux populations les plus récalcitrantes, elles peuvent être déportées.

Avec le temps, ces empires sont minés de l’intérieur, par les rivalités internes particulièrement actives au moment des successions et par la résistance des populations assujetties, et de l’extérieur par le combat avec d’autres empires qui ont aussi une visée universelle.

Face à la logique impériale, l’enseignement de la Torah

Don de la Loi

Nous avons relevé dans le récit de la tour de Babel,  la peur des hommes face à la diversité des populations de la terre. La volonté d’uniformiser qui s’en suit déplait à Yhwh qui s’y oppose par la création de langues différentes qui sèment la confusion (Gn 11).
Nous avons noté aussi lors de la sortie d’Egypte que le gouvernement du pharaon incarnait dans les textes, les forces de la mort alors que Yhwh  a en projet de créer un peuple nouveau, dont la pérennité est assurée par la promesse, en l’arrachant à une logique impériale et en lui transmettant par le don de la Torah, un ensemble de lois, de paroles, d’enseignements, porteur de  vie.

Perception du sacré et relation entre les hommes

Nous avons vu en commentant les dix commandements que la Loi se partageait selon deux grands axes :
Le premier porte sur la perception du  sacré. Il n’y a pas de dieux, les empereurs qui pensent qu’ils sont porteurs de la volonté de leurs dieux s’égarent, cette idée d’un lien avec leurs dieux dont ils tirent  légitimité et puissance est vigoureusement dénoncée. Il n’y a qu’un seul dieu, Yhwh,  nom qui ne doit pas être prononcé, dieu insaisissable par les puissants, dieu attentif aux populations les plus fragiles qui vivent à la marge de la société : Car c’est Yhwh votre Dieu qui est le Dieu des dieux et Yhwh des seigneurs, le Dieu grand, puissant et redoutable, l’impartial et l’incorruptible, qui rend justice à l’orphelin et à la veuve, et qui aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau. Vous aimerez l’émigré, car au pays d’Egypte vous étiez des émigrés (Dt 10,17).

Le second porte sur la relation des hommes entre eux. L’éthique posée dans la seconde partie des dix commandements est développée tout au long de la Torah : Tu n’exploiteras ni n’opprimeras l’émigré, car vous avez été des émigrés au pays d’Egypte. Vous ne maltraiterez aucune veuve ni aucun orphelin.  Si tu le maltraites, et s’il crie vers moi, j’entendrai son cri, ma colère s’enflammera, (…) Si tu prêtes de l’argent à mon peuple, au malheureux qui est avec toi, tu n’agiras pas avec lui comme un usurier ; vous ne lui imposerez pas d’intérêt (Ex 22,20+).
Elle est la condition pour habiter une terre nouvelle, la terre promise : Tu écouteras, Israël, et tu veilleras à les mettre en pratique : ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l’a promis Yhwh, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel (Dt 6,3).

L’ enseignement de Yhwh s’avère cependant trop décalé par rapport à la perception traditionnelle du sacré fondé sur la puissance des dieux et leur domination par le canal du pouvoir des rois. Là, Moïse ne se présente pas comme un roi, mais comme le témoin d’une parole à laquelle le peuple doit librement adhérer. Il faudra la pérégrination de toute une génération au désert avant que les descendants prennent confiance dans ces paroles et envisagent de pénétrer dans la terre promise, le territoire de Canaan, dont ils craignent qu’il soit occupé par des géants. Les récits associés à cette période de doute au désert sont contenus dans les trois autres livres de la Torah.
On a lu les mises en garde que contiennent ces livres. Une fois installé, le peuple sera affronté aux empires, au prestige de leur culture, à leur force militaire. Il ne doit pas chercher à les imiter : Tu ne te feras pas de dieux en forme de statue (Ex 34,17). Vous ne suivrez pas d’autres dieux parmi ceux des peuples qui vous entourent (Dt 6,14).
Ni à convoiter leurs richesses : Tu ne te laisseras pas prendre au piège par l’envie de garder pour toi leur revêtement d’argent et d’or, car c’est une abomination pour Yhwh ton Dieu (Dt 7,25).

Humilité

Autre enseignement, après avoir pris possession du territoire promis, le peuple ne doit pas se considérer comme supérieur aux autres peuples, il doit rester humble, il ne doit pas tomber dans l’arrogance du propriétaire. Il doit reconnaître que cette terre est un don de Yhwh : Reconnais que ce n’est pas parce que tu es juste que Yhwh ton Dieu te donne ce bon pays en possession, car tu es un peuple à la nuque raide (Dt 9,6).
La période au désert avait cet objectif d’éducation à l’humilité afin de rester réceptif à sa Parole : Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche de Yhwh.  Ton manteau ne s’est pas usé sur toi, ton pied n’a pas enflé depuis quarante ans,  et tu reconnais, à la réflexion, que Yhwh ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils (Dt 8,3).

Yhwh avertit aussi le peuple qu’une fois bien installé dans ce territoire où coulent le lait et le miel, la richesse pourrait être un  piège : Si tu manges à satiété, si tu te construis de belles maisons pour y habiter, si tu as beaucoup de gros et de petit bétail, beaucoup d’argent et d’or, beaucoup de biens de toute sorte,  ne va pas devenir orgueilleux et oublier Yhwh ton Dieu. (…) Ne va pas te dire : « C’est à la force du poignet que je suis arrivé à cette prospérité », mais souviens-toi que c’est Yhwh ton Dieu qui t’aura donné la force d’arriver à la prospérité (…) (Dt 8,13-17).

Si les représentants ne respectent pas les exigences éthiques et persévèrent dans des pratiques religieuses condamnées par la Torah, la richesse pourrait les faire tomber dans le triste désir de puissance. Soumis à la logique de la domination impériale, ils connaîtront le sort de tous les empires, la mort : Et si jamais tu en viens à oublier Yhwh ton Dieu, si tu suis d’autres dieux, si tu les sers et te prosternes devant eux, je l’atteste contre vous aujourd’hui : vous disparaîtrez totalement ;  comme les nations que Yhwh a fait disparaître devant vous, ainsi vous disparaîtrez, pour n’avoir pas écouté la voix de Yhwh votre Dieu (Dt 8,19-20).
Parce que tu n’auras pas servi Yhwh ton Dieu dans la joie et l’allégresse de ton cœur quand tu avais de tout en abondance, tu serviras les ennemis que Yhwh t’enverra, dans la faim, la soif, la nudité et la privation de toute chose (Dt 28,47).

Paradoxalement, et de façon contre-intuitive, le peuple n’a pas à craindre la domination des empires. S’il écoute la parole de Yhwh, s’il reste humble, il subsistera et verra s’écrouler devant lui les empires orgueilleux : Car si vous gardez vraiment tout ce commandement que je vous ordonne de mettre en pratique, en aimant Yhwh votre Dieu, en suivant tous ses chemins et en vous attachant à lui, Yhwh dépossédera toutes ces nations devant vous, si bien que vous déposséderez des nations plus grandes et plus puissantes que vous (Dt 11,22).

Ecoute de la Parole

La garantie de pérennité du peuple ne réside pas dans la puissance et la domination des autres peuples, mais dans la transformation intérieure de chacun par l’écoute de la parole : Oui, la parole est toute proche de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu la mettes en pratique. Vois : je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur,  moi qui te commande aujourd’hui d’aimer Yhwh ton Dieu, de suivre ses chemins, de garder ses commandements, ses lois et ses coutumes. Alors tu vivras, tu deviendras nombreux, et Yhwh ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession (…) (Dt 30,14-16).
Ce projet peut paraître utopique et nous verrons combien la lumière de ces écrits aura le plus grand mal à éclairer la nuit obscure de  l’histoire. Car de fait le peuple aura le plus grand mal à assimiler l’enseignement de la Torah, il succombera cycliquement aux charmes de la puissance et se tournera vers les dieux locaux. Il connaitra les malheurs de tous les petits peuples défaits par les grands empires.

Alors qu’un regard extérieur d’historien lira dans ces défaites la logique inéluctable des  rapports de force, les prophètes attribueront les tentatives d’anéantissement qu’ils subiront de la part des empires successifs, non à la puissance des empires, mais à l’infidélité du peuple à la Torah : Mais si ton cœur se détourne, si tu n’écoutes pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir,  je vous le déclare aujourd’hui : vous disparaîtrez totalement, vous ne prolongerez pas vos jours sur la terre où tu vas entrer pour en prendre possession en passant le Jourdain (Dt 30,17).

Appel à la réflexion

Selon la logique courante du sacré, les dieux défendent leur peuple contre leurs adversaires. Aussi après la débâcle de son peuple, Yhwh apparait bien faible face aux dieux des empires. Or les prophètes, au sein même des catastrophes, révèleront qu’au contraire Yhwh est le maître de l’univers, que les empires sont des instruments entre ses mains pour corriger son peuple afin qu’il prenne conscience de ses erreurs et revienne à  l’enseignement reçu. Les prophètes annoncent aussi parallèlement la mort des empires qui l’asservissent. Les malheurs qui s’abattent sur le peuple ne sont ni une faiblesse de Yhwh face aux autres dieux, ni un désir de vengeance, mais un appel à la réflexion.

Yhwh avait annoncé qu’il resterait toujours fidèle à sa promesse et ce malgré l’infidélité du peuple à son égard : Même alors, quand ils seront dans le pays de leurs ennemis, je ne les aurai pas rejetés ni pris en aversion au point de les exterminer et de rompre mon alliance avec eux, car c’est moi, Yhwh, leur Dieu.  Je me souviendrai, en leur faveur, de l’alliance conclue avec leurs aïeux que j’ai fait sortir du pays d’Egypte sous les yeux des nations, afin que pour eux je sois Dieu, moi, Yhwh (Lv 26,44).

Tous les malheurs et les déportations que le peuple connaîtra devront être l’occasion d’un retour aux paroles de Yhwh, sources de sa vie. Le peuple assujetti et dispersé par les puissants, sera libéré et rassemblé : Et quand arriveront sur toi toutes ces choses, la bénédiction et la malédiction que j’avais mises devant toi, alors tu réfléchiras parmi toutes les nations où Yhwh ton Dieu t’aura emmené : tu reviendras jusqu’à Yhwh ton Dieu, et tu écouteras sa voix, toi et tes fils, de tout ton cœur, de tout ton être, suivant tout ce que je t’ordonne aujourd’hui.  Yhwh ton Dieu changera ta destinée, il te montrera sa tendresse, il te rassemblera de nouveau de chez tous les peuples où Yhwh ton Dieu t’aura dispersé.
Même si tu as été emmené jusqu’au bout du monde, c’est de là-bas que Yhwh ton Dieu te rassemblera, c’est là-bas qu’il ira te prendre. Yhwh ton Dieu te fera rentrer dans le pays qu’ont possédé tes pères, et tu le posséderas ; il te rendra heureux et nombreux, plus que tes pères (Dt 30,1-4).

Pédagogie divine

Nous verrons comment la pédagogie divine se déploie pendant ce millénaire comme une longue gestation pour arracher l’humanité aux forces de la violence, nous verrons comment ce projet de Yhwh fait son chemin à travers l’histoire, alors qu’il apparait utopique à nos yeux, déconnecté de notre perception des réalités du monde où les puissants l’emportent naturellement sur les plus faibles. Cette simple logique du plus fort à nos yeux si évidente, n’explique pourtant pas comment un si petit peuple, affronté successivement à autant d’empires qui le plus souvent ont cherché à le détruire, en particulier par des déportations, ait pu leur survivre et développer une identité culturelle et religieuse très spécifique jusqu’à nos jours.

Nous suivrons, par la lecture des livres qui suivent la Torah, comment l’identité du peuple se consolide progressivement par la lutte contre l’idolâtrie, par une évolution de la perception de Dieu et du sacré. Nous verrons comment une telle dynamique est alimentée pendant tout ce millénaire, par l’intervention des prophètes, par leur remise en cause du sacré, par le questionnement et le débat des sages  mais aussi par la quête d’une relation personnelle de chacun avec Yhwh dans la prière. Tels sont les combats à mener, les chemins à parcourir pour faire éclore une métamorphose de l’homme et de ses désirs qui donnera au projet de créer un peuple nouveau, hors de la logique des dominants, une dimension spirituelle pérenne et universelle qui touchera l’humanité toute entière.
Ce passage, de réalités historiques à des réalités spirituelles, déterminant pour le destin de l’homme, donnera naissance à un genre littéraire que nous découvrirons à la fin de ce volume, le genre apocalyptique. Cette littérature voit le jour au VIe siècle av. J.-C. chez les prophètes déportés à Babylone, elle se développera jusqu’au premier siècle de notre ère (en particulier dans les Evangiles et bien sûr dans le Livre de l’Apocalypse de Jean). Cette littérature porte un regard critique sur les puissances du monde, révèle, au travers des catastrophes qui s’annoncent, le sens de l’histoire humaine et l’imminence d’un monde nouveau.  Elle associe une réalité humaine sensible à une réalité invisible que l’homme seul ne peut percevoir. Tout en étant ancré dans l’histoire, elle annonce des évènements qui sortent de l’histoire et la transcende. Cette nouvelle dimension apparait comme le fruit d’un combat au sein de l’histoire, pour échapper à la fatalité mortifère des rapports de force, en nous incitant à porter notre regard sur une autre logique de vie que révèlent progressivement les textes bibliques.

Prophètes et Autres écrits

La partie de la Bible qui suit la Torah, que nous allons étudier, est partagée selon la tradition juive en deux grands ensembles, les Nevi’im (les prophètes) avec huit livres (2 livres de Samuel, 2 livres des rois, 3 livres Esaïe, Jérémie et Ezéchiel et 1 livre des petits prophètes), et les Ketouvim (autres écrits) qui en contient onze.

Soit, avec les cinq livres de la Torah un total de vingt-quatre livres. Pour le même contenu, en raison d’un découpage différent*, on compte trente-neuf livres dans l’Ancien Testament des bibles chrétiennes. A ceux-là, s’ajoutent dans les bibles de l’église catholique quelques écrits du judaïsme plus tardif que l’on les appelle les écrits deutérocanoniques. (Voir en annexe la liste des livres et leur découpage selon les traditions juives et  chrétiennes).
* les livres des petits Prophètes Mineurs  douze livres tandis que dans la Bible hébraïque, ils sont rassemblés dans 1 livre qui s’appelle « Les Douze ». De même, les Bibles chrétiennes divisent les Livres des Royaumes en 4 livres, soit 1-2 Samuel et 1-2 Rois (tandis que la Bible juive les divise en 2 livres). Les Juifs gardent également 1-2 Chroniques comme un seul livre. Esdras et Néhémie sont également combinés dans la Bible juive, comme ils le sont dans de nombreuses Bibles orthodoxes, au lieu d’être divisés en deux livres, selon la tradition catholique et protestante.

Pour les Nev’im, la classification chrétienne distingue, deux grands ensembles, les livres « historiques » et les livres « prophétiques » proprement dits. Aussi avons-nous partagé ce deuxième volume en trois parties.

– les livres « historiques » qui sont globalement structurés par le récit chronologique  de  l’histoire du peuple.

– les livres « prophétiques », ensemble de livres portant chacun le nom du prophète dont il rassemble les oracles.

– Les autres écrits (Ketouvim). Ensemble d’écrits relevant de genre littéraire divers, fictions historiques, contes, poèmes, recueils de sagesse…

Nous ne pourrons pas dans le cadre de cette étude, parcourir de façon exhaustive, l’ensemble  des livres et nous laisserons en particulier au lecteur la joie de découvrir par lui-même, les livres d’Esther, de Judith, le Cantique des cantiques dont la beauté pourrait être déflorée par mes commentaires.