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les livres sapientiaux: les Proverbes

Après avoir parcouru la Torah et les Livres Prophétiques, je vous propose de quitter le cycle des livres Prophétiques (selon la classification hébraïque) commencé en Juillet 2011 avec le livre de Josué, si je me réfère aux archives de nos réunions. Certes nous n’avons pas étudié tous les prophètes, nous n’avons pas parlé d’Ezéchiel, un des trois grands avec Jérémie et Isaïe, ni de Joël, Abdias, Nahoum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie et Malachie, classés dans les petits prophètes. Ce sont des textes courts, certains même très courts. Ils ont chacun leur beauté et leur intérêt propre mais nous pouvons en réserver la lecture à une phase ultérieure d’approfondissement. La troisième et dernière catégorie des livres bibliques du premier testament, livres regroupés dans la bible hébraïque sous la dénomination de Ketouvim –(Les Ecrits, comprendre les « Autres Ecrits ») regroupent des livres hétérogènes, de genres littéraires très différents.

On y trouve :
– Des livres de prières, Les Psaumes et les Lamentations dont nous avons déjà parlé à propos de l’exil à Babylone.
– Des livres d’enseignement et de réflexions autour de la Sagesse, nommés livres sapientiaux :  Proverbes, Sagesse, Siracide (aussi appelé Ecclésiastique) enfin le livre de Qohélet (aussi appelé Ecclésiaste).
des contes historiques: Ruth, Esther et Tobit
un livre de chants d’amour: le Cantique des cantiques.
– des chroniques historiques sur deux périodes précises: Esdras, Néhémie (autour de 480 av.J.C.) et les deux livres des Macchabés (autour de 160 av.J.C.).
enfin un livre un peu inclassable, à la fois conte philosophique, poème, pièce de tragédie (?), le livre de Job .

Je vous propose maintenant de vous faire une présentation globale des livres sapientiaux avant de nous arrêter sur le livre de Job.

Les Courants de la Sagesse dans l’histoire.

Contrairement à la littérature prophétique, ce genre littéraire n’est pas propre à la Bible, on trouve ce type de littérature dans toutes les civilisations du proche Orient de l’époque biblique. La Sagesse n’est pas le propre de la révélation biblique, loin de là, on peut même dire que jusque-là dans notre itinéraire biblique il n’en a pas été beaucoup question. Certes Joseph en Egypte a été reconnu et loué pour sa sagesse (Gn 41,39) et plus tard (Xè av. J.C)  Salomon est présenté, nous l’avons vu, comme incarnant le type même du Roi-sage; mais le Livre des Rois parle aussi de la grande sagesse d’une reine étrangère, la reine de Saba, et plus loin ce même livre va relativiser la sagesse de Salomon sur la fin de sa vie!!!

Aussi bien avant que pendant l’époque  biblique, nous disposons surtout depuis les découvertes archéologiques du XIXe siècle, de nombreuses traces d’écrits des grandes civilisations environnantes (Sumer, Babylone, Egypte) qui illustrent l’importance dans ces civilisations de l’effort de l’intelligence des hommes pour faire face aux réalités quotidiennes. Ces efforts ont initialement un but essentiellement pratique, observer la nature et tenter d’appréhender le mode de fonctionnement des hommes, pour distinguer ce qui avec le temps marche de ce qui ne marche pas. Ce savoir n’est pas un savoir abstrait, c’est un savoir du comportement en vue du bonheur des individus et d’assurer la cohésion de la société.  Ce savoir-faire, ce savoir-vivre est consigné dans des écrits en vue de les transmettre aux générations futures. Ces textes en viennent ainsi à définir une morale dans les comportements familiaux, sociaux et politiques. Il faut préciser, pour nous modernes nourris de sciences de la  psychologie, que cette morale porte presque exclusivement sur les actes et leur répercussion sur le groupe et non sur les intentions subjectives de l’individu.
Le premier livre biblique à avoir consigné cette morale expérimentale des anciens à transmettre aux enfants, ou plus précisément du père au fils est le livre des Proverbes.

La similitude des contenus de ce texte avec ceux souvent plus anciens des civilisations environnantes illustre bien le terreau dans lequel la culture hébraïque s’est développée.
La Sagesse présente donc dès l’origine un caractère commun et universel alors que la religion apparaît plus diversifiée et assez spécifique d’une civilisation à l’autre. Elle est l’ébauche d’un humanisme. Faut-il en conclure que La Sagesse fut dès l’origine relativement autonome et indépendante de la religion ?

Articulation Sagesse-Religion ?

La distinction entre sagesse et religion nous est familière et considérée par nous modernes comme très bénéfique; elle permet de distinguer ce qui est du domaine de la raison et ce qui relève des croyances et de la foi. La sagesse dans l’histoire a permis de faire face aux dérives possibles de ces dernières.
La sagesse antique en effet initialement très pratico-pratique va progressivement, en s’élaborant devenir plus abstraite et donner naissance à une métaphysique (au-delà du physique). La réflexion de l’intelligence humaine conduit l’homme à se penser au-delà du physique, de la matérialité des choses et des événements. C’est ainsi qu’apparait à partir du VIe siècle avant notre ère, chez les grecs, la philosophie (amour de la sagesse): art de l’intelligence humaine qui s’appuie sur la seule raison, sur ce qui est immanent à l’homme et à la nature, indépendamment de toute révélation extérieure à l’homme, dégagé de toute transcendance. Par la philosophie l’homme  se « libérerait » ainsi de la religion.

Mais cette distinction entre sagesse et religion à laquelle fait écho de nos jours la séparation entre le champ de la philosophie et celui de la théologie, même si elle plonge ses racines dans la Grèce antique est une approche moderne, relativement récente (XVIIIe ?).  Autrefois, dans un monde exclusivement religieux, il n’en était pas du tout ainsi.

Lien entre sagesse et le pouvoir de la royauté

En effet la Sagesse à ces époques anciennes était perçue comme d’origine divine. L’homme  dans sa quête du bonheur,  mesure de fait son incapacité à trouver par lui-même le comportement satisfaisant qui y mènerait. La divinité apparaît comme seule capable de le conduire. Les dieux font don à l’homme d’un Roi qui en leurs noms doit diriger et juger les hommes avec justice et droiture. La sagesse, associée à une divinité est de ce fait rattachée au pouvoir royal. Il en était ainsi aussi en Israël : souvenez- vous, les réclamations du peuple hébreu faites à Samuel pour avoir un roi comme tous les autres peuples.

« Maintenant donc, donne-nous un roi pour nous juger comme toutes les nations. »
(1S 8,5)

Pour assurer cette  fonction royale de « guide du peuple », le roi doit (en principe !) s’entourer de personnes capables de discerner la volonté divine d’où les devins, le conseil des sages, etc… Le caractère divin de tous ceux qui procèdent du pouvoir royal participe à la stabilité globale de la société.

Par moi (la sagesse) règnent les rois et les grands fixent de justes décrets
Par moi les princes gouvernent et les notables sont tous de justes juges. (Pr 8,15)

Contestation de ce lien

A côté de cette origine divine, transcendante de la sagesse, portée par le roi et ses acolytes, le bon sens populaire dans toutes les civilisations a développé un savoir –faire expérimental. Cette sagesse en quelque sorte immanente s’est transmise de générations en générations sous la forme de dictons, de formules imagées, de symboles riches en couleur qui s’incrustent ainsi plus facilement dans la mémoire. C’est une sagesse enracinée dans la terre, issue d’un vieux fond agricole.

« Qui recueille en été est un homme avisé ;
qui dort à la moisson est méprisable » (Pr 10,5)

Une sagesse qui touche à la vie intime et personnelle du peuple.

« Mieux vaut un plat de légumes là où il y a de l’amour
qu’un bœuf gras assaisonné de haine » (Pr 15,17)

 Bref une sagesse dont l’origine sort du champ de compétence expérimentale des rois et des prêtres.

Par ailleurs nous avons vu à la fin de l’époque des Juges, dans le livre de Samuel que Yhwh  avait été très réticent à satisfaire cette demande du peuple d’être dirigé par un roi. Il leur a   exposé  alors  les dangers et les dérives possibles du pouvoir royal, en vain. Certes avec Salomon le lien entre la royauté et la sagesse trouve son plein accomplissement, mais il semble bien que les références pour montrer cet accomplissement, pour cautionner cette sagesse royale mythique soient plutôt d’origine païenne, externe à Israël.

De tous les peuples et de la part de tous les rois de la terre qui avaient entendu parler de la sagesse du roi Salomon, des gens vinrent pour entendre sa sagesse (1R 5,14)

Le roi Salomon devint le plus grand de tous les rois de la terre en richesse et en sagesse. Toute la terre cherchait à voir Salomon afin d’écouter la sagesse que Dieu avait mise dans son cœur. (1R 10,23)

On connait la suite… et le regard beaucoup plus critique porté sur la sagesse des rois, pendant toute cette période (du XIe au VIe siècle) par des prophètes dissidents, qui osent parler au nom de Yhwh et s’opposer au roi, à ces prophètes de cour et à ces notables qui avaient tendance à caresser le roi en place dans le sens du poil.

La Sagesse rattachée directement à Yhwh.

Avec les prophètes, la notion de sagesse royale, partagée semble-t-il par toutes les cultures de cette époque va prendre un tour très spécifique chez les hébreux: la sagesse des rois est relative à l’application de la Loi, de la Torah. Les prophètes ne vont pas hésiter à ironiser de façon très mordante sur la sagesse des  rois qui s’enrichissent indument au détriment des pauvres. Ceux-ci ont délaissé la vraie sagesse qui est la « crainte de Yhwh » pour des calculs politiques retors. La violence des attaques des prophètes contre le pouvoir royal va provoquer  le déplacement du siège de la sagesse, du Roi vers Yhwh lui-même. Toute la réflexion autour de la sagesse humaine, de la connaissance et de l’intelligence des choses de la vie trouvera  sa source  non plus chez les grands, les notables mais directement en Yhwh :

« Cela aussi vient du SEIGNEUR de l’univers,
qui se montre d’un merveilleux conseil et d’un grand savoir-faire » (Es 28,29)

C’est la Loi donnée par Yhwh, à l’instar de la manne qui avait nourrie le peuple hébreu libéré d’Egypte, qui va enfanter et nourrir le peuple hébreu. Avec cette Loi, l’immanence de la sagesse humaine commune à tous va se trouver confortée par une transcendance. Cette transcendance n’est pas celle de rois ou d’empereurs d’origines divines aux désirs arbitraires pas toujours compréhensibles aux hommes, mais celle de Yhwh qui donne une Loi précise, compréhensible par tous, une Loi qui conforte l’intelligence universelle des hommes et la nourrit.
Cette sagesse hébraïque n’a pas le caractère contraignant et ennuyeux d’actes qu’il faut accomplir contre son gré, pour « se soumettre » à un dieu et lui plaire. Au contraire  dans les textes bibliques, elle est la source pour l’homme de la plénitude et de la jouissance.
Dès le livre des Proverbes, le plus ancien des livres de sagesse de la Bible, cette quête de l’intelligence, de l’exercice de la raison, apparaît comme vitale. Au chapitre 9, la Sagesse apparait comme une mère nourricière :

« Y a-t-il un homme simple ? Qu’il vienne par ici ! » A qui est dénué de sens elle dit :
« Allez, mangez de mon pain, buvez du vin que j’ai mêlé. Abandonnez la niaiserie et vous vivrez! Puis, marchez dans la voie de l’intelligence. » (Pr 9,4-6)

Le Siracide beaucoup plus tard poussera encore plus loin cette image. La sagesse est la femme que l’homme doit rechercher, avec l’image du chasseur on pourrait presque dire « draguer »,  pour en faire son épouse :

« Heureux l’homme qui s’applique à la sagesse et qui exerce son intelligence à raisonner,
qui en médite les voies dans son cœur et réfléchit sur ses secrets.
Il se lance à sa poursuite comme un chasseur, il se tient aux aguets sur son passage.
Il regarde par sa fenêtre, il écoute à sa porte.
… Il dresse sa tente auprès d’elle, il campe au séjour du bonheur.
Il place ses enfants sous son abri, sous ses rameaux il demeure.
Il est abrité par elle de la chaleur, il campe dans sa gloire »(Si 14,20)

« Celui qui craint le Seigneur agit en conséquence,
celui qui est maître de la Loi atteindra la sagesse.
Elle viendra à sa rencontre comme une mère,
comme une épouse vierge, elle l’accueillera ;
elle le nourrira du pain de l’intelligence, elle l’abreuvera de l’eau de la sagesse » (Si 15,1)

La Sagesse est la face féminine de Yhwh, elle est rattachée au bonheur, aux délices de la création :

« Ses voies (la sagesse) sont des voies délicieuses et ses sentiers sont paisibles.
L’arbre de vie c’est elle pour ceux qui la saisissent, et bienheureux ceux qui la tiennent !
Yhwh a fondé la terre par la sagesse, affermissant les cieux par la raison.
C’est par sa science que se sont ouverts les abîmes et que les nuages ont distillé la pluie. » (Pr 3,17)

La sagesse est ontologiquement liée à la « crainte de Yhwh »

« La crainte de Yhwh est le commencement de la Sagesse
et l’intelligence est la science des saints »( Pr 9,10)

C’est la sagesse, cette « crainte de Yhwh » qui nous délivrera de toute crainte :

« Si tu te couches, ce sera sans terreur; une fois couché, ton sommeil sera agréable. Ne crains pas une terreur soudaine, ni l’irruption des méchants, quand elle viendra ;
car Yhwh sera ton assurance et du piège il gardera tes pas» (Pr 3,24)

Face à l’obscurité dans laquelle vivent les corrompus, la lumière de la sagesse apporte santé et vie:

Le chemin des méchants c’est l’obscurité, ils ne savent pas sur quoi ils vont trébucher.
Mon fils, prête attention à mes paroles, tends l’oreille à mes propos.
Qu’ils ne s’éloignent pas de tes yeux ; garde-les au fond de ton cœur.
Car ils sont vie pour qui les recueille et santé pour tout son être.
Garde ton cœur en toute vigilance car de lui dépendent les limites de la vie. (Pr 4,18-23)

L’auteur des proverbes établit alors clairement l’équation, fondement de la morale : faire le mal entraîne le malheur et faire le bien entraîne le bonheur :  

« La malédiction de Yhwh est sur la maison du méchant,
mais il bénit la demeure des justes ». (Pr 3,33)

Equation  qui, nous allons le voir, va poser tout de même quelques petites difficultés !!!

Développement de la Sagesse après l’exil.

Avec l’exil à Babylone, le lien entre la sagesse et la royauté fut de fait rompu. Cette rupture ne sera pas cependant définitive, le courant messianique le restaurera dans un sens complètement renouvelé dans le contexte d’attente du roi-Messie. Par l’action du prophétisme hébraïque, la sagesse s’est découplée du pouvoir. Ce sont ces prophètes qui sont les premiers à porter les efforts de l’humanité pour séparer le politique du religieux. Cette séparation  sera de fait actée dans le judaïsme par la disparition du pouvoir royal et de la nation d’Israël après l’exil à Babylone. Le judaïsme a là ouvert une voie irréversible, même si les avancées dans ce sens seront très lentes, chaotiques, et encore inachevées aujourd’hui sur bien des points de la planète.

En Babylonie, en quelque sorte libérée de ses attaches au pouvoir, la réflexion sur la sagesse va prendre son envol. Dans l’action de la pédagogie divine, elle va progressivement prendre le relais des prophètes. On peut dire que d’une certaine façon,  les prophètes ont rompu l’emprise du pouvoir royal sur l’intelligence des individus et que la Sagesse, maintenant dans sa grande proximité avec Dieu, va nourrir l’intelligence et la raison de ceux qui la cherchent.

Il y a là une caractéristique fondamentale de ce judaïsme naissant à Babylone: la place cruciale apportée à l’étude, au développement de la raison. L’étude n’est pas présentée comme facultative, réservée à une élite intellectuelle, elle est la condition même de la vie.

La Sagesse personnalisée, est présentée comme l’intelligence créatrice, ordonnatrice de l’univers.

« Yhwh m’a engendrée, prémice de son activité, prélude à ses œuvres anciennes.
J’ai été sacrée depuis toujours, dès les origines, dès les premiers temps de la terre.
Quand les abîmes n’étaient pas, j’ai été enfantée, quand n’étaient pas les sources profondes des eaux. Avant que n’aient surgi les montagnes, avant les collines, j’ai été enfantée, alors qu’Il n’avait pas encore fait la terre et les espaces ni l’ensemble des molécules du monde. Quand Il affermit les cieux, moi, j’étais là, quand Il grava un cercle face à l’abîme,
quand Il condensa les masses nuageuses en haut
et quand les sources de l’abîme montraient leur violence ;
quand Il assigna son décret à la mer– et les eaux n’y contreviennent pas –,
quand Il traça les fondements de la terre. Je fus maître d’œuvre à son côté, objet de ses délices chaque jour, jouant en sa présence en tout temps,  jouant dans son univers terrestre ; et je trouve mes délices parmi les hommes.
Heureux qui écoute la Sagesse. Et maintenant, fils, écoutez-moi. Heureux ceux qui gardent mes voies ! Ecoutez la leçon pour être sages et ne la négligez pas. Heureux l’homme qui m’écoute, veillant tous les jours à ma porte, montant la garde à mon seuil ! Car celui qui me trouve a trouvé la vie et il a rencontré la faveur de Yhwh »  (Pr 8,22-35)

La Sagesse divine est alors identifiée à la Parole créatrice des premiers versets de la Bible :

« Je suis sortie de la bouche du Très-Haut et comme une vapeur j’ai recouvert la terre.
J’habitais dans les hauteurs du ciel et mon trône reposait sur la colonne de nuée » (Si24,3)

Cette place grandissante de la sagesse va donner, face aux prêtres institutionnels responsables du culte dans les communautés juives de Babylone, d’Alexandrie ou de Jérusalem, une influence très importante, à une nouvelle catégorie de personnes : les scribes. Ces personnages à  la confluence des deux origines de la sagesse, divine d’une part et populaire de l’autre, vont prendre en charge l’enseignement de l’écriture, de la grammaire, des mathématiques, des sciences de la nature pour former des cadres à l’administration politique et religieuse du pays. Pour étoffer le contenu de leur enseignement, ces scribes nourris de cette double origine vont puiser leur science aussi bien dans ce fond de la sagesse populaire, terrienne que dans la tradition de la sagesse royale et religieuse.
En Israël, dès l’époque des rois, ce sont des scribes qui reprennent, retravaillent le produit de ces deux traditions de la sagesse. Ce sont eux qui vont mettre en forme par écrit les traditions orales à l’origine du Pentateuque, et qui vont aussi recenser, compiler et sans doute créer de toute pièce des séries de dictons populaires. Tous ces documents leur servaient de support d’enseignement dans leur mission d’éducateur et de moraliste.
Le livre des Proverbes est le fruit de ce travail.
Avec l’exil et la chute de la royauté, sous l’influence de ces scribes, l’éducation et l’étude vont prendre une place prépondérante dans le développement de la religion juive. Au caractère essentiellement collectif de la religion hébraïque, la religion juive va s’enrichir d’une dimension d’intériorité personnelle peu présente jusque-là. La pratique religieuse va s’en trouver profondément modifiée, la prière devient plus importante que les sacrifices rituels.

« Le sacrifice des méchants est en horreur à Yhwh,
il se complaît à la prière des hommes droits. »(Pr 15,8)

La « connaissance de Yhwh », où l’intelligence personnelle est sollicitée, nourrie par l’étude des textes, la méditation et la prière, est la source et le moteur de la sagesse de l’homme.

Remise en question de la sagesse et des sages.

Cette dimension d’intériorité, cette place donnée à la réflexion individuelle ne va pas se faire sans soulever progressivement quelques difficultés. Déjà il existe un certain paradoxe dans les exhortations de l’auteur du livre des Proverbes, qui reviennent comme un refrain, d’une part à faire preuve d’intelligence et d’autre part à se méfier de la prétention de l’intelligence et de la sagesse :

« Fie-toi à Yhwh de tout ton cœur et ne t’appuie pas sur ton intelligence.
Dans toute ta conduite sache le reconnaître, et lui dirigera tes démarches.
Ne sois pas sage à tes propres yeux, crains plutôt Yhwh et détourne-toi du mal » (Pr 3,5-7)

Déjà Esaïe dénonçait ceux qui se prétendent sages :

« Malheur! A leurs propres yeux, ils sont sages, de leur point de vue,
ils sont intelligents »
(Es 5,21)
« C’est pourquoi je vais continuer à lui prodiguer des prodiges,
si bien que la sagesse des sages s’y perdra,
et que l’intelligence des intelligents se dérobera » (Es 29,15)

Y aurait-il contradiction entre la Sagesse de Yhwh et la sagesse des hommes ?
Cette crainte de Yhwh est-elle compatible avec l’effort de l’intelligence de se détacher de tous les pouvoirs, de se libérer de toute emprise ?

Certes cette emprise de la sagesse est décrite dans le livre des proverbes comme une emprise délicieuse. On sait qu’en hébreu le terme même de « connaissance » résonne avec des harmoniques sensuelles. La sagesse n’est-elle pas à l’image de cette femme de notre jeunesse décrite dans cet éloge magnifique de la fidélité amoureuse ? :

« Tes sources s’épancheraient-elles au-dehors ou tes ruisseaux dans les rues ?
Qu’elles soient pour toi seul et pas pour des étrangers avec toi.
Que ta fontaine soit bénie et jouis de la femme de ta jeunesse,
biche amoureuse et gracieuse gazelle.
Que ses seins te comblent en tout temps. Enivre-toi toujours de son amour.
Pourquoi t’enivrerais-tu, mon fils, d’une dévergondée
et embrasserais-tu le sein d’une étrangère ?
Oui, la conduite de chacun tombe sous les yeux de Yhwh,
et il examine tous ses sentiers. » (Pr 5,15)

Malgré tout, l’expérience de la vie ne laisse pas que des traces aussi idylliques. Bien sûr  les prophètes ont justifié les malheurs du peuple par leur abandon de la Parole de Yhwh, mais nous avons vu avec le livre des Lamentations que ces malheurs ont été perçus comme  franchement disproportionnés.
L’intelligence humaine, son savoir expérimental enrichi par les échanges avec les autres civilisations va atteindre une forme de plus en plus élaborée, et cet humanisme naissant va buter sur de grandes difficultés dans la compréhension de la Parole divine.
D’autre part sur un plan religieux, après l’exil, la nature de la relation de l’homme avec Yhwh va évoluer vers une prise en compte beaucoup plus grande de la dimension individuelle et personnelle de cette relation. L’alliance collective faite au Sinaï  au peuple hébreu est devenue, surtout après l’exil, une alliance que chaque juif doit entretenir dans une relation personnelle avec Yhwh. La période post exilique va voir l’essor de la piété religieuse. Mais dans ce cadre le bonheur promis à ceux qui « craignent » Yhwh ne semble pas toujours au rendez-vous. Les impies ne vivent-ils pas dans l’opulence ? L’homme pieux ne fait-il pas l’objet des sarcasmes des plus forts ?
Toute la logique de la rétribution des mérites de l’homme pieux semble bien être contredite par l’expérience de la mort et de la souffrance.

Deux livres de la Bible, du nom d’un homme très pieux Job pour l’un, et très sage Qohelet   pour l’autre, vont se faire l’écho de la colère de l’incompréhension chez le premier et de la perplexité résignée chez le second, face à une sagesse divine perçue comme injuste, incohérente et sans bénéfice pour l’homme. Ils déstabilisent le bel édifice traditionnel de la Sagesse donnée par le livre des Proverbes suivi quelques siècles plus tard  par le Siracide et enfin par La Sagesse.

L’écho de ces deux œuvres littéraires majeures, Job et Qohelet, est encore très perceptibles  de nos jours, tant les grands noms de  la littérature universelle classiques ou modernes les ont cités ou s’en sont inspirés.