L’auteur du livre de la Sagesse est inconnu. Son titre Sagesse de Salomon relève d’un artifice, la pseudépigraphie, pratique courante pour donner du poids à un écrit.
L’auteur, pétri de philosophie grecque, utilise les textes bibliques dans la version de la septante. Il est probablement issu du milieu d’Alexandrie autour des années 30 avant J.-C. Postérieur de plus d’un siècle au Siracide, il cherche à répondre à la question existentielle de la mort et du mal et à éclaircir la question connexe de la rétribution restée en suspens.
Le livre est composé de trois parties bien distinctes: la première (Sg 1-6) est consacrée à la question de la mort et de la souffrance, la seconde (Sg 7-9) est un hymne à la sagesse et la dernière (Sg 10-19) est axée sur l’histoire d’Israël pour comprendre le projet divin.
La question de la mort et de la souffrance
L’auteur affirme clairement dès le début du livre : Dieu, lui, n’a pas fait la mort et il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Car il a créé tous les êtres pour qu’ils subsistent (Sg 1,13).
Il reprend ainsi le prophète Ezéchiel: Est-ce que vraiment je prendrais plaisir à la mort du méchant – oracle de Yhwh Dieu – et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de ses chemins et qu’il vive ? (Ez 18,23)
Plus tard, Jésus réaffirmera explicitement ce projet: «je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance» (Jn 10,10b).
Pourtant au regard des hommes, c’est moins évident.
Elle est courte et triste notre vie ; il n’y a pas de remède quand l’homme touche à sa fin (Sg 2,1).
Notre nom sera oublié avec le temps et personne ne se rappellera nos actions.
Notre vie aura passé comme un nuage, sans plus de traces (Sg 2,4).
Face à cette absence d’horizon, à l’instar de la pensée d’Epicure, l’homme se replie sur les plaisirs immédiats. Eh bien, allons ! Jouissons des biens présents et profitons de la création comme du temps de la jeunesse, avec ardeur. Du meilleur vin et de parfum enivrons-nous, ne laissons pas échapper les premières fleurs du printemps (Sg 2, 6).
Dans cette logique, l’homme écarte tout ce qui s’oppose au plaisir et à la jouissance. Opprimons le pauvre, qui pourtant est juste, n’épargnons pas la veuve et n’ayons pas égard aux cheveux blancs du vieillard. Mais que pour nous la force soit la norme du droit, car la faiblesse s’avère inutile (Sg 2,10).
Il en vient ainsi à développer une franche hostilité contre ceux qui maintiennent malgré tout, une grande fidélité à la Loi.
« Traquons le juste : il nous gêne, s’oppose à nos actions, nous reproche nos manquements à la Loi et nous accuse d’être infidèles à notre éducation. Il déclare posséder la connaissance de Dieu et il se nomme enfant du Seigneur » (Sg 2,12-13).
Cette hostilité grandira jusqu’à prendre des formes extrèmes, elle s’exprimera par la moquerie, la torture et enfin la mise à mort.
Mettons-le à l’épreuve par l’outrage et la torture pour juger de sa sérénité et apprécier son endurance. Condamnons-le à une mort honteuse, puisque, selon ses dires, une intervention divine aura lieu en sa faveur (Sg 2,19-20).
L’auteur reprend ainsi le célèbre passage d’Esaïe sur le serviteur souffrant et le récit de la passion du Christ fait référence implicitement à ce chapitre 2 de la Sagesse, en particulier dans l’évangile de Matthieu (Mt 27,43).
A partir de cette mise à mort du juste, à l’instar de la vision apocalyptique du livre de Daniel (Dn 12,2), l’auteur porte un regard nouveau sur la mort.
Les âmes des justes, elles, sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra plus.
Aux yeux des insensés, ils passèrent pour morts, et leur départ sembla un désastre, leur éloignement, une catastrophe (Sg 3,1-3a).
A noter l’usage du mot âme (psuché en grec) : ce terme, même s’il est rare, n’est pas totalement inconnu dans la Bible, il est utilisé pour traduire le mot hébreu nepes, organe de la respiration, le souffle. Ici, l’auteur s’inspire de la distinction corps-âme de la philosophie grecque, pour introduire l’idée d’immortalité.
Pourtant ils sont dans la paix. Même si, selon les hommes, ils ont été châtiés, leur espérance était pleine d’immortalité (Sg 3,4).
Il justifie la présence de la souffrance comme un outil de purification.
Après de légères corrections, ils recevront de grands bienfaits.
Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui ;
comme l’or au creuset, il les a épurés, (…).
Au temps de l’intervention de Dieu, ils resplendiront,
ils courront comme des étincelles à travers le chaume (Sg 3,5-7).
Cette traversée des épreuves dans la confiance persévérante dans l’amour de Yhwh ouvre la porte de l’immortalité.
(…) Ceux qui se confient en lui comprendront la vérité,
ceux qui restent fermes dans l’amour demeureront auprès de lui.
Car il y a grâce et miséricorde pour ses élus (Sg 3, 9).
Le mystère de la mort du sage sera levé.
Les gens ont vu et n’ont pas compris, ils ne se sont pas mis dans l’esprit ce mystère : qu’il y a grâce et miséricorde pour ses élus, et qu’il interviendra en faveur de ses saints (Sg 4,14b-15).
C’est toute la perception de la mort qui est inversée, la mort du juste donne la vie et la longue vie de l’injuste, la mort.
La mort du juste condamne la survie des impies,et la jeunesse tôt parachevée, la longue vieillesse de l’injuste. Ils verront donc la mort du sage,sans comprendre ce qu’a voulu pour lui le Seigneur et pourquoi il l’a mis en sûreté. Ils verront et n’auront que mépris, mais le Seigneur se rira d’eux (Sg 4,16-18).
Le juste sera intronisé dans la royauté céleste.
Alors le juste se tiendra debout, avec une belle assurance, face à ceux qui l’opprimèrent et qui méprisaient ses efforts (Sg 5,1).
Les justes vivent pour toujours ;leur salaire dépend du Seigneur, le Très-Haut prend soin d’eux. Aussi recevront-ils la royauté splendide et le diadème magnifique de la main du Seigneur (Sg 5,15-16a).
Sur cette terre, le juste est un combattant, il doit en revêtir tous les attributs, cuirasse, casque, bouclier, épée. Son combat pour la justice prend une dimension cosmique.
Comme cuirasse, il revêtira la justice, comme casque, il mettra le jugement sans appel. Il prendra sa sainteté invincible pour bouclier, en guise d’épée, il affûtera sa colère inflexible et l’univers viendra combattre avec lui contre les insensés. Tels des traits bien ajustés, les éclairs partiront (Sg 5,18-20).
Dans ce combat, les puissants sont particulièrement menacés et s’ils veulent éviter le jugement ils doivent se mettre à l’école de la Sagesse.
De façon terrible et soudaine, il surgira devant vous,car un jugement rigoureux s’exerce contre les grands. Le petit, lui, est excusable et digne de pitié, mais les puissants seront examinés avec vigueur. Le souverain de tous ne reculera devant personne et ne tiendra pas compte de la grandeur : il a créé le petit comme le grand et sa providence est la même pour tous. Mais aux forts une dure enquête est réservée. C’est donc à vous, ô princes, que vont mes paroles, afin que vous appreniez la Sagesse et ne trébuchiez pas (Sg 6,5-9).
Eloge de la vertu
La deuxième partie du livre est un hymne à la Sagesse.
L’auteur reprend à son compte les composantes de la vertu selon la philosophie : la prudence, la justice, le courage.
Aime-t-on la rectitude ? Les vertus sont le fruit de ses travaux,
car elle enseigne modération et prudence, justice et courage,
et il n’est rien de plus utile aux hommes dans la vie (Sg 8,7).
Il s’inscrit pourtant clairement dans le cadre de la révélation juive. Comme le Siracide, il reprend l’image féminine de la Sagesse.
C’est elle que j’ai aimée et recherchée dès ma jeunesse, j’ai cherché à en faire mon épouse et je suis devenu l’amant de sa beauté. (…) Et si la richesse est un bien désirable dans la vie,
quoi de plus riche que la Sagesse, l’auteur de toutes choses ? (Sg 8,2-5)
La Sagesse n’est pas un propriété de l’homme, elle est un don de Dieu. La reconnaissance de ce don est signe d’intelligence, elle permet d’éviter la prétention d’être sage, elle protège de l’hubris.
Pourtant je savais que je n’obtiendrais pas la sagesse autrement que par un don de Dieu – et reconnaître de qui dépend un bienfait, c’était encore une preuve de discernement – (Sg 8,21)
L’auteur va plus loin, il associe la Sagesse à une personne divine présente à la création du monde.
Près de toi se tient la Sagesse qui connaît tes œuvres, et qui était présente lorsque tu créais le monde (Sg 9,9a) .
La Sagesse est l’Esprit de Dieu, inaccessible à l’homme mais Dieu veut la communiquer à l’homme.
Déjà nous avons peine à nous représenter les réalités terrestres, même ce qui est à notre portée, nous le découvrons avec effort. Mais les réalités célestes, qui les a explorées ? Et ta volonté, qui donc l’aurait connue, si tu n’avais donné toi-même la Sagesse et envoyé d’en haut ton saint Esprit ? (Sg 9,16-17)
Nous pouvons voir là les prémices de la doctrine chrétienne de la trinité.
Sens de l’Histoire
La dernière partie du livre souligne un élément très important dans la quête de la sagesse, le sens à tirer de l’Histoire. L’auteur se démarque ici nettement de la philosophie grecque pour laquelle le temps est une simple contingence cyclique. On peut même voir dans ce livre un lointain précurseur de la phénoménologie contemporaine pour laquelle l’Histoire fait partie des phénomènes que le philosophe doit observer pour comprendre l’existence. Il tire, de sa longue méditation sur les événements de la sortie d’Egypte (Sg 11,4 et Sg 19,22), des leçons fondamentales pour l’homme.
Il a cette phrase un peu énigmatique et paradoxale sur un phénomène qu’il a observé et qui donne partiellement l’explication du mal et de la souffrance. Ce sont des avertissements et un appel à changer de cap : Ainsi les réalités mêmes qui avaient servi à châtier leurs ennemis devinrent pour eux un bienfait dans leur détresse (Sg 11,5).
Les mêmes périls, les mêmes souffrances qui ont apporté la mort aux ennemis de Yhwh, ont servi de leçons à son peuple et sont devenus chez eux source de vie.
Au lieu du jaillissement continu d’un fleuve troublé par un sang boueux en châtiment du décret infanticide, tu leur as donné à eux, contre tout espoir, une eau abondante, après leur avoir montré par la soif subie alors comment tu avais puni leurs adversaires. En effet, par cette épreuve, bien que corrigés avec miséricorde, ils surent quels tourments subissaient les impies jugés avec colère. Les tiens, tu les as mis à l’épreuve en père qui avertit (Sg 11,6-10a).
Dans cette optique du mal, le pardon divin apparaît comme le cœur même de la sagesse.
Mais tu as pitié de tous parce que tu peux tout, et tu détournes les yeux des péchés des hommes pour les amener au repentir. Tu aimes tous les êtres et ne détestes aucune de tes œuvres : aurais-tu haï l’une d’elles, tu ne l’aurais pas créée (Sg 11,23-24).
Cette perception positive de la souffrance et du mal comme outil de correction pour donner à l’homme la possibilité de changer de trajectoire ou du moins de se purifier pour accéder au divin ne répond pas pleinement à la question, elle peut même devenir insupportable comme nous l’avons vu avec Job, avec le texte d’Esaïe sur le serviteur souffrant et comme nous le verrons avec les souffrances du Christ, parfaitement pur et innocent.
Il faudra attendre la révélation christique pour donner aux hommes un sens plus fécond de la souffrance, fondé non plus seulement sur l’idée de correction et le sentiment de culpabilité, mais sur la communion avec ceux qui souffrent.