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Introduction

Le livre de Daniel, dont l’origine est mal connue, est inclassable. Dans la Septante, le livre est rangé avec les livres Prophétiques où il succède à Ezéchiel, alors que dans la Bible hébraïque, il fait partie des Autres Écrits

La version de Daniel dans la Bible hébraïque est écrite en partie en hébreu et en partie en araméen; celle de la Septante, écrite en grec, comporte des récits supplémentaires, telle l’histoire célèbre de Susanne (Dn grec 13).

 

Ce livre, centré sur le personnage de Daniel, est composé de deux parties. 

La première est une suite d’épisodes dans lesquels la capacité de Daniel à interpréter les songes des rois l’introduit à la cour du roi Nabuchodonosor ce qui provoque l’inimitié de courtisans jaloux. 

Dans la seconde partie, c’est Daniel lui-même qui a des visions, et des anges lui en révèlent le sens. 

 

Ces récits à connotation légendaire ont une finalité didactique : la défense du monothéisme et le soutien au peuple juif qui doit faire face à l’adversité de civilisations beaucoup plus puissantes. 

La place prépondérante des visions et des anges sont caractéristiques d’un genre littéraire, dit apocalyptique (apocalupsis = dévoilement), dont le monde oriental était très friand à partir de l’époque perse. Le but de cette littérature est de permettre d’entrevoir, à travers une profusion de symboles, des réalités invisibles. La dimension ésotérique de ce type d’écrits peu familier au lecteur d’aujourd’hui, rend la lecture de certains passages du livre assez difficile. Elle nécessite un travail d’interprétation des images symboliques utilisées, en évitant le piège d’une lecture trop littérale. Les prophètes EsaÏe, Ezéchiel et Zacharie ont déjà utilisé dans certains passages ce procédé littéraire pour évoquer l’instauration définitive du règne de Dieu. 

Par-là, il y a bien une certaine continuité avec les livres prophétiques, cependant le héros du livre, Daniel, n’a pas l’assise historique des prophètes. Il s’agit d’un personnage de fiction derrière lequel se cache l’auteur visionnaire du livre. Dans la partie « récits » il a pu s’inspirer de l’histoire réelle d’individus remarquables qui ont résisté avec héroïsme à la volonté des autorités dominantes, perses puis grecques, d’éradiquer la religion juive . 

Les récits légendaires didactiques

Daniel est présenté comme un jeune homme de la tribu de Juda, déporté à Babylone, qui est sélectionné avec trois autres de ses congénères par Nabuchodonosor pour être éduqués à la cour dans l’objectif de servir le roi (Dn 1,4-6).
Intégrés à la cour, Daniel et ses trois compagnons marquent cependant leur distance avec la culture perse. Ils obtiennent la dispense de manger de la viande et de boire du vin et signifient ainsi leur fidélité à la Loi.  

Le songe de Nabuchodonosor et visions de Daniel  

Nabuchodonosor fait un rêve (Dn 2) qui le laisse dans un état de grande anxiété. Il convoque tous les mages de sa cour leur enjoignant de décrire son rêve et de lui en révéler le sens. Bien sûr, personne ne peut découvrir le contenu de son rêve et encore moins en donner le sens. Avant que Nabuchodonosor ne mette à exécution sa menace de condamner à mort ces mages pour incapacité, le jeune Daniel intervient et lui décrit son rêve..

Toi donc, ô roi, tu regardais ; et voici une grande statue. Cette statue était très grande, et sa splendeur, extraordinaire. Elle se dressait devant toi, et son aspect était terrifiant.  Cette statue avait la tête d’or fin, la poitrine et les bras d’argent, le ventre et les cuisses de bronze,  les jambes de fer, les pieds en partie de fer et en partie de céramique. Tu regardais, lorsqu’une pierre se détacha sans l’intermédiaire d’aucune main ; elle frappa la statue sur ses pieds de fer et de céramique, et elle les pulvérisa. Alors furent pulvérisés ensemble le fer, la céramique, le bronze, l’argent et l’or ; ils devinrent comme la bale sortant des aires en été : le vent les emporta et on n’en trouva plus aucune trace. Quant à la pierre qui avait frappé la statue, elle devint une grande montagne et remplit toute la terre (Dn 2, 31-35).

 

 Daniel lui donne alors l’interprétation de son rêve.

(…) C’est toi qui es la tête d’or. Après toi s’élèvera un autre royaume, inférieur à toi ; puis un autre royaume, un troisième, celui de bronze, qui dominera sur toute la terre. Puis adviendra un quatrième royaume, dur comme le fer : de même que le fer pulvérise et brise tout, comme le fer qui broie, il pulvérisera et broiera tous ceux-ci. Tu as vu les pieds et les doigts en partie de céramique de potier et en partie de fer : ce sera un royaume partagé (Dn 2, 38-41).

 

Après son empire (la tête d’or), d’autres empires lui succéderont :  les Mèdes (l’argent), la Perse (le bronze), enfin le macédonien Alexandre le Grand (le fer) qui envahit toute la région en 332. Ce dernier royaume sera effectivement partagé à la mort d’Alexandre en 323 entre Lagides et Séleucides.

Il y aura en lui de la solidité du fer, de même que tu as vu le fer mêlé à la céramique d’argile. Quant aux doigts de pieds en partie de fer et en partie de céramique : pour une part le royaume sera fort, et pour une part il sera fragile (Dn 2,41-42).

Ce récit a donné naissance à l’expression « colosse au pied d’argile ».

Nabuchodonosor est fort impressionné par Daniel et le garde à ses côtés. Quant aux  trois amis de Daniel, ils sont nommés à des postes de gouverneur.
Alors le roi éleva Daniel, lui remit beaucoup de grands cadeaux, lui donna autorité sur toute la province de Babylone et en fit le surintendant de tous les sages de Babylone (Dn 2,48).

Les trois jeunes gens dans la fournaise 

A l’occasion de l’inauguration d’une statue en or à la gloire de Nabuchodonosor (Dn 3), la population est invitée à se prosterner devant la statue.
Quiconque ne se prosternera pas et n’adorera pas, sera jeté au moment même au milieu de la fournaise de feu ardent (Dn 3,5-6). 

Les trois jeunes compagnons de Daniel sont dénoncés comme ne s’étant pas prosternés devant la statue par des fonctionnaires jaloux de leur influence. L’empereur les supplie d’obéir car il est le seul à pouvoir les sauver.

« Si vous ne l’adorez pas, au moment même vous serez jetés au milieu de la fournaise de feu ardent, et quel est le dieu qui vous délivrera de ma main ? » (Dn 3,15)

Les trois jeunes gens ne lâchent rien.
Shadrak, Méshak et Abed-Négo prirent la parole et dirent au roi : « O Nabuchodonosor ! Nous n’avons pas besoin de te répondre quoi que ce soit à ce sujet. Si notre Dieu que nous servons peut nous délivrer, qu’il nous délivre de la fournaise de feu ardent et de ta main, ô roi !  Même s’il ne le fait pas, sache bien, ô roi, que nous ne servirons pas tes dieux et que nous n’adorerons pas la statue d’or que tu as dressée » (Dn 3,16-18).

Furieux devant une telle résistance, Nabuchodonosor les fait jeter immédiatement dans une fournaise chauffée sept fois plus qu’on avait coutume de la chauffer (v. 19), à tel point que les hommes qui les ont jetés ligotés dans le feu ardent sont eux-mêmes tués par la flamme. A son lever le roi entend des chants venant de la fournaise, il s’approche et voit les trois hommes marcher au milieu des flammes, accompagnés d’un ange. 
« Voici que je vois quatre hommes déliés qui marchent au milieu du feu sans qu’il y ait sur eux aucune blessure, et l’aspect du quatrième ressemble à celui d’un fils des dieux » (Dn 3,25).

Nabuchodonosor prend alors le parti du Dieu de ces jeunes gens : « Quant à moi, j’ai donné ordre que quiconque, de tout peuple, nation et langue, parlerait avec insolence contre le Dieu de Shadrak, Méshak et Abed-Négo, soit mis en pièces, et sa maison transformée en cloaque ; car il n’y a pas d’autre Dieu qui puisse délivrer ainsi » (Dn 3,29).

Songe du grand arbre 

Plus tard, Nabuchodonosor fait encore un rêve effrayant (Dn 4). 

Moi Nabuchodonosor, j’étais dans ma maison, florissant dans mon palais. Je vis un songe, et il m’effrayait ; des rêveries sur ma couche, et les visions de mon esprit me tourmentaient. Je donnai ordre d’introduire en ma présence tous les sages de Babylone, afin qu’ils me fissent connaître l’interprétation du songe (…). A la fin entra Daniel (Dn 4,1-5a).

Le roi demande à Daniel de lui interpréter une nouvelle fois la vision de son songe : « Dans les visions de mon esprit sur ma couche, je regardais, et voici un arbre, au milieu de la terre, dont la hauteur était immense. L’arbre devint grand et fort : sa hauteur parvenait jusqu’au ciel, et sa vue, jusqu’aux extrémités de la terre. Son feuillage était beau et ses fruits abondants: il y avait en lui de la nourriture pour tous. Sous lui s’abritaient les bêtes des champs, dans ses ramures demeuraient les oiseaux du ciel, et de lui se nourrissait toute chair » (Dn 4,7). Un intervenant divin donne alors l’ordre d’abattre cet arbre tout en prenant soin de garder la souche. “Abattez l’arbre et coupez ses ramures ! Dépouillez son feuillage et éparpillez ses fruits ! Que les bêtes fuient de sous lui, et les oiseaux, de ses ramures ! Mais la souche de ses racines, laissez-la dans la terre, (…).

Puis sept périodes passeront sur lui. La chose se fait par décret des Vigilants, et l’affaire par ordre des Saints, afin que les vivants reconnaissent que le Très-Haut est maître de la royauté des hommes, qu’il la donne à qui il veut et y élève le plus humble des hommes » (Dn 4,11-14).

 

Daniel est terrifié à l’idée de donner au roi l’interprétation de son rêve, il connaît trop bien les failles de sa justice et son manque de considération pour les pauvres.
« L’arbre que tu as vu (…) : c’est toi, ô roi ! » (Dn 4,17.19a).

Les sept années sont le répit donné au roi pour changer et rétablir la justice.

« C’est pourquoi, ô roi ! que mon conseil t’agrée ! Rachète tes péchés par la justice et tes fautes en ayant pitié des pauvres ! Peut-être y aura-t-il une prolongation pour ta tranquillité ! » (Dn 4,24)

Nabuchodonosor est bien destitué mais, surprenant pour un autocrate, il reconnaît alors la souveraineté de l’éternel Vivant et le glorifie « car toutes ses œuvres sont vérité et ses voies sont justice, et il peut abaisser ceux qui se conduisent avec orgueil» (Dn 4,34b).

Aussitôt il est rétabli sur le trône de son royaume. 

Ecritures sur le mur 

Le successeur de Nabuchodonosor, Balthasar, lors d’une soirée bien arrosée avec ses courtisans où ils firent usage des précieux ustensiles pris dans le temple de Jérusalem, voit apparaître une main mystérieuse qui écrit sur le mur (Dn 5). Terrifié, il veut comprendre les inscriptions, mais aucun des sages ne peut les lire et les interpréter. Sa mère se souvenant de Daniel, lui dit de le faire venir. Balthasar promet à Daniel de le revêtir d’or et de pourpre s’il décode ces inscriptions. Daniel refuse ses cadeaux et lui reproche de ne pas avoir tiré les leçons d’humilité données à son père.

« Lorsque son cœur s’éleva et que son esprit s’endurcit jusqu’à l’arrogance, il fut déposé de son trône royal et on lui retira sa gloire (…). Or toi, son fils Balthasar, tu n’as pas humilié ton cœur, bien que tu aies su tout cela : tu t’es dressé contre le Seigneur du ciel ; les ustensiles de sa Maison ont été apportés en ta présence, et toi-même et tes dignitaires, tes concubines et tes femmes de service, vous buvez du vin dedans. Tu as loué les dieux d’argent et d’or, de bronze, de fer, de bois et de pierre, qui ne voient ni n’entendent ni ne connaissent; et le Dieu qui a dans sa main ton souffle et à qui sont toutes tes voies, tu ne l’as pas honoré ! » (Dn 5,20-23a)

Puis il lit l’inscription : MENÉ MENÉ TÉQEL OU-PARSÎN.
Quant à l’interprétation la voici : MENÉ, “Compté” : Dieu a fait le compte de ton règne et il y a mis fin.  TÉQEL, “Pesé” : Tu as été pesé dans la balance et trouvé insuffisant.  PERÈS, “Divisé” : Ton royaume a été divisé, et il a été donné aux Mèdes et aux Perses » (Dn 5,26-28).

C’est à cette époque qu’est né à Babylone le système de comptabilité qui a contribué à asseoir sa domination, aussi peut-on voir une certaine ironie dans ce récit où Dieu fait les comptes et les trouve mauvais. Balthasar est très impressionné.

Alors Balthasar ordonna de revêtir Daniel de la pourpre, de lui mettre le collier d’or au cou, et de proclamer à son sujet qu’il commanderait en triumvir dans le royaume. Cette nuit-là même, Balthasar, le roi chaldéen, fut tué (Dn 5,29-30). 

Et Darius le Mède reçut la royauté, à l’âge de soixante-deux ans (Dn 6,1).

Darius prit le pouvoir à Babylone.

Daniel dans la fosse aux lions

Sous le règne de Darius (Dn 6), Daniel est devenu un personnage très important, car il avait en lui un esprit extraordinaire, et le roi projeta de l’établir sur tout le royaume (Dn 6,4).

Il suscite beaucoup de jalousies de la part des courtisans du roi. Connaissant la foi de Daniel, ces derniers demandent à Darius de publier un décret qui interdit de prier un autre dieu que Darius. 

Lorsque Daniel sut que le rescrit avait été signé, il entra dans sa maison. Celle-ci avait des fenêtres qui s’ouvraient, à l’étage supérieur, en direction de Jérusalem. Trois fois par jour, il se mettait donc à genoux, et il priait et louait en présence de son Dieu, comme il le faisait auparavant. Alors ces hommes se précipitèrent et trouvèrent Daniel qui priait et suppliait en présence de son Dieu (Dn 6,11-12). 

Darius est alors obligé de jeter Daniel dans la fosse aux lions, mais un ange intervient pour fermer la gueule des lions. Darius voyant cela sort Daniel de la fosse et y jette les intrigants avec leur famille qui eux furent immédiatement dévorés. Darius écrivit aux gens qui demeurent sur toute la terre (…) pour célébrer le Dieu de Daniel car c’est lui le Dieu vivant, et il subsiste à jamais (Dn 6,27).

Les Apocalypses 

Dans la seconde partie du livre (Dn 7-12), on retrouve des textes que l’on qualifie d’apocalypses. Ce sont des visions de Daniel qui décrivent, à l’aide de symboles empruntés aux écrits extra bibliques de l’époque, le sens d’événements historiques dramatiques qui prennent une dimension cosmique. Ce sens est révélé par des intermédiaires divins afin de conforter l’espérance des fidèles de Yhwh et de les aider à traverser toutes sortes de tribulations en faisant preuve d’une endurance patiente et durable.  

Vision de quatre bêtes et du Fils d’Homme  

Une nouvelle vision illustre avec d’autres symboles le processus de l’effondrement successif des empires décrit au chapitre 2.
La « Grande Mer » (Dn 7,2) est le symbole terrifiant du Mal qui menace de destruction le cosmos. D’elle jaillissent successivement quatre bêtes plus terrifiantes les unes que les autres avec parfois certains caractères humains : un lion avec des ailes d’aigle qui se tient debout comme un homme (Nabuchodonosor), un ours qui dévore tout (Mèdes), un léopard à quatre têtes et des ailes d’oiseau (Perse) et enfin voici une quatrième bête (Alexandre le grand), redoutable, terrifiante, extrêmement vigoureuse ; elle avait de monstrueuses dents de fer ; elle mangeait, déchiquetait et foulait le reste aux pieds ; elle différait de toutes les bêtes qui l’avaient précédée, et elle avait dix cornes. J’examinais les cornes et voilà qu’entre elles s’éleva une autre petite corne ; trois des cornes précédentes furent arrachées devant elle. Et voilà que sur cette corne il y avait des yeux, comme des yeux d’homme, et une bouche qui disait des choses monstrueuses (Dn 7,7-8).

C’est alors qu’apparaît un vieillard (Dieu) assis sur un trône au milieu d’une très nombreuse assemblée. Son trône était en flammes de feu, avec des roues en feu ardent. Un fleuve de feu coulait et sortait de devant lui. (…) dix mille myriades se tenaient devant lui (Dn 7,9-10).

 

La quatrième bête est tuée dans l’embrasement tandis que les trois précédentes perdent leur souveraineté mais bénéficient d’une prolongation de vie jusqu’à une date déterminée. Un nouveau personnage qualifié de Fils d’Homme fait alors son apparition.
Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’Homme ; il arriva jusqu’au Vieillard, et on le fit approcher en sa présence. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera jamais détruite (Dn 7,13-14).

Daniel est très troublé par ces visions et demande des explications à une personne de l’assemblée. L’ange lui répond que ces bêtes qui s’entredévorent représentent la succession des empires. Ainsi la dernière bête représenterait Alexandre le Grand et les dix cornes, les dix rois de la dynastie des Séleucides jusqu’à l’apparition d’une petite corne avec des yeux d’humains, monstruosité que l’on a pu associer à Antiochus IV Epiphane et son décret imposant le culte de Zeus dans le temple de Jérusalem. 

Puis le tribunal siégera, et on fera cesser sa souveraineté, pour l’anéantir et le perdre définitivement. Quant à la royauté, la souveraineté et la grandeur de tous les royaumes qu’il y a sous tous les cieux, elles ont été données au peuple des Saints du Très-Haut : Sa royauté est une royauté éternelle; toutes les souverainetés le serviront et lui obéiront (Dn 7,26-27).

Daniel sort de ces visions physiquement atteint, mais garde profondément dans son cœur l’idée de la disparition des empires et l’avènement d’une souveraineté nouvelle donnée à un peuple nouveau. 

Vision du Bélier et du Bouc 

Deux ans après, Daniel eut une autre vision qui conforte la précédente. Inspirée du bestiaire mythique, elle décrit un combat entre un Bélier et un Bouc (Dn 8). Le Bélier fit beaucoup de ravages sur terre, mais il finit par être abattu par un Bouc qui possédait une grande corne, symbole de force et de pouvoir.
La Corne jeta la Vérité par terre, et dans ce qu’elle entreprit, elle réussit. J’entendis alors un Saint parler. Et un Saint dit à celui qui parlait : « Jusques à quand cette vision du sacrifice perpétuel, de la perversité dévastatrice, du sanctuaire livré et de l’Armée foulée aux pieds ? »  Il me dit : « Jusqu’à deux mille trois cents soirs et matins ; puis le sanctuaire sera rétabli dans ses droits »  (Dn 8,12b-14).

Le Bouc qui jette la Vérité par terre est une allusion au décret d’Antiochus Epiphane sur le temple de Jérusalem en 167. Le chiffre de deux mille trois cents soirs et matins, soit mille cent cinquante jours, est à rapprocher des années d’occupation du Temple qui fut libéré et purifié en 164, moins de quatre ans plus tard. 

C’est l’ange Gabriel qui explique la vision à Daniel, tombé en léthargie, la face contre terre:

« Gabriel, fais comprendre la vision à celui-ci ! » Il vint près de l’endroit où je me tenais ; et tandis qu’il venait, je fus terrifié et me jetai face contre terre. Il me dit : « Comprends, fils d’homme, car la vision est pour le temps de la fin » (Dn 8,16b-17).

Les soixante-dix septénaires d’années 

Dans ce chapitre 9, Daniel consulte le livre du prophète Jérémie et cherche à comprendre le sens des soixante-dix ans après la destruction de Jérusalem dont il est question dans ce livre.

Ce pays tout entier deviendra un champ de ruines, une étendue désolée, et toutes ces nations serviront le roi de Babylone pendant soixante-dix ans. Mais quand les soixante-dix ans seront révolus, je sévirai contre le roi de Babylone et contre cette nation-là – oracle de Yhwh –, contre leurs crimes, contre le pays des Chaldéens : je le transformerai pour toujours en étendue désolée (Jr 25,11-12).

Il médite sur cette prophétie et dans une longue prière à Yhwh, il reprend toute l’histoire d’Israël et de Jérusalem. Il reconnaît les torts du peuple, affiche sa honte et demande miséricorde. C’est alors que sa prière est interrompue.

Je parlais encore en prière, quand Gabriel, cet homme que j’avais vu précédemment dans la vision, s’approcha de moi d’un vol rapide au moment de l’oblation du soir. Il m’instruisit et me dit : « Daniel, maintenant je suis sorti pour te conférer l’intelligence (…).

Il a été fixé soixante-dix septénaires sur ton peuple et sur ta ville sainte, pour faire cesser la perversité et mettre un terme au péché, pour absoudre la faute et amener la justice éternelle, pour sceller vision et prophète et pour oindre un Saint des Saints » (Dn 9,21-24).

Alors que Daniel se posait la question des soixante-dix ans, c’est-à-dire dix septénaires, après la destruction de Jérusalem et la déportation à Babylone, l’ange Gabriel élargit son champ de vision à soixante-dix septénaires (soit 490 ans après l’année 585) à l’issue desquels régnera la justice éternelle apportée par un messie.

Il y aura sept sépténaires pour reconstruire le temple. Sept septénaires est une période symbolique, le jubilaire, au terme de laquelle advient après la faute, un temps de grâce. Il est peut-être fait allusion à la reconstruction du temple, autour de 535.

Et après il y aura soixante-deux septénaires (434 ans), de reconstruction de la cité mais dans la détresse des temps (Dn 9,25).

Toute cette période sera donc difficile avec l’arrivée d’un dévastateur (Antiochus IV en 167) qui sera à son tour anéanti. Finalement à l’aube du dernier siècle avant J.-C., un état israëlien sera restauré.   

La vision finale 

Sous le règne de Darius le Mède, après une retraite de trois semaines, Daniel se trouvait au bord du Tigre avec des compagnons (Dn 10-12). Il eût encore une vision qui le laisse dans un état second. 

Moi, Daniel, je vis seul l’apparition ; les gens qui étaient avec moi ne virent pas l’apparition, mais une grande terreur tomba sur eux, et ils s’enfuirent en se cachant. Je restai donc seul et regardai cette grande apparition. Il ne me resta aucune force ; mes traits bouleversés se décomposèrent et je ne conservai aucune force. J’entendis le son de ses paroles ; et lorsque j’entendis le son de ses paroles, je tombai en léthargie sur ma face, la face contre terre (Dn 10, 7-9)

Un ange soutenu par l’archange Michel vient le réconforter. 

Il me dit : « Ne crains pas, Daniel, car depuis le premier jour où tu as eu à cœur de comprendre et de t’humilier devant ton Dieu, tes paroles ont été entendues, et c’est à cause de tes paroles que je suis venu. Le Prince du royaume de Perse s’est opposé à moi pendant vingt et un jours, mais voici que Michel, l’un des Princes de premier rang, est venu à mon aide, et je suis resté là auprès des rois de Perse. Je suis venu te faire comprendre ce qui arrivera à ton peuple dans l’avenir, car il y a encore une vision pour ces jours-là » (Dn 10,12-14).

Alors apparaît comme un Fils d’homme qui lui annonce l’enchaînement des événements politiques futurs. Trois rois Perses se succéderont, puis le quatrième amassera une richesse plus grande que celle de tous, et lorsqu’il sera fort de sa richesse, il mettra tout en branle contre le royaume de Grèce (Dn 11,2). 

Il est fait état ici des combats entre la Perse et la Macédoine avant l’invasion d’Alexandre le Grand. Ce dernier, quand il sera bien établi, son royaume sera brisé et partagé aux quatre vents du ciel, sans revenir à ses descendants ni avoir la domination qu’il avait exercée, car sa royauté sera déracinée et reviendra à d’autres qu’à eux (Dn 11,4).
L’empire d’Alexandre sera effectivement partagé en trois : la Macédoine à l’ouest, l’Assyrie au nord-est et l’Egypte au sud. 

Israël est d’abord rattaché aux Lagides, rois du Sud qui occupent l’Egypte. Au siècle suivant, les Séleucides, rois du Nord, entrent en guerre contre les Lagides et conquièrent Israël.
Le roi du Midi deviendra fort, mais l’un de ses princes sera plus fort que lui et exercera une domination plus grande que la sienne (Dn 11,5).

La vision se termine par la description d’un roi terriblement arrogant qui profane le temple, y installe « l’abomination de la désolation » et persécute les justes. Il s’agit clairement d’Antiochus IV Epiphane.
Il s’emportera et agira contre l’Alliance sainte ; de nouveau il sera d’intelligence avec ceux qui abandonnent l’Alliance sainte. Des forces venues de sa part prendront position ; elles profaneront le Sanctuaire-citadelle, feront cesser le sacrifice perpétuel et placeront l’abomination dévastatrice. Il fera apostasier par des intrigues les profanateurs de l’Alliance (Dn 11,30b-32a).

Ce passage fait état de dissensions au sein même du peuple juif où l’hellénisation forcée voulue par Antiochus IV trouvera des complices parmi des personnages politiques ou religieux influents. Les circonstances nationales et internationales, en mettant en cause les fondements même des rapports entre Dieu et son peuple, provoquent un drame dans la communauté des croyants.  

Puis la vision évoque le temps de la fin avec une catastrophe finale.  

En ce temps-là se dressera Michel, le grand Prince, lui qui se tient auprès des fils de ton peuple. Ce sera un temps d’angoisse tel qu’il n’en est pas advenu depuis qu’il existe une nation jusqu’à ce temps-là (Dn 12,1).

Pourtant il ne faut pas perdre espoir.

En ce temps-là, ton peuple en réchappera, quiconque se trouvera inscrit dans le Livre. Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle. Et les gens réfléchis resplendiront, comme la splendeur du firmament, eux qui ont rendu la multitude juste, comme les étoiles à tout jamais (Dn 12,1b-3).

Daniel demande des précisions sur la date du temps de la fin. La réponse est énigmatique: « Ce sera pour une période, deux périodes et une demi-période ; lorsque la force du peuple saint sera entièrement brisée, toutes ces choses s’achèveront » (Dn 12,7).

Le chiffre de 3,5 années, la moitié de 7, symbolise une échéance limitée dans le temps de l’histoire, opposée à la plénitude du chiffre 7. 

Devant l’annonce que son peuple sera complètement brisé, on comprend que Daniel soit inquiet, aussi demande-t-il plus de précisions. Il n’obtient pour toute réponse: « Va, Daniel, car ces paroles sont tenues secrètes et scellées jusqu’au temps de la fin (Dn 12,9).

Cette fin ne signifie pas la mort pour tous.
Une multitude sera purifiée, blanchie et affinée. Les impies agiront avec impiété. Aucun impie ne comprendra, mais les gens réfléchis comprendront (Dn 12,10).

Au final, Daniel ressuscitera avec tous ceux qui sont restés fidèles. 

« A partir du temps où cessera le sacrifice perpétuel et où sera placée l’abomination dévastatrice il y aura mille deux cent quatre-vingt-dix jours. Heureux celui qui attendra et qui parviendra à mille trois cent trente-cinq jours ! Toi, va jusqu’à la fin. Tu auras du repos et tu te lèveras pour recevoir ton lot à la fin des jours » (Dn 12,11).

Conclusion

Le livre révèle la puissance du mal et comment l’humanité qui chemine de crise en crise tend vers une crise finale. Israël est bien le dépositaire et le bénéficiaire de la promesse d’un nouveau royaume, mais il est lui aussi traversé par le mal et en raison de ses infidélités, il subit des persécutions. Le peuple à l’époque d’Antiochus IV, est désorienté par tant d’abominations dévastatrices; aussi le « jugement divin» annoncé apparaît concomitant à l’idée de « salut » et son annonce intervient pour réconforter le fidèle affronté à des épreuves et à la mort; elle l’encourage à persévérer (ὑπομονή) dans la fidélité à la parole de Dieu. Les visions révèlent que le mal qui apparaît si puissant, ne peut qu’échouer.
Le Dieu d’Israël est le défenseur des plus faibles soumis à la loi du plus fort. Que les puissants n’abusent plus de leur pouvoir, qu’ils soient attentifs aux pauvres, qu’ils sortent de leur arrogance d’accusateur et laissent à Dieu le jugement « à la fin des temps » ! 

Comme Daniel, le juif se doit d’être le sauveur des sociétés dans lesquelles il vit. Les puissants qui ont écrasé les petits peuvent même à leur contact en arriver à changer et à proclamer la grandeur de Yhwh comme Nabuchodonosor au contact de Daniel. 

Le livre débouche ainsi sur un message d’espérance qui prolonge celui des prophètes.  

Ainsi le thème de la résurrection individuelle apparaît-il pour la première fois aussi explicitement.

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