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Convergence entre l’évangile selon Jean et Lacan, Une étude sur l’amour de Yves Figuccia.

Le désir est un appétit jamais rassasié. Le désir induit des demandes qui, elles, ont un objet, mais le désir en lui-même, n’est jamais comblé.L’espoir de combler le désir, induit le ressenti du manque.

Jean 4, 13 ) Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif.

Le ratage du comblement du désir (on dit ; ‘’ça laisse à désirer !’’), traduit la vitalité de la personne.
Les personnes qui souffrent de dépression, perdent les sensations de vie que procure le désir.

Le désir d’où surgit l’amour.
Jean 7, 38 ) Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein.

Je pense (je me risque à penser) que la curiosité procède du désir (et non du besoin). La curiosité est un état d’esprit ; le besoin est un appétit qui vise à être comblé.

Tout le monde recherche l’amour (c’est un besoin issu du désir). La figure du diable alimente les émois de certains. Pour d’autres il s’agira de se constituer supporter d’une équipe de football.

Le désir est accessible à chacun, sans délai, sans médiation ; sans délai car le désir n’est pas dans le registre de la réalité, mais il est dans le registre du réel.

Voyons la distinction qui existe entre ces deux notions car il est important de différencier la notion du réel (le réel, c’est ce qui est) de la notion de la réalité (la réalité, c’est ce que je crois que c’est).

Le réel déborde la réalité. J’imagine que c’est dans l’écart entre le réel et la réalité que se situent ce qui ne s’explique pas par les sciences.

Jean 6, 32 ) Moïse ne vous a pas donné le pain du ciel, mais mon père vous donne le vrai pain du ciel ; car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde.

Jean 5, 25 ) L’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du fils de Dieu : et ceux qui l’auront entendu vivront.
A mon avis, il faut entendre par les morts non pas les trépassés mais ceux des vivants qui ont perdu goût à la vie.

Tous entendent.
Jean 5, 28 ) Ne vous étonnez pas de cela ; car l’heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et en sortiront.

Tous entendent mais seuls quelques-uns répondent.

Jean 6,35 ) Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim et celui qui croit en moi n’aura jamais soif.

Le désir n’a pas de limite. Car le désir est au-delà du concret. Ce n’est pas une étendue comme le serait un lieu géographique avec ses frontières.

Certains accèdent à la vie (au mouvement) c’est-à-dire sortiront des assignations à tenir indéfiniment telle place sans jamais en bouger (ni même à s’interroger sur leur assignation) ; ces assignations décidées par d’autres, ceux-là se conformeront à ce qu’on attend d’eux.
D’autres demeureront sans accès au réel (dans l’unique réalité. Le jugement restera leur horizon ultime (le jugement est dans le registre de la réalité. Le jugement est souvent la répétition de ce que l’on a entendu ailleurs, à la manière d’un perroquet, c’est l’introjection d’une norme acquise, apprise, issue d’une autorité ; voir le paroxysme que constitue le phénomène de l’idéologie).
C’est contre cet enfermement que Jésus nous enseigne.
Les institutions religieuses ont malheureusement depuis, recréé les dogmes (et donc réintroduit le jugement).

Jean 5 ,29 ) Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement.

Ceux-ci seront dans la répétition, dans une fidélité aux traces archaïques inscrites en eux, du fait de leur histoire personnelle, de leur inscription dans une coutume, dans une tradition.

Le désir est signe de vie. Nous ne parvenons pas à le cerner, à lui donner une définition, un nom ; On constate son effectivité par les traces existentielles qu’il génère et qui s’inscrivent dans notre réalité. Rappelons-nous la parole de Lacan : ‘’ il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour‘’.

[Nicholas Bouvier] = [La vérité c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon]

Le passionné, lorsqu’il est aveuglé par sa passion, est heureux d’avoir rencontré son objet ; il en parle comme d’une acquisition dans l’ordre de l’avoir. Il s’imagine avoir rencontré l’objet de son désir parce qu’il a érigé l’objet de sa passion en objet de désir. Cette confusion transforme le désir en besoin qu’il lui est indispensable de satisfaire le plus totalement qu’il lui est possible, pour se garantir du manque (Ah ! ne plus sentir ce manque ! enfin ! Je me sens libéré ! En fait, non pas libéré mais dépossédé, aliéné, affecté par la morsure du manque taraudant dans un unique et étroit registre), Le passionné n’a plus, dans son champ de vision, que l’objet qui le passionne ; souvent il perd contact avec d’autres dimensions du vivant qui sont en lui. Le passionné se trouve comblé par son objet dans une tentative de trouver un sens à sa vie. Il pourrait dire : ‘’ ça y est, je tiens le bon bout ! ‘’ (trouver un sens à sa vie se situe dans le registre de la réalité, c’est-à-dire dépend du point de vue de la personne ; c’est un jugement. Par contre, dans le registre du réel, il n’y a pas de jugement, nous l’avons vu plus haut).
J’ai rencontré (comme si c’était un objet identifiable) mon désir sur ma route (et les alcooliques, les drogués, les addicts en savent quelque chose) je l’ai ramassé, l’ai mis dans mon sac à dos, je n’ai plus qu’à le cultiver et le faire croître. Le manque devient taraudant pour celui-ci parce que ce manque-là, a l’ampleur et la pugnacité du désir. Sans être pour autant le désir (le désir qui, lui, n’est jamais comblé, voir plus haut). C’est là que se signalent les personnes qui mettent dans leur vie la recherche du ‘’ce n’est jamais assez ; allez ! Encore un effort !’’ ces personnes se maltraitent, se fouettent le dos avec une cravache pour aller plus vite, plus loin, être davantage appréciées, avoir plus de pouvoir, etc.….
Ces personnes ne veulent pas savoir qu’il demeure un reste qui ne sera jamais rempli. Pour ces personnes la perspective est : je veux en avoir le plus possible ; mon rêve serait d’atteindre la complétude (d’où procède le perfectionnisme), ‘’ Ah ! Ce serait là, dans ce comblement parfait que résiderait mon bonheur ! Si seulement je pouvais ….. !
Le renversement de la perspective serait : je vois mes limites ; elles sont aujourd’hui à cet endroit. Il me faudra, pour œuvrer au dépassement de ces limites, entreprendre un travail sur moi-même. Et ce travail, je le situerai là où j’estime qu’il m’est possible d’aller, et là où j’évalue qu’il n’est d’aucune façon, invalidant pour les autres ou pour moi.
A propos de la non-complétude : ce passage de la bible où il est dit que lorsqu’on a enlevé la vigne, il demeure les racines et au bout du sillon il demeure un bout de champ non labouré pour permettre à la charrue, l’entrée dans le sillon suivant.
Une perlaboration devrait permettre aux personnes qui se malmènent, d’accepter le manque, le Pas-Tout dans le vocabulaire lacanien, la castration dans le vocabulaire freudien.

Lacan reconnaît que le dispositif analytique, en ce qui concerne l’amour, a fait une vraie trouvaille : l’expérience du transfert.
L’expérience du transfert pose, plus loin qu’on n’a jamais pu la poser, la question de l’amour authentique : ’’ Cette expérience est impensable du dehors ‘’ dit Lacan. Impensable du dehors c’est-à-dire impossible par un autre moyen. Le transfert se déclenche dès que le psychanalyste s’offre comme objet d’amour c’est-à-dire s’offre à tout entendre de ce que dit le patient. Le patient aime ce qu’il dit au psychanalyste ; dans un premier temps il ne différencie pas le psychanalyste qui écoute, de ce que ce patient dit de lui-même. Il aime donc le psychanalyste.
Dans un deuxième temps le travail analytique va produire une bascule qui transformera l’aimé (éroménos : celui qui est aimé) en aimant (érastès : celui qui aime). Dans cette bascule le psychanalyste n’a pas à se rapprocher du patient qui, en fait, si le psychanalyste entreprenait une démarche d’approche, provoquerait l’éloignement du patient. Le psychanalyste se contente de se retirer sur lui-même.

Aimer c’est donner.

Dans la cure, il n’y a, par conséquent de don que de ce l’on n’a pas. Je dirais que de ce qui ne nous appartient pas. Ce qui n’appartient pas à l’aimé lorsque l’aimé se retire sur lui-même, c’est l’attrait qu’il exerce sur le sujet (l’aimé n’est en rien responsable de cet attrait). Ce don est en fait un don de rien fait par l’aimé. Un don de rien. La notion considérée suivant deux acceptions : rien parce que cet attrait n’appartient pas à l’aimé. Rien parce que c’est bien l’aimant qui développe (tout seul dans son coin) cet attrait. On connaît des témoignages tels que : ’’ je ne comprends pas, ça me dépasse complétement, je suis saisi et je ne sais pas pourquoi ’’.
En se retirant sur lui-même l’aimé dérobe au sujet (au patient dans le cas de la cure) l’objet qu’il cherche et qui, en fait, s’avère n’être rien : l’attrait, on l’a vu, que l’autre (le psychanalyste) exerce sur le sujet (le patient). Par ce retrait sur lui-même (retrait qui est la condition pour éviter la séduction) l’aimé devient, aux yeux du sujet, l’aimant.
S’isoler avec un autre pour lui apprendre ce qui lui manque, (‘’ je ne suis pas là pour son bien, mais pour qu’il aime ‘’ dit Lacan) voilà le transfert.
Un aimant ne peut savoir ce qui lui manque (il lui manque l’amour dans l’ordre du réel) ; ‘’qu’il ne le sache pas est sa part d’inconscience’’. dit Lacan. Au début de la cure le patient recherche l’amour d’une autre personne dans le registre de la réalité (de l’illusion diront certains) parce que l’amour, lorsqu’il est dans la réalité, n’est qu’une tentative de comblement de besoin.
L’aimé ne sait pas ce qu’il a : ne sait pas ce qui fait son attrait.
‘’Il y a discord qui n’est pas, ici, d’inconscience’’ dit Lacan. Au début de la cure, il y a un écart entre l’amour recherché par le patient (le patient voudrait bien rencontrer cet amour dans la réalité) et l’amour que, le psychanalyste, par le dispositif de la cure, met à disposition du patient.
Cet écart crée une émotion : un malaise. Ce malaise, voire même ce mal-être, est bien tangible et donc sensible au sujet, appréhendable par lui.
Ce qui manque à l’un (insu de lui) n’a rien à voir avec ce que l’autre a (caché en lui). ‘’Voilà une inadéquation qui porte sur le désir, d’où surgit l’amour’’ dit Lacan

Reprenons :
L’aimant ressent le manque (dont le contenu est insu de lui). Pour combler ce manque, il fait une adresse à un aimé qui a, quant à lui, quelque chose de caché.
Ce que l’aimé a de caché c’est un rien (Un rien qui est dans le réel : nous l’avons vu plus haut.)
’’Mais de ce rien qui fait discord, naît une bascule’’ dit Lacan.
Dans un premier temps, le sujet se sent écouté donc il aime celui qui l’écoute si parfaitement.
L’aimé du sujet, se retire sur lui-même. Ce retrait permet d’éviter la séduction et de laisser toute la place à la seule présence.
L’aimé devient ( dans un second temps) aimant ; aimant selon la perception du sujet. Le sujet sent qu’il peut tout dire et tout dire, en étant totalement accepté.

Le sujet aime au début de la cure (d’un amour dans l’ordre de la réalité). Il aime celui qui l’écoute, qui écoute ce que le sujet a à dire puis, une bascule se produit. Après que la bascule ait opéré, le sujet se sent aimé (d’un amour dans l’ordre du réel pour le psychanalyste ; et pour le patient, dans un registre qu’il ne peut, à ce stade, pas encore situer. Car pour le patient ce registre est inhabituel). Le patient se sent entendu et totalement accepté par une personne autre. Le patient situe cette présence autre comme une altérité, et non pas, ainsi qu’il en a l’habitude, comme un partenaire, comme un prolongement de lui-même.

Le sujet fait l’expérience d’aimer et d’être aimé. Il fait l’expérience de la sensation d’amour.

L’amour de l’aimant (on a vu que le psychanalyste, dans le cas d’une cure, après que la bascule ait eu lieu, est institué par le patient comme aimant). L’amour de l’aimant donc, consiste à donner à l’aimé (le patient) l’accès à la capacité d’aimer dans le réel. Le psychanalyste devient alors un vecteur d’amour.

Le patient fait l’expérience de recevoir l’amour.
Et cet amour est un don.

Un don qui ne soit pas dévoyé, en étant au service, par exemple, d’une auto-gratification de l’aimant. C’est un don qui se caractérise par la qualité purement désintéressée de ce que l’aimant offre.
Ainsi le don ne saurait être appréhendé par la formulation d’une phrase pompeuse et triomphante telle que celle-ci : ‘’ le don c’est le sublime absolu du pouvoir d’un sujet libre ! ’’ Puisque l’on voit, qu’avec une telle formulation, ce sublime-là, serait une tentative d’auto-gratification de l’aimant, adressée à lui-même, à sa gloire.

C’est par cette pureté du don (exempt d’auto-gratification) qu’il est véritablement aimant. L’aimant offre à l’aimé ce qui ne lui appartient pas en propre : l’accès de l’aimé à la capacité d’amour (‘’je ne suis pas là pour son bien mais pour qu’il aime’’)
L’aimé , par ce don, aime disions-nous et aime d’un pur amour.
Pour réaliser ce don, l’aimé se retire sur lui-même. Sans quoi (s’il faisait par exemple, un étalage de sa personne), il y aurait opération de séduction et ceci dans le réel. En effet la séduction induit des émotions ; les émotions, on le verra, étant dans l’ordre du réel.
En s’escamotant, l’aimant ne peut rien dire de lui-même sinon et par là même, il s’abolirait comme désirant. Il deviendrait une simple ressource pour satisfaire le besoin de l’aimé (besoin exprimé ou non exprimé).
Il tient la place de pur désirant. Pur parce qu’il s’abstrait.
‘’ Il s’escamote lui-même d’aucune supposition d’être désirable’’ dit Lacan.
L’amour que nous considérons ici est bien un amour qui se perd dans sa propre fin.

On aperçoit les risques importants de déviation possibles. Les dérives liées à l’utilisation d’une telle forme d’amour. Ce serait l’abusive mise en avant d’une promesse de réussir à satisfaire une demande de mieux-être de santé ou existentielle ou encore matérielle par un leurre intentionnel. Certaines religions en usent : ‘’ faites, mon dieu, que je retrouve tel être cher ! Ou la santé ou que sais-je encore… ‘’.

Examinons quelles sont les configurations où la cure analytique n’aboutit pas à une perlaboration réussie.
L’ennemi de l’aboutissement de la perlaboration peut prendre la forme du le pas advenu (c’est-à-dire ce qui ne peut pas émerger aujourd’hui dans la conscience, les traces de ce passé ayant été enfouies ou brouillées, un enkystement en quelque sorte, enkystement parce que son futur sera une répétition fidèle inscrite dans la trace du passé, à moins qu’un pas de côté se produise)

A propos de « un pas de côté » : les paroles de Jésus, dans l’épisode de la femme infidèle que la foule veut lapider.
Jean 8, 7 ) Que celui de vous qui est sans péché jette la première pierre contre elle […]
Et un peu plus tard :
Jean 8, 10 ) Personne ne t’a-t-il condamnée ?

Ou prendre la forme du le pas-à-dire’’ ce que j’appelle le caché sous le tapis qui suppose que l’on a sous les yeux le truc mais qu’on ne veut pas s’en saisir en se le formulant ou qu’on ne veut pas le livrer à l’autre.
Jean 8, 9) Toujours dans cet épisode de la femme infidèle : Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience, ils se retirèrent un à un depuis les plus âgés jusqu’aux derniers.

Ou encore prendre la forme du le pas déchiffré lorsqu’on ne peut pas en interpréter les signes.
Dans ce cas, le savoir qui, s’il avait émergé, auraient pu constituer les premiers pas vers un ailleurs, constituer une mutation, ce savoir, donc, demeure dans l’inconscient. La répétition, dans une fidélité à l’archaïque, demeure inchangée.

Et même dans le cas où la perlaboration a abouti (après une éventuelle prise de conscience), il demeure trois destins négatifs de la dynamique du changement :

1) être conscient mais attendre parce que je ne suis pas encore prêt

Jean 6, 65 ) Nul ne peut venir à moi, si cela ne lui a été donné par le père.

Donné par le Père : j’interprète la notion de don dans ce cas-là, non comme quelque chose qui m’arrive parce que je suis au bon moment au bon endroit (comme l’heureux gagnant du loto qui reçoit sur la tête le torrent de la fortune), mais ce don est disponible pour chacun et pour tous et je le rencontre quand je suis prêt. On voit que la rencontre avec le Don est une condition nécessaire mais elle ne saurait être, pour autant, une garantie d’aboutissement du changement

Ce don venant du Père, n’est pas un don issu de la réalité, c’est est un don dans le réel.
Le Réel est une notion qui me semble être si difficile à concevoir.
Mais paradoxalement tellement simple à formuler. ‘’Le réel c’est ce qui est’’.
Jean 8, 58 ) En vérité je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je Suis.
Jésus parle ainsi de ce qui est, pour dire que le réel va au-delà de tout, même de ce que l’histoire en a dit (référence à Abraham). Nous verrons plus loin que le réel va au-delà du langage. Il déborde toute formulation.
Lorsque Jésus dit ‘’ je suis ‘’ il ne fait bien sûr pas mention au sens contenu dans la notion de l’égo (je suis parce que je sais m’affirmer).
Il évoque la permanence, la sortie du jugement, la force de la vitalité primordiale, la prise en compte de l’altérité. Encore une notion à préciser : l’altérité c’est la différence (alors que, à contrario, l’autre c’est ce que je tente de faire mien, de me mettre dans la poche).

Jean 8,13 ) Les pharisiens lui dirent : Tu rends témoignage de toi-même. Ton témoignage n’est pas vrai.
– Même si c’est moi qui rends témoignage de moi-même. Mon témoignage est vrai, car je sais d’où je suis venu et où je vais ; mais vous vous ne savez pas d’où je ne viens ni où je vais. Vous vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne. Et même si moi je juge, mon jugement est véritable, car je ne suis pas seul, mais il y a moi et le Père qui m’a envoyé.
Jean 8, 19 ) Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père .

Jean 8, 22 ) Là où je vais, vous, vous ne pouvez pas venir.
Vous êtes d’en bas ; moi je suis d’en haut Vous êtes de ce monde ; moi je ne suis pas de ce monde.

Jean 8, 26) Celui qui m’a envoyé est vrai, ce que j’ai entendu de lui, je le déclare au monde.

Jean 8, 28) Je ne fais rien de moi-même, je parle selon ce que le père m’a enseigné. Il ne m’a pas laissé seul.

Jean 8, 30) Comme il disait cela, beaucoup crurent en lui.

Avec notre vocabulaire (notre vocabulaire dans le registre de la réalité), nous disons, parce que nous manquons d’un vocable pour le désigner : nous disons, dans le sillage de Lacan c’est un don de rien (rien parce qu’il n’y a pas d’objet, au sens habituel du terme). Quelque chose est transmis mais en dehors de la réalité. Ce quelque chose qui est transmis, l’est dans le registre du désir (qui, on l’a vu plus haut, n’a pas d’objet). Certains, pour exprimer tout de même quelque chose et pour ne pas rester muet, (pour ne pas rester sec, disent les jeunes) indiqueront : ‘’c’est de l’ordre du mystère’’.

Ce quelque chose que je reçois, je ne le possède pas. Quelque fois il m’arrive de faire l’expérience de ‘’ ça me fait chaud au cœur‘’ mais je ne possède rien de tangible pour déclencher cela. Je ne peux pas appuyer sur un petit bouton pour le provoquer. Ça m’est donné mais je ne le possède pas. Pourtant j’en fais l’expérience avec mes sens. Alors résumons : le Père me fait un don, dans un registre hors de la réalité et de temps en temps je ressens (avec mes sens) donc je reçois du Père un je-ne-sais-pas-quoi (Lacan appelle ce machin un rien, je reçois un rien. A noter que rien n’a la même racine que Res qui veut dire en grec ancien : la chose) et grâce à ce rien que je reçois je ressens, j’éprouve une émotion : c’est en fait cette émotion qui témoigne que j’ai reçu ce rien. Bon ! c’est difficile à suivre ! Je reçois quelque chose dont je ne peux pas m’accaparer (l’amour) et ce que je reçois (rien selon Lacan) produit en moi des effets sensibles, des effets que je recherche, des effets cause du désir qui lui, nous l’avons vu, est sans objet.

J’en parle ici, pour vous dire que ça peut être corsé. Accrochez-vous ! Et restez accroché lorsqu’on abordera, plus loin, le langage.

Après cette longue parenthèse vous êtes, peut-être, perdu.

Alors je rappelle que nous en étions au Deuxièmement du chapitre traitant de :

En cas de perlaboration aboutie : Trois destins négatifs du changement après une éventuelle prise de conscience :

Rappelons, pour mémoire, que le premièrement concernait :

1) être conscient mais attendre parce que je ne suis pas encore prêt

Voici le deuxièmement :

2) savoir ce qu’il en est (prendre conscience de ce qui, dans mon inconscient, me meut) mais s’interdire d’y changer quoi que ce soit. Chacun pourra développer sa créativité (débridée) pour expliquer aux yeux des autres, justifier son immobilisme.

Et le troisièmement donc, que voici :

3) refouler, c’est-à-dire enfouir ou travestir les traces du passé qui émergent au présent et dans ce cas le savoir demeure dans l’inconscient. La prise de conscience n’a pas lieu‘’.
Alors la cure n’aboutit pas. Le refoulé demeure (quelque fois il est délogé ici et il prend une autre forme, il se déplace là) et donc aussi l’archaïque continuera à produire les répétitions inchangées.

A propos des conséquences liées à une sortie, une échappée. En particulier l’accès à un espace moins contraint. Certains parlent d’une libération de l’immobilité ancienne

[Georges Orwell] = [Peut-on revenir à l’ancienne vie que nous avons connue, ou faut-il lui dire à tout jamais adieu ? Eh bien je tenais la réponse. L’ancienne vie a bel et bien disparu, et c’est perdre son temps que de chercher à la retrouver. Jonas ne retournera jamais dans le ventre de la baleine. Il faut revenir à l’air libre, accepter un peu d’air frais]

Et Lacan va dans le même sens en pointant les dommages que peut occasionner la fidélité aux traces archaïques :
‘’ Les patients qui gardent ouverte la perte récusent le monde extérieur et surinvestissent leur propre moi ‘’.

Il est donc important de se libérer des traces archaïques qui colorent notre présent, nous font faire tel choix, influencent nos émotions, sont moteur dans nos actions, orientent notre représentation du monde, façonne notre réalité.

Jean 6, 63) C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert à rien.

Dans les évangiles : cet épisode à propos de La tentation du Christ, où il est question d’une action projective de certaines personnes dans la foule, qui aspirent à la toute-puissance. Ils veulent assister au spectaculaire, au cirque (en osant un anachronisme), sans prendre en compte l’esprit.

Ceux qui incitent Jésus à se jeter dans le vide depuis le haut d’une tour. ‘’Un ange viendra à ton secours pour te déposer délicatement au sol’’.

Je disais plus haut qu’une perlaboration peut fortifier le moi de la personne, élargir son champ de perception, le rendre plus indépendant du surmoi, réunir au moi les émotions qui en étaient séparés, offrir à disposition un autre lieu psychique où se déployer.

 

Ce n’est qu’au moment du dénouage (au moment où l’heure est venue) que s’opère un effet de révélation qui éclaire dans l’après coup les événements antérieurs (= j’appelle cela l’a traversé du miroir). Je me dis qu’on ne peut se rendre compte du changement que lorsqu’on a atteint le nouveau territoire. Avant ce moment, on est en chemin, on espère, on a la foi.
Beaucoup de sectes mettent à profit un état de vulnérabilité du randonneur lorsqu’il est en chemin. Et ces sectes promettent, par anticipation, le bonheur. Le bonheur est vendu comme découlant d’un programme à suivre (le plus souvent finances à la clé).

La nouvelle surface psychique s’exprime à son apogée et trouve sa révélation dans ce moment si particulier où l’heure est venue.

Voir les nombreux passages de la bible où il est fait mention de l’expression : ‘’son heure n’était pas encore venue’’.

Jean 7, 6) Mon temps n’est pas encore venu, mais votre temps est toujours prêt.

Jean 8, 20) Jésus dit ces paroles, enseignant dans le temple, au lieu où était le trésor (je suppose que ce devait être interdit) ; et personne ne le saisit, parce que son heure n’était pas encore venue.

Pourtant, sans attendre ce moment du dénouage, et à plusieurs reprises, par avance, le Christ informe ses disciples de ce qui va advenir.

Jean 6, 64 ) Jésus savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient point et qui était celui qui le livrerait.

Jean 6, 70) L’un de vous est un démon. Il parlait de Judas Iscariote, fils de Simon ; car c’était lui qui devait le livrer, lui, l’un des douze.

Au moment du dénouage, ces résistances seront dépassées, le transfert sera déblayé et les transformations internes du patient auront pu s’opérer.

A propos des résistances

Jean 6, 67) Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui. Jésus donc dit aux douze ; et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ?

Et lorsque les transformations internes ont pu s’opérer.

Jean 8, 30) Il dit aux juifs qui avaient cru en lui : si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira.
Deux acceptions pour le sens des mots ‘’vous demeurez’’ qui apparaissent dans cette phrase. D’abord celle de la demeure avec une association à la notion de l’intimité, de l’appartenance : on parle de la demeure pour désigner le foyer ; demeurez, c’est aussi la continuité au fil du temps, la permanence de l’attention portée à la parole.

Je parlais plus haut d’un accès à un autre lieu psychique, accès potentiellement possible après une perlaboration réussie, en effet lorsque la personne a accès au réel, la personne peut en imaginer son tracé …. Imaginer veut dire ici qu’elle l’entrevoit. Une fois imaginé (dans ce nouvel univers après le « « ça a fait tilt » » il s’écrira (c’est un mot utilisé par Lacan pour dire que la personne construira sa vie de façon différente) ‘’
Au moment du dénouement, un autre lieu psychique est entrevu : c’est comme si la personne pouvait (parce qu’elle a compris souvent dans un éblouissement) le décrire, c’est un réel différent (comme un navigateur peut voir au loin la côte : la côte d’un vrai territoire, qui existe). Un réel, non pas un imaginaire (ce n’est pas un mirage issu de ses habitudes de pensée. Pour continuer à filer la métaphore précédente, dans le registre de l’imaginaire, le spectateur verrait la côte d’un territoire sur une image de cinéma, que d’autres ont aménagé pour lui avec force effets artistiques, et qu’il prendrait pour la réalité. Les idéologues ont tout loisir de se déchainer).

Il y a très souvent discord entre les personnes qui voient le monde uniquement dans la réalité et les personnes qui ont accès au réel.

Jean 7, 7) Le monde ne peut vous haïr : moi il me hait, parce que je rends de lui le témoignage que ses œuvres sont mauvaises […] Les uns disaient : c’est un homme de bien. D’autres disaient : non, il égare la multitude.

Le discord (cause potentielle de la haine) vient de ce que les personnes qui n’ont pas accès au réel, utilisent le jugement (y compris pour se juger elles-mêmes).

Jean 7, 16) Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire sa volonté, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu, ou si je parle de mon chef. Celui qui parle de son chef cherche sa propre gloire.

A ce stade il convient de revenir sur et de préciser encore davantage la notion de réalité. Avant la prise de conscience que le réel existe (je parlais plus haut de la traversée du miroir), la personne croit (il ne faut surtout pas aller lui dire le contraire, ça pourrait la contrarier, c’est le cas de le dire) que la source des choix qu’elle fait, ses croyances, n’ont rien d’imaginaire : pour elle, il n’y a pas lieu d’en discuter (puisque c’est la seule vision du monde, qu’il connait). C’est sa réalité (sa façon de vivre et de faire des choix). Selon son point de vue, ce quotidien n’est pas le fruit de son histoire et de la façon dont elle a appréhendé son histoire mais c’est comme ça parce que c’est comme ça. Point c’est tout ! Allez, oust, circulez !
En somme, les autres qui n’ont pas le même avis, ont tort ou alors ‘’ eux c’est eux et moi c’est moi‘’.
D’ailleurs la représentation des choses de son quotidien lui vient naturellement, spontanément dira-t-elle. N’est-ce pas là, une preuve évidente qu’elle a raison.
En fait ce qui lui vient, ce sont des images, des représentations de son quotidien. Des représentations issues en grande partie de son histoire archaïque. A ces images sont associées des émotions. Ces émotions là (comme toutes émotions, nous l’avons vu plus haut), sont toujours dans le réel. Cela parce qu’elles sont toujours authentiquement ressenties par la personne.
Résumons : les émotions sont dans le réel et l’origine des émotions, se trouve, le plus souvent, dans la réalité (bien colorée par l’imaginaire, on l’a compris),
Le plus souvent disais-je, mais lorsque le dénouement a pu se produire et qu’un accès au réel (le réel est sans objet, rappelons-le) a eu lieu, et bien quelques-unes de ces émotions trouvent leur source non plus, comme auparavant, dans la réalité mais bien dans le réel. (J’utilise le vocable le réel pour simplifier. Mais Lacan, pour indiquer que le réel n’est pas un lieu dans l’ordre du géographique, emploie la métaphore ‘’ le bord du trou du réel‘’ et cette expression me suggère des espaces infinis, restant à découvrir après l’accès au réel).
Il y a lieu de différencier la notion de réalité de la notion de réel, on l’a compris (rappelons que les émotions de la personne sont dans le réel ; elles sont bien dans le réel même quand elle simule, pour tromper son entourage, des émotions fausses que la personne sait pertinemment truquées (à ce moment-là, la mise en scène, la simulation, plus ou moins réussie, sont incluses dans la réalité du simulateur). Mais soyons attentif au fait que les émotions que ressent le simulateur, en simulant, sont dans le réel même si les émotions simulées, mises en scène, sont fictives.
(Mais ne compliquons pas trop. Ça l’est déjà, assez comme ça).

Le réel est ce qui est. (Je trouve que cette formulation est un peu courte et même tautologique, mais je ne sais pas aller beaucoup plus loin. Probablement, je le suppose, parce qu’on ne peut rien en dire avec le langage. Jésus parle du Père. C’est bien mystérieux si on veut l’appréhender par le langage. A mon avis on ne peut pas ressentir quoi que ce soit, avant de l’avoir rencontré. On ne peut pas se représenter théoriquement quelle en sera la forme. Il existe cependant l’espérance. C’est ce que j’appelle la traversée du miroir. Avant de l’avoir rencontré on peut parler des conditions, aussi utiliser des métaphores (la lumière, la source, le souffle, …). Ensuite, je suppose, on sent différemment. On ne peut plus rien en dire d’autre que ‘’ c’est ce qui est ‘’.

J’utilise à nouveau ce verset que nous avons rencontré plus haut parce qu’énoncer : ‘’Le Réel est ce qui est’’ semble tellement tautologique, si simple à dire et en même temps si difficile à saisir.

Jean 8, 13) Les pharisiens lui dire : tu rends témoignage de toi-même ; ton témoignage n’est pas vrai. Jésus leur répondit : quoique je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est vrai, car je sais d’où je suis venu et où je vais. Vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne.

Je ne juge personne : Dans le réel il est impossible de juger. Ce n’est même pas de l’ordre d’une attitude morale ou éthique. C’est tout simplement impossible, on l’a compris.

Le réel n’est pas contenu dans la réalité. Il est d’une autre essence. Pour l’instant, j’ai du mal à cerner quelle serait cette autre essence. Je suppose que la cause de cette difficulté est dû au fait qu’on ne peut décrire le réel avec des qualificatifs ; alors que, pour ce qui concerne la réalité, c’est tout à fait possible. (On dira ‘’c’est super’’ ou ‘’c’est nul’’) La facilité que procure l’usage du jugement de valeur rend les qualificatifs bien aisés, nous en avons tout un tas à disposition. On évitera, pour préserver le confort (convenu) du débat, de s’interroger sur la validité d’un : ‘’ Ouah ! c’est super !’’. Encore une fois l’interlocuteur n’apprécierait pas que l’on discute de son opinion, de son jugement.

Jean 8, 13) Jésus leur répondit : quoique je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est vrai […]. Vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne.

Jean 4, 23) Mais l’heure vient, et elle est déjà venue où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est Esprit.

On l’a compris le Réel est en vérité et en Esprit alors que La réalité dépend de la perception de chaque personne. La réalité est un mix constitué de l’environnement de la personne et en plus de la façon dont elle l’appréhende.

Entrer dans un autre lieu psychique parce qu’elle a accès au réel, modifie pour la personne, sa réalité. Les grands yogi (ils m’impressionnent) en sont un témoignage.

Lacan parle de : la personne qui écoute (le psychanalyste, donc) s’en ferra témoin (‘’supposé sujet’’ dans le vocabulaire de Lacan) … C’est-à-dire se constituera en interlocuteur (dans la mesure où cette personne a elle-même accès au réel : mais on peut supposer que c’est le cas pour tout psychanalyste qui se respecte) pour confirmer au consultant, la validité de ce nouvel univers qui s’ouvre à présent pour lui.

A propos de surface psychique (c’est un mot utilisé par Lacan). Lorsqu’on a accès au réel les comportements se modifient en accord avec la nouvelle surface psychique. Les comportements de ceux qui ont accès au réel sont étonnants pour qui (comme moi), n’a pas accès au réel.
Ainsi au temps de Jésus et pas seulement en ce temps-là, beaucoup devaient aspirer à atteindre la royauté, pour des raisons qui leur sont propres.

Jean 6, 15) Jésus, sachant qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi, se retira de nouveau sur la montagne, lui seul.

Dans une recherche sur soi, on combat l’aversion du moi envers certaines orientations de la libido.

Et cette aversion est coriace et visqueuse comme l’est la libido ‘’qui n’abandonne pas volontiers les objets qu’elle a un jour investis’’ dit Lacan.
Cette viscosité s’explique probablement du fait qu’il est difficile d’inventer, d’imaginer autre chose d’autant qu’on n’est pas équipé pour aborder l’inconnu, on n’a pas les bagages.
Ce serait construire-écrire (écrire au sens de Lacan) une existence qui nous serait vraiment bénéfique (et non pas à l’aune de l’avoir, de l’accaparement goulu, on l’a bien compris).

Jean 6, 26) [En vérité, en vérité je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.]

Ecrire (C’est un mot utilisé par Lacan pour dire que la personne construira sa vie de façon différente, en phase avec le réel)
Ecrire sa vie dans une dynamique actuelle (au bord du trou du réel, voir plus haut) et non dans une répétition en suivant les traces du passé.

Me vient à l’esprit ce conte d’un homme à qui un dieu permet l’accomplissement d’un vœu quel qu’il soit, mais un seul vœu ; et qui énonce le vœu de transformer tout ce qu’il touche, en or.
Et il ne peut plus s’alimenter.

Cette aversion à abandonner les objets déjà investis par la libido se traduit par ce penchant universel au refoulement.
Le refoulement constitue une astuce que l’on se donne pour ne pas savoir, ne pas être au bord du trou du réel et ainsi, avec le refoulement, on reproduit dans l’actuel, le passé, sans même savoir qu’on pratique ainsi.
Lors de difficultés existentielles, dans le feu du combat, le refoulement est quelquefois levé à l’occasion de l’affrontement, de la confrontation à la souffrance.
Il faut donc se servir de la réédition éventuelle du phénomène lors d’une crise, pour s’en servir comme d’un levier pour entamer la mise en mouvement. On voit qu’il ne peut y avoir opportunité de changement que dans les crises donc dans la souffrance.

Lors de difficultés existentielles, se trouve bousculée l’immobilisation psychique ; celle qui opère dans une fidélité à la trace du passé.

Jean 5, 7 ‘’Seigneur, je n’ai (depuis 38 ans) personne pour me jeter dans la piscine quand l’eau est agitée, et, pendant que j’y vais un autre descend avant moi’’.
La bible raconte qu’il existe une piscine entourée de malades. De temps à autre un ange vient agiter l’eau et celui qui se plonge dans la piscine, le premier et le premier uniquement, est guérit quel que soit sa maladie.

Et l’accès au réel, énoncé par Jésus :
‘’Lève-toi et marche’’.

Jean 6, 27) Travaillez, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui subsiste pour la vie éternelle, et que le fils de l’homme vous donnera ; car c’est lui que le Père, que Dieu a marqué de son sceau. Ils lui dirent : que devons-nous faire, pour faire les œuvres de Dieu ?

La recherche sur soi n’est pas un bilan sur le thème de qui est-on ? (Points forts, points faibles), qu’est ce qui nous arrive, quelles sont les difficultés (les soucis, disent les jeunes) que nous rencontrons ?
On ne cherche pas l’efficacité de la solution optimale (une stratégie mise en place avec le mental). On se laisse entrainer dans l’expérience d’un présent : ses effets sur le corps, on note le renouvellement de pensée qui émerge. On est attentif (sans juger) aux réactions de notre environnement (non pas les réactions les plus superficielles mais les réactions profondes). Je parlais plus haut d’être attentif à l’existence de ses propres limites plutôt que de chercher à acquérir, à accumuler.

Cette interaction dans le mouvement, dans notre dynamique actuelle, en ayant repéré ses propres limites (et non dans une trace du passé : les habitudes, qui sont plus ou moins délétères) suppose que l’on repère mieux ce qui nous meut et affine notre sensibilité, sans jugement, (on a vu plus haut que dans le réel, le jugement est tout simplement impensable).

Que le passé induise une incarnation dans notre présent, c’est le ressort sur lequel s’appuie par exemple le théâtre.
[Arianne Mnouchkine] [Le comédien s’approprie le passé (elle parle de l’argument du texte de la pièce) pour le restituer au présent].

Ainsi, dans le réel, sans les aveuglements sur soi, aveuglement dus à la répétition, aveuglement dans la fidélité aux traces du passé, on connaît ses propres spécificités : on sait aussi ce que ces spécificités éveillent chez l’autre. Les effets, ce que ça provoque. Et tout ça sans juger. La survenue du jugement ruinerait l’ensemble.

Jésus qui, à plusieurs reprises, indique à ses disciples, les conséquences du discord entre le monde et lui.

Le discord est une chance lorsqu’il est source de changement (si, au moins l’un des deux protagonistes a accès au réel et que face à l’autre, il ne se défile ni ne cède sur son propre désir).
Ce qui est le cas de l’analyste dans le dispositif de la cure

Les foules qui suivaient Jésus (et nous également aujourd’hui), étaient impressionnées par l’aspect vraiment spectaculaire des miracles (aujourd’hui les journaux s’en empareraient pour augmenter leur tirage) et ces foules, attachées à ce qu’elles connaissaient antérieurement, étaient démunies (n’avaient pas la grille de lecture) devant l’enseignement renouvelé de la spiritualité portée par Jésus. Tout au plus voyaient elles, ces foules, un marqueur du caractère exceptionnel de cet homme, Jésus.

Jean 7, 15) [Les Juifs s’étonnaient,
disant comment connaît-il les Ecritures,
lui qui n’a point étudié ?]

Jésus leur répondit : ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire sa volonté, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu, ou si je parle de mon chef.

On voit là confirmation que l’accès au réel permet la sortie du jugement.

Lacan a imaginé un dispositif de cure où la personne peut s’entendre. Dans ce dispositif, est central, l’émergence des émotions dans la relation entre le patient et le psychanalyste. Lacan le nomme le transfert Le transfert est alimenté par et reprend à son compte les émois amoureux d’enfant, la demande d’amour, les exigences de la passion, les émois anciens tels qu’on les a connus dans l’état de bonheur, de malheur ou dans la haine…

Ces émois qui sont apparues dans notre histoire personnelle, ont pu devenir des habitudes.

[Tolstoï] = [Il était clair que, quand il nous punissait, il le faisait plus pour son propre plaisir que pour notre bien]

Il s’agit d’un automatisme secondaire, acquis. La conscience qui a, le plus souvent été nécessaire pour son acquisition, n’apparaît plus, parce qu’elle est devenue inutile. Devant ces émotions le psychanalyste, ne se défile ni ne cède.
A propos de : le psychanalyste ne se défile ni ne cède.
[Daniel Sibony] = [Ce que les adolescents attendent de l’adulte, ce n’est pas qu’il les honore mais qu’il soit à la hauteur de lui-même, qu’il ne foire pas trop avec son projet ; qu’il tienne sa place].

Il est important de ne pas étiqueter en quoi consiste la qualité (bon, mauvais) de l’amour (il n’y a pas lieu de juger ; tout au plus le prendre en compte dans le cadre d’un aspect pratique : cet amour que je rencontre, dans la réalité, convient-il à ma situation ?
Il est si difficile ensuite de s’en déprendre).

Dans un couple, pour chacune des personnes il y a lieu de se rendre disponible à rencontrer l’amour de l’autre : il n’y a pas lieu de juger, Ensuite pour des raisons tout à fait pratiques il convient juste d’organiser au mieux la réalité (et une fois tranquille du côté de l’aménagement pratique se laisser submerger par l’amour dans le réel). Je disais qu’il n’y a pas lieu d’étiqueter la qualité de l’amour car sauf falsification intentionnellement voulue, il est véritable amour ; véritable puisque c’est celui que la personne adopte, conçoit, met en œuvre effectivement dans sa vie. Il n’est donc pas faux à ses yeux. Nous avons vu plus haut que les émotions (authentiquement) ressenties sont dans le réel. C’est l’Amour que la personne ressent. La personne l’éprouve : ce n’est pas un amour mentalisé dans une forme d’idéalisation rêvée. Ce n’est pas une représentation de l’amour, vue sur un écran de cinéma que la personne vit par procuration.

Cet amour que la relation éveille, quel type d’amour est-il ?
… Pour répondre à cette question, les difficultés existentielles (lorsqu’elles sont là et qu’on ne peut éviter), constituent une ressource pour en explorer les contours. On ne recherche pas les difficultés, mais lorsqu’elles sont dans le paysage, acceptons de les voir comme des occasions de grandir, de prendre conscience. Nous l’avons vu, les difficultés peuvent être mises à profit pour servir de révélateur qui permet de qualifier le type d’amour en jeu.
Il y a lieu de distinguer l’un de l’autre, deux aspects :
D’une part l’aspect organisationnel, pratiques, les modalités de la relation, et l’aspect qui concerne le désir d’autre part.
Être souple et s’engager dans la négociation sur les aménagements, l’organisation mais ne pas céder ni se défiler sur le désir ( car le désir est un accès au réel ; ça vaut le coup de ne pas céder, de plus, ne pas céder constitue une ressource pour les deux personnes en présence; en effet, ne pas céder sur le désir permet à l’autre de se rencontrer ; Il faut bien sûr que le désir de celui qui ne cède pas soit dans le registre du réel je veux dire qu’il ne soit pas au service d’un assujettissement de l’autre, mais, si, à contrario, le désir (il faudrait alors plutôt parler de besoin, dans ce cas) est dans le registre de la réalité, donc de l’imaginaire, on ne peut, tout au plus (dans le cas favorable où il y aurait acceptation d’entrée en dialogue), que cerner (pour celui qui sait voir) quelles sont les traces du passé à l’œuvre chez l’autre ou chez lui. C’est la fameuse répétition de l’archaïque que nous avons longuement abordée plus haut.

En cas de discord, les traces du passé surgissent dans le conflit actuel : la conscience se mobilise pour résoudre le conflit permettant ainsi quelquefois une prise de conscience (‘’je me rends compte de ….’’). Et ainsi, avec l’aide de cette conscience réactivée, les traces de l’ancien conflit englouti, traces qui se manifestent à nouveau peuvent être observées et analysées. Ce qui permet (lorsqu’on est prêt pour cela et lorsqu’on n’est pas englué soi-même dans la répétition du passé) de lire la surface psychique de l’autre personne et notre propre surface psychique.

La cure psychanalytique met à profit cette dynamique dans la relation entre le patient et l’analyste. Dans cette dynamique, il se met en place, de la part du patient, des émotions que Lacan nomme, nous l’avons vu, le transfert.

Le dispositif de la cure met en évidence, entre autres, le type d’amour que développe la personne.

Prenons à titre d’illustration, le cas que constitue un patient qui serait engagé dans une relation narcissique
Et développons dans un premier temps, ce en quoi consiste l’amour en général puis intéressons-nous à la spécificité de la relation narcissique

L’amour engage le Moi comme unité : une unité globale. Sans quoi nous l’avons vu, on ne peut parler d’amour.
Lorsque l’engagement est partiel, il s’agira plutôt d’une utilisation, d’une exploitation de l’autre.
L’amour fait du deux. Dans l’amour il est impossible de faire du Un. Lorsque nous avons abordé plus haut la notion d’altérité nous avons indiqué que l’altérité est établie sur la reconnaissance de la différence.

Voyons à présent ce qui concerne le type bien spécifique de relation que nous avons choisi comme exemple pour l’étude de la relation entre deux personnes : la relation narcissique (Ce type de relation ne fait pas du deux).
Il s’agit alors d’une apparence de dualité. Le partenaire narcissique crée du deux sur fond d’Un…/// sur fond d’Un parce que la relation narcissique se déplace sur un objet extérieur mais cet objet reste en quelque sorte une dépendance du Moi, l’objet est un prolongement du Moi, Le deux n’est qu’une déclaration d’intention énoncée pour séduire. Le partenaire est constitué par le sujet comme un reflet de ce même sujet // … Dans la théorie de Lacan l’objet est une image du Moi vue dans un miroir… Dans le miroir, L’expérience spéculaire constitue un partenaire amoureux en tant que celui-ci est semblable au Moi.
L’altérité existe bel et bien, évidemment dans le registre du réel, puisque les partenaires engagées sont deux personnes entières et séparées. Dans le cas de la relation narcissique, une véritable altérité n’est pas constituée. Ainsi assigné au registre imaginaire, l’amour narcissique (peut-on parler d’amour ?), rate l’altérité. Même pour une personne narcissique, dans la phase initiale de la relation, l’émoi de la rencontre est constitué sur une altérité (cette altérité qui existe effectivement dans le réel, est bel et bien ressentie comme tel pendant un premier temps puis, dans un second temps, une fois qu’elle est persuadée d’avoir et de posséder et rassurée sur ce point, la personne narcissique efface l’altérité et transforme cet amour deux en relation deux sur fond de Un.

Reprenons :
L’amour s’établit sur la dualité (Il faut une altérité puisque, en effet, nous avons vu plus haut que l’amour nécessite, pour exister, du deux, sine qua non).
Dans une première phase la relation se constitue sur la différenciation. Puis, le partenaire narcissique prolonge son Moi chez un autre. L’autre comme un prolongement de lui-même, est rendu possible parce que, pour le narcissique, le regard du Moi sur lui-même a la même forme que le regard porté sur une personne étrangère à soi. Ainsi s’aimer soi-même dans l’autre consiste à considérer l’autre comme semblable à soi. C’est l’effet miroir. L’effet spéculaire. L’autre que je construis de cette façon (nous avons vu que dans une déclaration d’amour faite à l’autre, c’est en fait, moi que j’aime. Alors et là c’est difficile à suivre, ce Moi-même que j’aime est un autre imaginaire. Cet autre imaginaire (Moi vu dans l’autre) produit de la jouissance (jouissance en positif ou en négatif) cette jouissance ressentie, est effective pour le sujet. Cet ensemble de deux entités {L’autre imaginaire + la jouissance bien réelle}, Lacan le nomme : objet a. que je note dans ce texte avec cette typographie : (a)

C’est cet objet (a) qui va être utilisé dans la cure parce que pour le psychanalyste, (a) est la possibilité de disposer, dans sa représentation du patient, d’une forme d’altérité encore plus radicale : le {Moi-même que j’aime chez cet autre qui me renvoie mon reflet + la jouissance que provoque cet amour de Moi}

Voici un exemple d’utilisation de cette notion de l’objet (a)
Lorsqu’on est engagé dans une relation intime avec un narcissique, ce partenaire narcissique construit à partir de moi un objet (a) dans lequel il loge sa libido.
Il s’agit bien là, d’un ensemble constitué {d’un aimant (imaginairement aimant) + d’une libido (bien réelle)}
Je suis donc constitué en spéculaire de lui-même. Lorsqu’un narcissique est en analyse, le dispositif analytique permet au sujet d’en prendre conscience. En effet ce dispositif de l’analyse est constitué de telle façon qu’il ne permet pas au sujet d’appliquer, là, dans la cure, les outils de séduction qu’il a bien rodés ailleurs, ceux dont il use habituellement (et qui en général fonctionnent parce que le narcissique a un bon flair et s’arrange pour rencontrer le partenaire qui lui convient bien ; celui-là même qui sera tout à fait d’accord pour jouer le jeu avec lui).
Alors, du fait même que le psychanalyste ne cède pas. Le déroulement du processus habituellement utilisé par le narcissique, rencontre un obstacle.
Nous voyons qu’il y a discord entre ce que le patient désire et la proposition que l’analyste présente, en réponse à l’expression de ce désir.
La personne ne peut pas loger sa libido chez le psychanalyste comme si le psychanalyste était son prolongement. La conscience peut surgir chez le patient, afin de traiter la présence soudaine de l’obstacle. Le psychanalyste qui bien sûr ne cède pas à la sollicitation du narcissique, décomplète la jouissance-toute.
La jouissance-toute est recherchée par le narcissique dans sa relation à l’autre. En particulier, dans le cas où le narcissisme est pathologique, la personne ne supporte aucune frustration. Alors, pour satisfaire malgré tout cette jouissance-toute et face aux difficultés qu’elle ressent, elle peut mettre en œuvre une jalousie pathologique avec des interprétations erronées, hallucinées d’éléments qu’elle imagine être bel et bien présents dans sa réalité. Dans une relation avec une personne narcissique on est quelquefois époustouflé par la créativité qu’elle invente pour nourrir sa jalousie.

Ainsi l’analyste constitue du fait même de sa présence, un dispositif de cure où les conditions habituelles, pour la personne affectée d’un émoi issu du narcissisme, sont changées. A la faveur de la désadaptation qui se produit : la conscience du patient se mobilise pour résoudre ce conflit. Avec la conscience réapparue, les traces de l’ancien conflit englouti, surgissent à nouveau.

Je disais plus haut que je reviendrai sur la notion du don que constitue l’amour.

Aimer c’est donner.

Dans le domaine de l’amour (rappelons que je traite ici de l’amour qui est dans l’ordre du désir. Encore une fois, il est différent de la satisfaction du besoin) il n’y a de don que de ce l’on n’a pas. Je dirais avec mes mots : que de ce qui ne nous appartient pas. Ce qui n’appartient pas à l’aimé c’est l’attrait qu’il exerce sur l’aimant (dans cet attrait, l’aimé n’y est pour rien). On ne sait pas ce pour quoi, profondément, on est aimé. On peut utiliser, dans la réalité, des stratégies de séduction (en jouant sur l’identification et la satisfaction du besoin de l’autre et de soi) séduction que l’on met en avant (sa meilleure image) mais ce qui opère vraiment, ce qui émeut nous est inaccessible.
L’attrait qu’une personne exerce sur une autre personne est de l’ordre de l’être, non de l’ordre de l’avoir. A preuve, l’extrême variabilité des émotions ressenties selon les personnes, vis à vis d’un même individu (On dira : ‘’c’est étrange, on dirait que vous et moi, ne parlons pas du même’’). L’attrait n’est donc pas un avoir.

On retrouve la notion contenue dans la phrase : ‘’Je suis celui qui est’.

Ce don est en fait un don de rien fait par l’aimé.

Un don de rien. La notion considérée suivant là encore, deux acceptions : rien d’abord parce que cet attrait n’appartient pas à l’aimé. Rien ensuite, parce que c’est bien l’aimant qui (en présence de l’aimé) développe chez lui-même, en son for intérieur, cet attrait pour l’aimé.

[Dostoïevski] = [Si l’œil est là, l’objet se trouvera, et si vous n’avez pas l’œil, quel que soit l’objet, vous n’y trouverez rien]

L’émoi de l’attrait est dans le réel (Nous avons vu que les émotions ressenties par une personne, sont toujours dans le réel car elles sont bel et bien ressenties), l’émoi n’est pas un produit de l’imagination. (je dirais mais je ne sais si c’est valide : pour moi, le réel c’est le Père), par contre, tant que l’on n’a pas perçu le réel, le contenu de l’attrait est dans l’imaginaire, l’attrait c’est la satisfaction des besoins. La réalité est une construction que chacun se sculpte, en bricolant comme il peut. Le contenu de l’attrait, c’est la réalité, pour le commun des mortels ; Les spiritualités parlent de la fulgurance de l’accès aux réels pour des happy-few.

Bon, c’est un peu compliqué à suivre. Alors je me donne des outils.
Ça m’aide à penser et à comprendre (mais je ne sais si c’est valide) de me risquer à dire que le réel c’est la parole du sauveur du monde, (perçue, selon certains témoignages, dans un éblouissement) et que la réalité c’est ce que raconte mon voisin.

Jean 4, 42) Et ils disaient à la femme : ce n’est plus à cause de ce que tu as dit que nous croyons ; car nous l’avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde.

L’amour est liberté de ressentir. La liberté : quelle fragilité ! Que de prisons pour la contraindre ! Me vient à l’esprit qu’à des époques plus anciennes, l’initiative de la rencontre avec l’altérité de dieu pouvait prendre la forme d’une injonction accompagnée de sanctions. De par la loi (humaine) un groupe se voyait sommer de croire en dieu tel que défini par les autorités. Il était interdit de douter : apostasie ou d’émettre des réserves : blasphème voire de diverger : hérésie.

L’amour c’est s’isoler avec un autre, pour que chacun se constitue vecteur pour l’autre, vecteur afin que cet autre ressente l’amour,

Lacan dit : ‘’ Je ne suis pas là pour son bien, mais pour qu’il aime ‘’.
Jean 4, 14 ) Et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle.

Jean 8,12 ) Je suis la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie.

On l’a compris : dans le réel chacun se constitue vecteur d’amour pour l’autre. Vecteur afin que cet autre ressente l’amour, c’est bien ce qui manque à chacun primordialement dans le réel (encore une fois : ‘’ je ne suis pas là pour son bien, mais pour qu’il aime ‘’ dit Lacan).

Dans le réel, ‘’un aimant ne peut savoir ce qui lui manque ; qu’il ne le sache pas est sa part d’inconscience’’.
Alors, si, dans le réel, un aimant ne peut pas savoir ce qui lui manque, on a vu plus haut que, à contrario, dans la simple réalité l’aimant peut savoir (partiellement) ce qui lui manque parce qu’il s’agit, là, de simples besoins.

Freud a énoncé cette phrase restée célèbre : ‘’ Wo es war, soll ich Werden’’. A traduire par : là où quelque chose (d’inconscient en moi) était (à entendre comme : constituait source d’émotion, m’animait, m’incitait au mouvement), je dois m’y loger.

Lacan précise encore davantage : ‘’je dois m’y loger dans la logique du ça. Je comprends : je m’y loge non pas avec mon mental souverain (les représentations du mental sont de l’ordre de la réalité) qui déciderait que désormais ceci ou cela (les fameuses bonnes résolutions prises chaque début d’année) mais je m’y loge en accord avec mon désir (sans objet à priori, rappelons-le) mû par mon inconscient, dans la logique même de mon inconscient. Et puisqu’il s’agit de l’inconscient je ne sais pas ce qui me fait me mouvoir. J’agis sans résolution préalable. Cependant je sais que j’y suis grâce aux émotions qui me traversent. Les actes dont je suis témoin, mes relations, les pensées des autres et les miennes m’émeuvent, me touchent au cœur.
En gros, je dirais : dans certaine démarche, le changement est obtenu sous le contrôle du mental (avec un arsenal de résolutions) et dans une cure psychanalytique la visée est le changement mu par un réaménagement de l’inconscient débarrassé des traces archaïques toxiques.
Je ne suis pas loin de penser, mais c’est peut-être trop m’avancer. En tout cas ça m’aide à comprendre en faisant un pont entre l’évangile de Jean et Lacan.
Je ne suis pas loin de penser donc, que la source d’eau vive c’est l’inconscient lorsqu’il a accès au réel. En disant cette équivalence je ne suis pas certain d’être valide. J’ai l’impression de me tromper mais je ne sais pas où et en quoi mais bon, je bricole avec mes faibles moyens. Ce n’est pas facile à comprendre.
(Heureux mais rares happy few, qui ont pour inconscient un inconscient, source d’eau vive. Happy Few qu’ils sont devenus à l’issue du voyage, après avoir quitté le « là où c’était » et lorsqu’ils voient le réel (je dois m’y loger). Lacan parle de ‘ l’accès au bord du trou du réel’ Ils auront alors à écrire (vocabulaire lacanien) leur vie. On l’a compris, le réel vu, non par le mental, mais dans la focale de l’inconscient. Je dirais dans la focale de l’intuition.
Je ne sais pas s’il est valide d’énoncer cette équivalence-là, entre l’inconscient archaïque réaménagé par l’accès au réel et l’intuition, source d’eau vive).
Reprenons : ‘’ là où c’était, je dois m’y loger’’. Et m’y loger dans la logique du ça.
C’est un gros effort à faire mais je trouve qu’il est important et bénéfique d’essayer de comprendre. On a vu (du moins, je l’espère) plus haut ce qu’est le réel. Nous allons avoir à l’utiliser.

Le ‘je’ trouvant sa place dans la logique du ‘ça’ dixit Lacan (je me risque à dire : cette phrase est là pour insister, insister, insister afin de bien nous faire comprendre qu’il ne trouve pas sa place dans la logique du mental). La logique du mental, on a l’habitude, on connaît. Mais lorsque le ’je’’ se déplace dans la logique du ça, dans la logique de l’intuition, il peut se produire une mutation : la mutation consistant en ce que l’autre (l’individu qui satisfaisait plus ou moins, selon ses compétences, mes besoins) entre dans le réel (l’être qui me fait accéder à l’amour et qui accède réciproquement à l’amour du seul fait des présences en acte, du seul fait des deux altérités reconnues et respectées) ou plus précisément dans le vocabulaire de Lacan accède au bord du trou du réel ( c’est-à-dire l’autre que je mettais auparavant dans l’imaginaire, entrainé que j’étais à suivre les traces du passé, et bien à présent il y a changement et cet autre je le vois dans le réel ( du coup il devient l’altérité). A ce stade il convient de s’accrocher.

Pour cela, résumons par une formule :
– d’un côté associons dans une même phrase, les vocables l’autre et la réalité en disant : ‘’l’autre est dans le registre de la réalité’’.
L’autre satisfait mes besoins.

 

– d’un autre coté associons deux autres vocables en disant : ‘’l’altérité est dans le registre du réel’’.
L’altérité de sa présence me donne accès à l’amour. Il est pour moi vecteur d’amour.

En effet pour Lacan, l’autre est dans l’imaginaire.

L’autre m’apporte ceci cela, me rassure, me comble. Il est là pour ça, il est né pour ça : dans l’imaginaire ça me parait bien évident que l’autre est là pour satisfaire mes besoins. Et pourquoi ? Et bien parce que je le vaux bien (slogan publicitaire bien connu !). Et alors et avec l’aide de mon imaginaire débridé, l’altérité en prend un coup et saute à pieds joints depuis le réel où, fondamentalement, originairement, elle résidait et où elle aurait dû demeurer. Elle n’y demeure pas : le mythe de la Genèse nous apprend que l’humanité (à l’époque Adam et Eve) a été droit dans l’arbre de la connaissance qu’elle devait pourtant prendre bien soin d’éviter. Il y eu l’accident de la rencontre avec le serpent (cause de la sortie de l’éden). Depuis lors, l’humanité saute donc, dans le bouillon de l’imaginaire et ceci afin de satisfaire les précieux besoins qui s’y trouvent en nombre. (Ah ! Non, Mais ! qu’est-ce que vous croyez ! Je ne vais pas me laisser faire comme ça ! …… ).
Sorti de l’éden, je ne vois plus la personne avec laquelle je suis en relation, dans son altérité (on parle du prochain). Je la vois, je la ressens avec mon phantasme, selon mon intérêt, mes projections, mon besoin d’être réparé, consolé, soulagé de mes fardeaux. Pour moi, il est l’autre.

Jean 4, 11) Seigneur, lui dit la femme, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond ; d’où aurais-tu donc cette eau ?
On est bien dans l’ordre du besoin, de la réalité.

Jean 4, 14) Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif.
On n’est pas sur la même longueur d’onde.

Jean 4, 15) La femme lui dit : Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus ici. (le puits est probablement loin de chez elle). Cette femme semble avoir le sens pratique.

A l’issue de la cure analytique, lors du dénouement, Les perceptions sont en ordre. Les émois dus à l’altérité sont ressentis avec une perception qui maintient l’altérité là où elle a toujours été : dans le réel. A l’issue de la cure, on sait distinguer ce qui est de l’ordre du réel de ce qui est de l’ordre de la réalité.
Savoir distinguer réalité et réel, ne veut pas dire que l’on accède au réel. Il est insaisissable.
Par contre pour ce qui concerne la réalité, ça va ; on sait faire. Chacun choisit la sienne. Ne vous trompez pas de véhicule, ne vous mélangez pas les pinceaux !

[Simone Weil] [Il est donné à très peu d’esprits de découvrir que les choses et les êtres existent, et peut-être devrons-nous nous en féliciter. La découverte d’une existence autre que la nôtre produit un saisissement dont il est malaisé de se remettre].

Lorsque les deux protagonistes savent distinguer (ou au moins l’un d’entre eux) ce qui est de l’ordre de l’autre de ce qui est l’ordre de l’altérité, il n’y a plus de jugement, juste un aménagement concerté de la réalité (organisation pratique, agenda, loisirs et travail, etc. …) pour que cette réalité soit la plus agréable à vivre qu’il est possible en l’organisant au mieux. Le prochain (dans le réel) me permet de l’instituer comme vecteur pour qu’avec lui, et grâce à sa présence, j’accède à l’amour et réciproquement, qu’avec moi, il accède pareillement. Les protagonistes deviennent l’un pour l’autre, vecteur d’amour.

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤ J’aborde à présent la problématique du langage et de la fulgurance ¤¤¤¤¤¤¤¤

Pour Jacques Lacan, le symbolique (c’est-à-dire ce qui relève du signifiant, du langage, qui piège constamment le sujet parlant, sujet parlant dénommé le « parlêtre ») n’est jamais susceptible d’atteindre le réel qui, par définition, serait précisément ce que l’on rate.
Pourtant il convient de s’en approcher, avec, en tête, l’idée qu’on ne pourra jamais être complet et donc de ne pas être déçu si on n’y arrive pas.

L’écriture attire notre intérêt, en cherchant à communiquer une chose qui sans cesse échappe, devient multiple, elle invente des formes, elle cherche la fulgurance et l’éclat pour dire l’ombre et l’indicible, elle multiplie les paradoxes, elle écrit dans les interstices.

Le retour au récit participe de cette défaillance de la langue. Le récit permet une reconstitution imaginaire de ce qui nous échappe, il a à voir avec le rêve, il aide à cerner cet ineffable que la musique, par exemple, ou la danse, porte quelquefois, si bien en elle.
Ceci est particulièrement sensible par l’intérêt que l’œuvre porte aux choses les plus petites, choses communes, vulgaires, parfois mais dont l’agencement (lorsqu’il participe du génie) nous fait accéder pourtant au mystère / Par exemple en écoutant de la musique. Mozart.
Qu’en est-il de ce mystère ? c’est peut-être le langage et son ratage qui vont nous permettre de nous en approcher. La chose manque au signe. A entendre comme la chose est plus vaste que le mot qui la désigne. Tout nom manque sa chose. Quelque chose manque au langage. la parole souffre de ce qu’elle ne peut atteindre, de ce qui, du langage, lui manque.

L’attention se porte sur le rien (étymologie latine ‘’res’’ la chose), qui insiste, qui fait signe vers une réalité insaisissable. On a accès à des scènes qui signalent une acuité du détail pour ouvrir sur autre chose. Ces moments échappent à l’évènementiel, ils sont à peine racontables.

Les personnes développent dans leur vie : une multitude de facettes. Telle facette est splendide, telle autre fait montre d’une souffrance issue de l’histoire de la personne. Est-il possible de s’appuyer sur l’expérience acquise dans le domaine de la facette saine pour nourrir et si possible guérir la facette abimée.
Pour se faire, j’imagine une fiction : ce serait une personne. Pour les besoins de la fiction et afin de camper les caractéristiques du personnage, j’en choisis arbitrairement le genre : mettons que ce soit une femme (mais ce pourrait tout aussi bien être un homme) qui a coupé les amarres avec l’amour intime, déçue qu’elle est par son expérience passée avec les hommes. Elle serait pourtant sensible à cet ineffable car elle connaitrait, saurait apprécier la joie que lui procure la pratique de son activité professionnelle (dans cette fiction, elle exercerait dans l’humanitaire). Elle sentirait bien que cet ineffable existe mais ne saurait pas, aveuglée par les blessures du passé, le vivre dans sa vie affective. Dans le domaine de l’amour intime, affectif, elle ferait barrage à cet accès à l’ineffable qui deviendrait pour elle signe de menace. Pourtant elle possèderait en elle l’expérience, la sensation de celui-ci (mais limité au domaine de sa profession). Pourtant elle n’aurait qu’à se laisser aller à cette sensation et elle verrait alors dans son environnement et dans son quotidien comment se réconcilier avec l’amour intime, qu’elle saurait à mon avis, mieux appréhender et repérer puisqu’elle le connaîtrait par ailleurs. En fait il faudrait qu’elle voie l’ineffable de l’autre. L’autre sous ses oripeaux (il n’est pas parfait, il est affecté par le Pas-Tout). Les oripeaux sont le résultat de la façon qu’a eu cet autre, de s’être construit dans son histoire pour surmonter les contradictions qu’il a rencontrées. Dans sa vie intime, cette femme voudrait rompre avec la dimension de l’amour (elle dirait que ça l’encombre, qu’elle ne veut plus en entendre parler, ça suffit comme ça !) alors qu’elle aurait les moyens de rencontrer le meilleur d’elle-même dans cette dimension de sa vie intime (ce que j’appelle la dimension de sa féminité. Dans la fiction, je l’imaginerais comme un être splendide, rayonnant, (tout autant physiquement que spirituellement) mais elle préfèrerait gérer sa vie avec le mental en appliquant des recettes qu’elle aurait entendues ici ou là ou en étant fidèle à des résolutions qu’elle aurait fait siennes.
Parmi les différentes facettes que présente une personne dans sa vie, je fais l’hypothèse qu’il est possible de transposer, d’exporter une ambiance émotionnelle d’une facette à l’autre.
Ainsi je fais l’hypothèse que, chez une personne, la sensation émotionnelle présente dans une facette rayonnante peut venir, par translation, nourrir une facette blessée.

Notre appétit pour l’ineffable témoigne en tout cas de notre désir d’être nourri dans cette dimension.

Jean 8, 30) Comme il disait cela, beaucoup crurent en lui.

Pour revenir au langage :
L’ineffable (par exemple la poésie) échappe aux définitions et aux catégorisations. On est là, hors du mental et de l’efficacité mais on est bien dans le domaine de la sensation et des effets que cette poésie nous fait.

C’est bien pour cela (une sensation qui n’a rien à voir avec le comblement causé par l’efficacité et la réussite d’un process) que l’amour est dans le domaine du don (le don lorsqu’il concerne l’altérité, cette altérité étant dans l’ordre du réel, un don de rien) et non dans la tentative de satisfaire les besoins de l’autre (Ah, qu’il ne souffre de rien ! Et si possible grâce à moi parce qu’ainsi, je me donne une chance de m’attirer sa reconnaissance et son attachement).
Dans la poésie, les moments échappent à l’évènementiel (la presse), au descriptif de l’intrigue (les romans), à l’analyse (les essais) ; l’écriture serait-elle capable comme la musique ou la danse ? de nous faire apparaître la chose insaisissable, de nous la faire ressentir tout au moins ? A-t-elle encore les pouvoirs d’enchantement qui étaient ceux de notre enfance ?

Cette femme dont je parlais, si elle atteignait dans son vécu intime, dans sa relation à l’autre ce qu’elle possède en abondance (mais qu’elle réserve soigneusement au seul domaine professionnel) cette femme pourrait-elle vivre pleinement, au meilleur d’elle-même (selon la belle expression de Jacques Salomé ?) Je dirais : non pas par la narration d’un état souhaitable, baigné de phantasmes, non pas en utilisant le discours intellectuel. Dans ce cas ce serait un passage par le mental mais pourrait-elle engager sa présence, dans un environnement où elle organiserait au mieux l’existence pratique pour que la réalité soit confortable. Engager sa présence sans utiliser une séduction intentionnelle (par exemple pour atteindre habilement une visée stratégique). Alors le mystère de la personne avec laquelle cette femme serait en relation, l’altérité de cette personne se manifesterait pour cette femme (du moins elle s’en donnerait la possibilité ; quitte ensuite, si elle en a l’opportunité, à décliner cette possibilité dans son vécu affectif). En fait elle est paralysée par ses émotions anciennes de rejet, de peur de l’autre (sauf dans le registre professionnel, bien cadré celui-là ; ce cadrage limité ayant le pouvoir de la rassurer).

J’ai parlé plus haut de l’opportunité que représentent les difficultés existentielles pour entamer un changement :
[… ?] [Après qu’on a ruiné la cupidité des richesses des honneurs et des plaisirs du monde, il s’élève dans l’âme de cette ruine d’autres honneurs, d’autres richesses, d’autres plaisirs qui ne sont pas du monde visible mais de l’invisible].
Cette femme, peut-elle, depuis ses blessures, atteindre d’autres rivages, d’autres invisibles ?

Pourquoi tenter d’atteindre une dimension autre ?
[… ?] [Nous encombre la vanité des idées qui ne sont que des besoins].

Jean 8, 22) Là où je vais, vous, vous ne pouvez pas venir.

J’utilise ce signe : [… ?] pour indiquer que j’ai perdu dans mon travail d’écriture, la référence de l’auteur de la citation.

Je disais que les personnes sont composées d’une multitude de facettes.
Dans le travail de recherche, pour cette écriture, je me suis posé la question de savoir s’il existait dans mon paysage de vie, une personne qui, pour moi serait emblématique de la relation telle que je tente de la décrire ici.
J’ai constaté que j’ai la chance de pouvoir répondre affirmativement à cette question.

Parmi les multiples facettes que présentent les existences des personnes, je sélectionne la facette qui concerne une relation que j’ai pu mettre en place dans mon histoire. Il s’agit de la relation entre un enseignant de chant et ses élèves. J’emploie le pluriel parce qu’il m’apparait que je ne suis pas le seul, dans notre chorale, à ressentir cette dimension.

Je pense à cet enseignant de chant qui tourne autour du pot de nos imperfections, nous écoute, aménage son enseignement musical pour que nous puissions accéder à ce qu’il nous propose et ainsi, avec beaucoup de patience et de délicatesse, nous tire vers un ailleurs qui nous était inconnu jusque-là, un ailleurs que nous ne soupçonnions pas nous appartenir, un ailleurs hors du nous-mêmes archaïque d’origine et nous constatons émerveillés, que nous accédons à un sublime (à notre échelle certes, mais compatible avec la notion du pas-tout vu plus haut) lorsque dans notre interprétation de la phrase musicale, nous émettons un bricolage-compromis entre ce qu’il propose et ce que nous sommes capables de restituer. Il intègre dans son enseignement nos faiblesses, nos erreurs pour que l’exercice nous soit accessible, adapté à chacun (il propose souvent des travaux individuels qui profitent tout à la fois à la personne qui apprend à ce moment-là et aux autres qui assistent à la pratique). Le résultat collectif, appuyé sur les possibilités de chacun, demeure beau musicalement et soutenable pour un public venu écouter un concert (bien sûr, essentiellement pour écouter le concertiste principal). L’accueil que ce public manifeste à l’issue du concert, me fait penser que, nous, les choristes, ne dénotons tout de même, pas trop.

Bonheur, pour les élèves, de participer à ce travail sur eux-mêmes et probablement (visiblement) aussi bonheur pour l’ enseignant de proposer une pratique dans le domaine du sublime.

L’attitude de l’enseignant envers nous développe une conséquence secondaire : nous nous sentons, comme étant chacun différents, chacun unique avec nos forces et nos faiblesses spécifiques, et chacun s’appuyant sur les forces et les faiblesses des autres choristes pour trouver notre place musicalement.
Nous avons appris à écouter, en répétitions et surtout en concert (car là est un état particulier), les autres comme si nous étions simplement, tout comme le public, auditeur. Dans le même mouvement, nous avons accès à la capacité de nous entendre nous-mêmes. C’est probablement cela l’altérité.
Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein.

Bonne lecture.




La Trinité de Roublev

Nous joignons un lien sur une analyse-méditation de l’icône de la Trinité d’Andreï Roublev qui nous a beaucoup appris sur cette icône.
amitiés à tous
Véronique et Paul



Réflexions sur la prière de Martin Steffens

Retrouvez une conférence du philosophe Martin Steffens
dans une vidéo sur le thème « méditation pleine conscience et prière »
https://youtu.be/7yNbL2rJURg

et un article qu’il a écrit dans le journal La Croix, paru le 27/4/20:

« Le confinement est un » temps idéal pour prier ». Idéal pour s’y mettre. Ou pour s’y mettre davantage. Comme la course à pied, le tricot ou la lecture. Le problème vient de ce qu’il n’y a rien de plus éloigné de la prière que cette idée d’idéal. L’idéal est la représentation mentale que, en raison de sa perfection, on érige en norme de son action et on juge de la réalité. La femme qui attend un enfant espère être une mère idéale : patiente, organisée, prête à offrir à son enfant tout ce qu’elle-même n’a pas reçu dans son enfance. Ce qui travaille idéal, c’est une logique ascendante : on projette dans le futur un Moi rêvé, sinon parfait, et en tous les cas meilleur, puis on fait l’effort vers lui. Le seul défaut du Moi idéal, c’est de n’être pas. Ou pas encore. Ou toujours pas. Mais à qui la faute ? Pas à l’idéal puisqu’il est parfait ! La faute au moi réel, incarné, qui finirait presque par désespérer de sa réalité …

Heureusement pour nous, la prière commence là où l’idéal cesse. La prière, c’est la logique descendante : vois, mon Dieu, comme je ne suis pas prêt, comme je ne suis pas digne de te recevoir, comme je suis à côté, loin de Toi, loin de tout, loin du compte. C’est rencontrer sa propre sécheresse. » Nous ne savons pas prier », disent les disciples de Jésus (Lc 11,1). C’est là un bon début. Peut-être le seul. Ne pas savoir quoi dire. Et le dire. Balbutier et bégayer. Ce dernier mot vient d’ailleurs de l’anglais to beg qui signifie « prier »..Plus exactement : « supplier, « mendier ». La prière confie ces choses que l’on ne dit qu’en suppliant, en se pliant. Ce n’est même pas qu’on se met à genoux, on l’est déjà.

Il y a certes des prières qui ont la grâce de l’évidence. Il y a l’action de grâce. Le merci qui monte irrésistiblement, en saluant la clarté de l’aurore ou en rendant à l’inconnu le sourire qu’il me tend. Mais on parle ici d’une prière à laquelle se mettre en temps de confinement, d’inquiétude, d’ennui, de détresse. Or tout ce que nous rencontrons, dans cet effort pour se concentrer un peu, c’est notre impuissance. La prière n’y peut rien. Elle y consent seulement.

Dans l’ordinaire de notre vie, nous partageons au monde nos aptitudes. Dans notre prière, nous offrons notre part d’impuissance. C’est ce qui la rend toujours possible et actuelle. Car si la prière commence là où elle croyait avoir atteint son point de nullité ultime, rien ne doit l’interdire, pas même notre inaptitude à prier. Il n’est jamais besoin d’attendre que les conditions soient idéalement réunies, si ce que nous offrons dans la prière, c’est notre humble condition de femmes et d’hommes.

Plus ça avance, plus je crois que le confinement n’est le temps idéal de rien. Prier n’est pas avoir trouvé un bon moyen pour cesser enfin de perdre son temps quand celui-ci était encore accaparé par mille choses. C’est toujours le perdre. Mais c’est le perdre pour Dieu, comme on accepte par avance de prendre avec un proche le temps qu’il faudra. On peut réussir sa relaxation, son heure de méditation pleine conscience. La prière elle, est l’aveu premier d’un échec. À cause d’elle nous sommes appelés à échouer. Dans les bras de Dieu. »

Pour retrouver l’article
https://www.la-croix.com/Priere-2020-04-17-1101089794



Le christianisme à l’heure de la maladie

Texte paru dans l’hebdo la Vie

De Tomás Halík

Notre monde est malade.

Je ne fais pas seulement référence à la pandémie du coronavirus, mais à l’état de notre civilisation, tel qu’il se révèle dans ce phénomène mondial. En termes bibliques : c’est un signe des temps.

Au début de ce temps de Carême inhabituel, nombre d’entre nous pensaient que cette épidémie allait provoquer une panne généralisée de courte durée, une rupture dans le fonctionnement habituel de la société, que nous allions surmonter d’une manière ou d’une autre, et que bientôt tout rentrerait dans l’ordre comme cela était auparavant. Ce ne sera pas le cas. Et cela ne se passerait pas bien si nous essayions. Après cette expérience globale, le monde ne sera plus le même qu’avant, et il ne devrait probablement plus l’être.

Lors de grandes calamités, il est naturel de se préoccuper d’abord des besoins matériels pour survivre ; mais « on ne vit pas que de pain ». Le temps est venu d’examiner les implications plus profondes de ce coup porté à la sécurité de notre monde. L’inévitable processus de la mondialisation semblerait avoir atteint son apogé : la vulnérabilité générale d’un monde global saute maintenant aux yeux.

L’Église comme hôpital de campagne

Quel genre de défi cette situation représente-t-elle pour le christianisme et pour l’Église – un des premiers « acteurs mondiaux » – et pour la théologie ?

L’Église devrait être un « hôpital de campagne », comme le Pape François le propose. Par cette métaphore, le pape veut dire que l’Église ne doit pas rester dans un splendide isolement loin du monde, mais doit se libérer de ses frontières et apporter de l’aide là où les gens sont physiquement, mentalement, socialement et spirituellement affligés. Oui, c’est comme cela que l’Église peut se repentir des blessures infligées tout récemment par ses représentants aux plus faibles. Mais essayons de réfléchir plus profondément à cette métaphore -et de la mettre en pratique.

Si l’Église doit être un « hôpital », elle doit bien sûr offrir les services sanitaires, sociaux et caritatifs qu’elle a offerts depuis l’aube de son histoire. Mais en tant que bon hôpital, l’Église doit aussi remplir d’autres tâches. Elle a un rôle de diagnostic à jouer (en identifiant les « signes des temps »), un rôle de prévention (en créant un « système immunitaire » dans une société où sévissent les virus malins de la peur, de la haine, du populisme et du nationalisme) et un rôle de convalescence (en surmontant les traumatismes du passé par le pardon).

Les églises vides : un signe et un défi

L’an dernier, juste avant Pâques, la cathédrale Notre-Dame de Paris a brûlé ; cette année, pendant le Carême, il n’y a pas de services religieux dans des centaines de milliers d’églises sur plusieurs continents, ni dans les synagogues et les mosquées. En tant que prêtre et théologien, je réfléchis à ces églises vides ou fermées comme un signe et un défi de Dieu.

Comprendre le langage de Dieu dans les événements de notre monde exige l’art du discernement spirituel, qui à son tour appelle un détachement contemplatif de nos émotions exacerbées et de nos préjugés, ainsi que des projections de nos peurs et de nos désirs. Dans les moments de désastre, les « agents dormants d’un Dieu méchant et vengeur » répandent la peur et en font un capital religieux pour eux-mêmes. Leur vision de Dieu a apporté de l’eau au moulin de l’athéisme pendant des siècles.

En temps de catastrophes, je ne vois pas Dieu comme un metteur en scène de mauvaise humeur, assis confortablement dans les coulisses des événements de notre monde, mais je le vois plutôt comme une source de force, opérant chez ceux qui font montre de solidarité et d’amour désintéressé dans de telles situations – oui, y compris ceux qui n’ont pas de « motivation religieuse » pour leur action. Dieu est amour humble et discret.

Mais je ne peux m’empêcher de me demander si le temps des églises vides et fermées n’est pas une sorte de vision nous mettant en garde sur ce qui pourrait se passer dans un avenir assez proche : c’est à cela que pourrait ressembler dans quelques années une grande partie de notre monde. N’avons-nous pas déjà été avertis par ce qui se passe dans de nombreux pays, où de plus en plus d’églises, de monastères et de séminaires se vident et ferment leur porte ? Pourquoi avons-nous pendant si longtemps attribué cette évolution à des influences externes (« le tsunami séculier ») au lieu de comprendre qu’un autre chapitre de l’histoire du christianisme arrive à son terme et qu’il est temps de se préparer pour un nouveau ?

Cette époque de vide dans les bâtiments d’église révèle symboliquement peut-être la vacuité cachée des Églises et leur avenir probable, à moins qu’elles ne fassent un sérieux effort pour montrer au monde un visage du christianisme totalement différent. Nous avons beaucoup trop cherché à convertir le « monde » (« le reste »), et beaucoup moins à nous convertir nous-mêmes – pas une simple « amélioration », mais un changement radical de l’« être chrétien » statique en un « chrétien-en-devenir » dynamique.

Quand l’Église médiévale a fait un usage excessif des interdits comme sanction et que ces « grèves générales » de toute la machine ecclésiastique signifiaient que les services religieux n’avaient plus lieu et que les sacrements n’étaient plus administrés, les gens ont commencé à rechercher de plus en plus une relation personnelle avec Dieu, une « foi nue ». Les fraternités laïques et le mysticisme se sont multipliés. Cet essor du mysticisme a sans aucun doute contribué à ouvrir la voie à la Réforme – non seulement celle de Luther et de Calvin mais aussi la réforme catholique liée aux Jésuites et au mysticisme espagnol. Peut-être que la découverte de la contemplation pourrait aider à compléter la « voie synodale » vers un nouveau concile réformateur.

Un appel à la réforme

Nous devrions peut-être accepter l’actuel sevrage des services religieux et du fonctionnement de l’Église comme un kairos, une opportunité pour nous arrêter et nous engager dans une réflexion approfondie devant Dieu et avec Dieu. Je suis convaincu que le temps est venu de réfléchir à la manière de poursuivre le mouvement de réforme que le Pape François dit être nécessaire : non des tentatives de retour à un monde qui n’existe plus, ni un recours à de simples réformes structurelles externes, mais plutôt un changement vers le cœur de l’Évangile, « un voyage dans les profondeurs ».

Je ne vois pas en quoi une solution succincte sous forme de substituts artificiels, comme que la télédiffusion de messes serait une bonne solution à l’heure où le culte public est interdit. Le passage à la « piété virtuelle », à la « communion à distance » et à la génuflexion devant un écran de télévision est vraiment quelque chose de bizarre. Nous devrions peut-être plutôt tester la vérité des paroles de Jésus : là ou deux trois personnes sont réunies en mon nom, je suis avec elles.

Pensions nous vraiment répondre au manque de prêtres en Europe en important des « pièces de rechange » pour la machinerie de l’Église à partir d’entrepôts apparemment sans fond en Pologne, en Asie et en Afrique ? Nous devons bien sûr prendre au sérieux les propositions du synode sur l’Amazonie, mais nous devons simultanément accorder plus de place au ministère des laïcs dans l’Église ; n’oublions pas que, dans de nombreux territoires, l’Église a survécu sans clergé pendant des siècles entiers.

Peut-être que cet « état d’urgence » est un révélateur du nouveau visage de l’Église, dont il existe un précédent historique. Je suis persuadé que nos communautés chrétiennes, nos paroisses, nos congrégations, nos mouvements d’Église et nos communautés monastiques devraient chercher à se rapprocher de l’idéal qui a donné naissance aux universités européennes : une communauté d’élèves et de professeurs, une école de sagesse, où la vérité est recherchée à travers le libre débat et aussi la profonde contemplation. De tels îlots de spiritualité et de dialogue pourraient être la source d’une force de guérison pour un monde malade. La veille de l’élection papale, le cardinal Bergoglio a cité un passage de l’Apocalypse dans lequel Jésus se tient devant la porte et frappe. Il a ajouté : Aujourd’hui le Christ frappe de l’intérieur de l’Église et veut sortir. Peut-être est-ce ce qu’il vient de faire.

Où est la Galilée d’aujourd’hui ?

Depuis des années, je réfléchis au texte bien connu de Friedrich Nietzsche sur le « fou » (le fou qui est le seul à pouvoir dire la vérité) proclamant « la mort de Dieu ». Ce chapitre s’achève par le fait que le fou va à l’église pour chanter « Requiem aeternam deo » et demande : « Après tout, que sont vraiment ces églises sinon les tombeaux et les sépulcres de Dieu ? » Je dois bien admettre que pendant longtemps plusieurs aspects de l’Eglise me paraissaient de froids et opulents sépulcres d’un dieu mort.

Il semble que de beaucoup de nos églises seront vides à Pâques cette année. Nous lirons ailleurs les passages de l’évangile sur le tombeau vide. Si le vide des églises évoque le tombeau vide, n’ignorons pas la voix d’en-haut : « Il n’est pas ici. Il est ressuscité. Il vous précède en Galilée. »

Une question pour stimuler notre méditation pendant cette Pâques étrange : Où se trouve la Galilée d’aujourd’hui, où nous pouvons rencontrer le Christ vivant ?

Les recherches sociologiques indiquent que dans le monde le nombre de « résidents » (à la fois ceux qui s’identifient totalement avec la forme traditionnelle de la religion et ceux qui affirment un athéisme dogmatique) diminue alors que le nombre de « chercheurs » augmente. En outre, il y a bien sûr un nombre croissant d’« apathéistes » – des gens qui se moquent des questions de religion ou de la réponse traditionnelle qu’on leur donne.

La principale ligne de démarcation n’est plus entre ceux qui se considèrent croyants et ceux qui se disent non-croyants. Il existe des « chercheurs » parmi les croyants (ceux pour qui la foi n’est pas un « héritage » mais un « chemin »), comme parmi les « non-croyants », qui, tout en rejetant les principes religieux proposées par leur entourage, ont cependant un désir ardent de quelque chose pour satisfaire leur soif de sens.

Je suis convaincu que « la Galilée d’aujourd’hui », où nous devons rechercher Dieu, qui a survécu à la mort, c’est le monde des « chercheurs ».

A la recherche du Christ parmi les chercheurs

La Théologie de la Libération nous a enseigné à chercher le Christ parmi ceux qui sont en marge de la société. Mais il est aussi nécessaire de le chercher chez les personnes marginalisées au sein de l’Église, parmi ceux « qui ne nous suivent pas ». Si nous voulons nous connecter avec eux comme disciples de Jésus, nous allons devoir abandonner beaucoup de choses.

Il nous faut abandonner bon nombre de nos anciennes notions sur le Christ. Le Ressuscité est radicalement transformé par l’expérience de la mort. Comme nous le lisons dans les Évangiles, même ses proches et ses amis ne l’ont pas reconnu. Comme l’apôtre Thomas, nous n’avons pas à prendre pour argent comptant les nouvelles qui nous entourent. Nous pouvons persister à vouloir toucher ses plaies. En outre, où serons-nous sûrs de les rencontrer sinon dans les blessures du monde et les blessures de l’Église, dans les blessures du corps qu’il a pris sur lui ?

Nous devons abandonner nos objectifs de prosélytisme. Nous n’entrons pas dans le monde des chercheurs pour les « convertir » le plus vite possible et les enfermer dans les limites institutionnelles et mentales existantes de nos Églises. Jésus, lui non plus, n’a pas essayé de ramener ces « brebis égarées de la maison d’Israël » dans les structures du judaïsme de son époque. Il savait que le vin nouveau doit être versé dans des outres nouvelles.

Nous voulons prendre des choses nouvelles et anciennes dans le trésor de la tradition qui nous a été confié et les faire participer à un dialogue avec les chercheurs, un dialogue dans lequel nous pouvons et devons apprendre les uns des autres. Nous devons apprendre à élargir considérablement les limites de notre compréhension de l’Église. Il ne nous suffit plus d’ouvrir magnanimement une « cour des gentils ». Le Seigneur a déjà frappé « de l’intérieur » et est sorti – et il nous appartient de le chercher et de le suivre. Le Christ a franchi la porte que nous avions verrouillée par peur des autres. Il a franchi le mur dont nous nous sommes entourés. Il a ouvert un espace dont l’ampleur et l’étendue nous donne le tournis.

Au seuil même de son histoire, l’Église primitive des Juifs et des païens a vécu la destruction du temple dans lequel Jésus priait et enseignait à ses disciples. Les Juifs de cette époque ont trouvé une solution courageuse et créative : ils ont remplacé l’autel du temple démoli par la table familiale juive et la pratique du sacrifice par celle de la prière privée et communautaire. Ils ont remplacé les holocaustes et les sacrifices de sang par le « sacrifice des lèvres » : réflexion, louange et étude des Écritures. A peu près à la même époque, le christianisme primitif, banni des synagogues, a cherché une nouvelle identité propre. Sur les décombres des traditions, les Juifs et les Chrétiens apprirent à lire la Loi et les prophètes à partir de zéro et à les interpréter à nouveau. Ne sommes-nous pas dans une situation similaire de nos jours ?

Dieu en toutes choses

Quand Rome est tombée au début du Ve siècle, il y a eu une explication instantanée de plusieurs côtés : les païens y ont vu un châtiment des dieux à cause de l’adoption du christianisme, tandis que les chrétiens y ont vu une punition de Dieu adressée à Rome, qui avait continué à être la prostituée de Babylone.  Saint Augustin a rejeté ces deux explications : à cette époque charnière il a développé sa théologie du combat séculaire entre deux « villes » adverses : non pas entre les chrétiens et les païens, mais entre deux « amours » habitant le cœur de l’homme : l’amour de soi, fermé à la transcendance (amor sui usque ad contemptum Deum) et l’amour qui se donne et trouve ainsi Dieu (amor Dei usque ad contemptum sui). La période actuelle de changement de civilisation n’appelle-t-elle pas une nouvelle théologie d’histoire contemporaine et une nouvelle compréhension de l’Église ?

« Nous savons où est l’Église, mais nous ne savons pas où elle n’est pas » nous a enseigné le théologien orthodoxe Evdokimov. Peut-être ce que le dernier concile a dit sur la catholicité et l’œcuménisme doit-il acquérir un contenu plus profond ? Le moment est venu d’élargir et d’approfondir l’œcuménisme, d’avoir une « recherche de Dieu en toutes choses » plus audacieuse.

Nous pouvons, bien sûr, accepter ce Carême aux églises vides et silencieuses comme une simple mesure temporaire brève et bientôt oubliée. Mais nous pouvons aussi l’accueillir comme un kairos – un moment opportun « pour aller en eau plus profonde » et rechercher une nouvelle identité pour le christianisme dans un monde qui se transforme radicalement sous nos yeux. La pandémie actuelle n’est certainement pas la seule menace globale à laquelle notre monde va être confronté aujourd’hui et dans le futur.

Accueillons le temps pascal qui arrive comme un défi pour rechercher à nouveau le Christ. Ne cherchons pas le Vivant parmi les morts. Cherchons- le avec audace et ténacité, et ne soyons pas surpris s’il nous apparaît comme un étranger. Nous le reconnaîtrons à ses plaies, à sa voix quand il nous parle dans l’intime, à l’Esprit qui apporte la paix et bannit la peur.

Tomás Halik (né en 1948) est professeur de sociologie à l’Université Charles de Prague, président de l’Académie Chrétienne Tchèque et aumônier de l’université. Pendant le régime communiste, il a été actif dans l’« Église clandestine ». Il est lauréat du Prix Templeton et docteur honoris causa de l’Université d’Oxford.

 




Une attente active

Catherine, d’un groupe de Paris, nous transmet un texte de Sylvie Germain, qui peut nous aider dans notre prière quotidienne:
« Je suis comme de très nombreux croyants : je n’ai pas reçu d’illumination particulière
et je n’ai pas non plus la grâce d’avoir la foi naïve et inébranlable du charbonnier. Je vis dans l’épais brouillard d’une foi qui se cherche. Je n’entends pas Dieu me parler mais n’en déduis pas pour autant qu’il a renoncé à s’adresser à moi. Il serait trop simple de dire : « Je n’y comprends rien, donc Dieu n’existe pas ». Entre l’athéisme et la foi reste une autre voie : celle de l’attente. Peut-être puis-je avoir l’humilité de reconnaître que je n’y vois pas clair, que je ne suis pas à la hauteur des immenses questions que je me pose. Alors il me faut accepter de vivre une attente active, habitée, patiente. Accepter d’emprunter l’étroit sentier du renoncement à toute certitude. J’attends quelqu’un qui est déjà en moi sous la forme d’un creux. C’est par son absence que Dieu, mystérieusement, se révèle en moi. (…) Un jour, peut-être, le silence finit par atteindre un degré suffisant de pureté pour se mettre à tinter. Il faut apprendre à écouter le silence de Dieu. Sans doute est-ce la seule voie offerte à ceux qui marchent dans la nuit. Les plus grands mystiques, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Thérèse de Lisieux ont tous fait cette expérience de « l’aphasie » de Dieu. Dans un mouvement de flux et de reflux, la foi oscille constamment entre de brefs et lumineux instants de certitude d’une présence et de longues heures d’obscurité. Si Elie finit par trouver, par entendre Dieu, c’est dans « un souffle de fin silence ». Après quarante jours de désert et de jeûne, Elie « entend » l’inaudible soupir de Dieu… (…) Saint Jean de la Croix a parlé de « la nuit obscure ». René Char a ce très beau vers : «  »J’aime qui m’éblouit puis accentue l’obscur à l’intérieur de moi. » Souvent j’ai l’impression d’être dans l’entre-deux de Pâques : ce n’est plus tout à fait le Vendredi saint mais ce n’est pas encore la Résurrection. Je suis un peu comme les pèlerins d’Emmaüs : à la seconde où, enfin, ils reconnaissent le Christ, celui-ci disparaît. Il est toujours ailleurs, et nous toujours en retard. »



Mandala de la création

Luce a écrit:
« Un matin , j’ai eu envie de faire une fleur de vie, et puis petit à petit est apparue la terre, alors j’ai lu la genèse, cela m’a fait sentir et reconnaître le cheminement de toute la création, et de sa Beauté:

« Au septième jour, Dieu avait terminé tout l’ouvrage qu’il avait fait… Dieu bénit le 7ème jour et le sanctifia… » (Gn 2,3)

Pour moi nous en sommes là, et maintenant…
C’est pour dire aussi à travers le mandala, que nous la portons tous en nous, (la création) et si on n’a pas la possibilité de voir les arbres du printemps ou les fleurs ou des chants d’oiseaux  à entendre parce qu’on est confiné en ville, dans un appart, etc….  et que c’est dur, on a tout ça en nous. Nous rentrons dans des temps nouveaux, alors que tous sans exception puissent vivre le printemps,  il est pour tous :  dehors… comme (et sans doute surtout ) dedans! »
Remarque de Françoise
Les nouvelles traductions écrivent :
Gn 1,27 Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa « masculin et féminin »



Risque ta vie et mange ta mort

Dans le prolongement de notre réflexion sur la prière,
Dominique a découvert un site intitulé « appelés à la liberté… » d’un certain Xavier Puren. L’itinéraire et les écrits de cet homme sont intéressants et tonifiants. Clic sur:
https://kestenig.fr/priere-risque-ta-vie-et-mange-ta-mort/
Après avoir envoyé ce lien à Catherine, voici ce qu’elle ecrit: « ce serait intéressant de le lire ensemble plus tard , ou chacun chez soi maintenant… et de noter les deux ou trois phrases qui nous concernent  particulièrement…  « 



Homélies sur le réveil de Lazare Jn 11,1-45

Aujourd’hui à la suite de l’évangile du 29/3/20  (Jn 11,1-45),
5eme dimanche de Carême année A
Invitation à écouter  l’homélie de Mgr Martin (de St Michel du var)
Sur le réveil de LAZARE:

Et aussi l’homélie du frère André-Jean (de l’abbaye d’encalcat):
www.encalcat.com/5-dimanche-du-careme-a_1088.php
bonne écoute




Sunrise mass

Jacqueline nous écrit:

Ce matin je suis avec vous avec cette magnifique messe d’un compositeur contemporain norvégien Ola Gjeilo : Sunrise mass

Je chante dans  un chœur d’une centaine de choristes de toute l’Occitanie qui se retrouvent(aient) un dimanche tous les 2 mois pour travailler ensemble cette œuvre et la donner en concert fin 2021. Pour moi c’est toujours un moment de grand bonheur  et en ces temps difficiles un grand moment d’espérance, comme rajoutait  hier Françoise au texte de  Pierre Alain Lejeune  « il n’y a pas de jour sans nuit »

 « Sunrise mass » C’est le lever du soleil : elle commence très doucement par le kyrie (le lever du jour) et commence à exploser avec le gloria quand le soleil sort ….   Elle dure environ 35/40mn

Voici le lien vers un enregistrement

Sur https://youtu.be/8YpI9UQEi1A




Homélie du pape 27/3

Ghislaine a écrit:

Cher amis, Avec vous tous encore ce matin et pour ceux qui ne l’ont pas vu, voici ces images et ces paroles impressionnantes du pape à Rome sous la pluie dans un Vatican déserté. C’est beau et inspirant. Humilité et compassion… Prières et souhaits pour tous ceux qui souffrent.

https://youtu.be/JgEBdOO6Juk

La suite avec le texte de l’homélie: 

« Le soir venu » (Mc 4, 35). Ainsi commence l’Evangile que nous avons écouté. Depuis des semaines, la nuit semble tomber. D’épaisses ténèbres couvrent nos places, nos routes et nos villes ; elles se sont emparées de nos vies en remplissant tout d’un silence assourdissant et d’un vide désolant, qui paralyse tout sur son passage : cela se sent dans l’air, cela se ressent dans les gestes, les regards le disent. Nous nous retrouvons apeurés et perdus. Comme les disciples de l’Evangile, nous avons été pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse. Nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant besoin de nous réconforter mutuellement. Dans cette barque… nous trouvons tous. Comme ces disciples qui parlent d’une seule voix et dans l’angoisse disent : « Nous sommes perdus » (v. 38), nous aussi, nous nous apercevons que nous ne pouvons pas aller de l’avant chacun tout seul, mais seulement ensemble.

Il est facile de nous retrouver dans ce récit. Ce qui est difficile, c’est de comprendre le comportement de Jésus. Alors que les disciples sont naturellement inquiets et désespérés, il est à l’arrière, à l’endroit de la barque qui coulera en premier. Et que fait-il ? Malgré tout le bruit, il dort serein, confiant dans le Père – c’est la seule fois où, dans l’Evangile, nous voyons Jésus dormir –. Puis, quand il est réveillé, après avoir calmé le vent et les eaux, il s’adresse aux disciples sur un ton de reproche : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » (v. 40).

Cherchons à comprendre. En quoi consiste le manque de foi de la part des disciples, qui s’oppose à la confiance de Jésus ? Ils n’avaient pas cessé de croire en lui. En effet, ils l’invoquent. Mais voyons comment ils l’invoquent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » (v. 38). Cela ne te fait rien : ils pensent que Jésus se désintéresse d’eux, qu’il ne se soucie pas d’eux. Entre nous, dans nos familles, l’une des choses qui fait le plus mal, c’est quand nous nous entendons dire : “Tu ne te soucies pas de moi ?”. C’est une phrase qui blesse et déclenche des tempêtes dans le cœur. Cela aura aussi touché Jésus, car lui, plus que personne, tient à nous. En effet, une fois invoqué, il sauve ses disciples découragés.

La tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté. La tempête révèle toutes les intentions d’“emballer” et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, toutes ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment “salvatrices”, incapables de faire appel à nos racines et d’évoquer la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité.

À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos “ego” toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette appartenance commune (bénie), à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Seigneur, ce soir, ta Parole nous touche et nous concerne tous. Dans notre monde, que tu aimes plus que nous, nous sommes allés de l’avant à toute vitesse, en nous sentant forts et capables dans tous les domaines. Avides de gains, nous nous sommes laissé absorber par les choses et étourdir par la hâte. Nous ne nous sommes pas arrêtés face à tes rappels, nous ne nous sommes pas réveillés face à des guerres et à des injustices planétaires, nous n’avons pas écouté le cri des pauvres et de notre planète gravement malade. Nous avons continué notre route, imperturbables, en pensant rester toujours sains dans un monde malade. Maintenant, alors que nous sommes dans une mer agitée, nous t’implorons : “Réveille-toi Seigneur !”.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Seigneur, tu nous adresses un appel, un appel à la foi qui ne consiste pas tant à croire que tu existes, mais à aller vers toi et à se fier à toi. Durant ce Carême, ton appel urgent résonne : “Convertissez-vous”, « Revenez à moi de tout votre coeur » (Jl 2, 12). Tu nous invites à saisir ce temps d’épreuve comme un temps de choix. Ce n’est pas le temps de ton jugement, mais celui de notre jugement : le temps de choisir ce qui importe et ce qui passe, de séparer ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est pas. C’est le temps de réorienter la route de la vie vers toi, Seigneur, et vers les autres. Et nous pouvons voir de nombreux compagnons de voyage exemplaires qui, dans cette peur, ont réagi en donnant leur vie. C’est la force agissante de l’Esprit déversée et transformée en courageux et généreux dévouements. C’est la vie de l’Esprit capable de racheter, de valoriser et de montrer comment nos vies sont tissées et soutenues par des personnes ordinaires, souvent oubliées, qui ne font pas la une des journaux et des revues ni n’apparaissent dans les grands défilés du dernier show mais qui, sans aucun doute, sont en train d’écrire aujourd’hui les évènements décisifs de notre histoire : médecins, infirmiers et infirmières, employés de supermarchés, agents d’entretien, fournisseurs de soin à domicile, transporteurs, forces de l’ordre, volontaires, prêtres, religieuses et tant et tant d’autres qui ont compris que personne ne se sauve tout seul. Face à la souffrance, où se mesure le vrai développement de nos peuples, nous découvrons et nous expérimentons la prière sacerdotale de Jésus : « Que tous soient un » (Jn 17, 21). Que de personnes font preuve chaque jour de patience et insufflent l’espérance, en veillant à ne pas créer la panique mais la coresponsabilité ! Que de pères, de mères, de grands-pères et de grands-mères, que d’enseignants montrent à nos enfants, par des gestes simples et quotidiens, comment affronter et traverser une crise en réadaptant les habitudes, en levant les regards et en stimulant la prière ! Que de personnes prient, offrent et intercèdent pour le bien de tous. La prière et le service discret : ce sont nos armes gagnantes !

« Pourquoi avez-vous peur ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Le début de la foi, c’est de savoir qu’on a besoin de salut. Nous ne sommes pas autosuffisants ; seuls, nous faisons naufrage : nous avons besoin du Seigneur, comme les anciens navigateurs, des étoiles. Invitons Jésus dans les barques de nos vies. Confions-lui nos peurs, pour qu’il puisse les vaincre. Comme les disciples, nous ferons l’expérience qu’avec lui à bord, on ne fait pas naufrage. Car voici la force de Dieu : orienter vers le bien tout ce qui nous arrive, même les choses tristes. Il apporte la sérénité dans nos tempêtes, car avec Dieu la vie ne meurt jamais.

Le Seigneur nous interpelle et, au milieu de notre tempête, il nous invite à réveiller puis à activer la solidarité et l’espérance capables de donner stabilité, soutien et sens en ces heures où tout semble faire naufrage. Le Seigneur se réveille pour réveiller et raviver notre foi pascale. Nous avons une ancre : par sa croix, nous avons été sauvés. Nous avons un gouvernail : par sa croix, nous avons été rachetés. Nous avons une espérance : par sa croix, nous avons été rénovés et embrassés afin que rien ni personne ne nous sépare de son amour rédempteur. Dans l’isolement où nous souffrons du manque d’affections et de rencontres, en faisant l’expérience du manque de beaucoup de choses, écoutons une fois encore l’annonce qui nous sauve : il est ressuscité et vit à nos côtés. Le Seigneur nous exhorte de sa croix à retrouver la vie qui nous attend, à regarder vers ceux qui nous sollicitent, à renforcer, reconnaître et stimuler la grâce qui nous habite. N’éteignons pas la flamme qui faiblit (cf. Is 42, 3) qui ne s’altère jamais, et laissons-la rallumer l’espérance.

Embrasser la croix, c’est trouver le courage d’embrasser toutes les contrariétés du temps présent, en abandonnant un moment notre soif de toute puissance et de possession, pour faire place à la créativité que seul l’Esprit est capable de susciter. C’est trouver le courage d’ouvrir des espaces où tous peuvent se sentir appelés, et permettre de nouvelles formes d’hospitalité et de fraternité ainsi que de solidarité. Par sa croix, nous avons été sauvés pour accueillir l’espérance et permettre que ce soit elle qui renforce et soutienne toutes les mesures et toutes les pistes possibles qui puissent aider à nous préserver et à sauvegarder. Étreindre le Seigneur pour embrasser l’espérance, voilà la force de la foi, qui libère de la peur et donne de l’espérance.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Chers frères et sœurs, de ce lieu, qui raconte la foi, solide comme le roc, de Pierre, je voudrais ce soir vous confier tous au Seigneur, par l’intercession de la Vierge, salut de son peuple, étoile de la mer dans la tempête. Que, de cette colonnade qui embrasse Rome et le monde, descende sur vous, comme une étreinte consolante, la bénédiction de Dieu. Seigneur, bénis le monde, donne la santé aux corps et le réconfort aux cœurs. Tu nous demandes de ne pas avoir peur. Mais notre foi est faible et nous sommes craintifs. Mais toi, Seigneur, ne nous laisse pas à la merci de la tempête. Redis encore : « N’ayez pas peur » (Mt 28, 5). Et nous, avec Pierre, “nous nous déchargeons sur toi de tous nos soucis, car tu prends soin de nous” (cf. 1P 5, 7).

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